En réussissant à faire sortir de leurs gongs certains acteurs du mouvement démocratique qui voient dans « Le Mali sous Moussa Traoré » un livre sacrilège, une entreprise de falsification de l’histoire, l’ouvrage a largement gagné le droit d’être lu pour comprendre les raisons d’une poussée de fièvre aussi soudaine qu’inquiétante dans sa manifestation. Pourquoi tant d’agitation autour d’un livre-témoignage ?
« L’EVANGILE DES SAINTS DE MARS 1991 » MIS A L’EPREUVE PAR DES TEMPLIERS DE L’UDPM
Pour l’observateur averti de la scène politique malienne, ce qui se passe n’a rien de surprenant. En effet, il s’agit du retour de bâton pour le vainqueur euphorique qui choisit de se mettre dans la peau de l’ange en noircissant de son mieux le tableau d’en face. La première manifestation du phénomène est apparue à la chute de Modibo Kéita, lorsqu’on a vu des porteurs de canne du CMLN charger le président déchu de tous les péchés d’Israël, annonçant par-ci une bouteille de diamant découvert à Koulouba, par-là une bouteille remplie de graisse humaine, passant allègrement sous silence les acquis du régime et donnant la chasse aux partisans qui refusaient de tourner leur veste. Moins de dix ans après, Modibo Kéita était bruyamment réclamé par des élèves et étudiants déchainés. Considéré comme une menace sérieuse pour la survie du régime, « son rappel à Dieu » sera organisé dans les règles de l’art. Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre et l’histoire se répétera en 1991. Là encore, une fois le pouvoir de Moussa Traoré renversé, tous les malheurs du pays seront mis sur son dos déjà endolori, les vainqueurs se parant de toutes les vertus. Vingt ans après, les Maliens qui sont désabusés par l’état de décrépitude morale et la vénalité de certains « messies d’hier » s’interrogent, donnant l’occasion aux Templiers de l’UDPM de faire revivre un passé pas trop lointain, au grand dam de leurs pourfendeurs d’hier dont le doigt est resté longtemps coincé dans le pot de confiture de la corruption et de la gabegie. Une passe d’armes en 2016 entre les « Saints de mars 1991 » et les Templiers de l’UDPM. Qui l’eût cru ?
On sait le peuple malien friand de grandes batailles épiques et il ne boudera certainement pas son plaisir à l’idée de pouvoir revisiter un pan important de l’histoire mouvementée de la jeune démocratie malienne, à travers le spectre des problèmes qui ont surgi dans la gouvernance politique et économique du pays. Ces problèmes ont fini par provoquer la grave crise que l’on connaît et donner du grain à moudre aux partisans du Général Moussa Traoré (GMT). En effet, les vainqueurs politiques de mars 1991, oubliant qu’ils étaient engagés dans une course de fond doublée de sauts d’obstacles multiples vont enterrer trop tôt le président de l’UDPM dont la capacité de résilience vient d’être établie. Ainsi, après avoir assisté au réveil en force de la rébellion, aux nombreux replis stratégiques d’une armée démobilisée, à la désapprobation populaire de la gestion de la crise, au putsch contre ATT, à tous les frasques qui ont jalonné la période de transition, c’est-à-dire à l’échec massif de la politique de défense et de sécurité qui était sa plus grande réussite, GMT tient enfin la lucarne qui lui permet d’être vu autrement que sous le jour voulu et préparé par ses tombeurs. La technique qui consiste à se servir de l’effet repoussoir des affres de mars 1991 a peu de chance de prospérer avec le livre car les populations veulent comprendre comment leur pays a pu tomber aussi bas, après qu’on eut chargé lourdement et écarté GMT qu’on avait présenté comme la véritable entrave au développement du pays. L’ouvrage des Templiers qui provoque des poussées d’urticaire chez certains est pourtant un travail soigné et méthodique avec des références précises sur l’école, le système sanitaire, les forces de défense et de sécurité, l’administration, la liberté d’expression et les finances publiques sous Moussa Traoré. L’absence de débats politiques contradictoires sur les questions de fond et le manichéisme ambiant n’avaient jusque-là pas permis la saine confrontation des idées. C’est pourquoi, il faut veiller à maintenir la polémique en cours dans les limites du raisonnable.
QUE CHACUN PRODUISE SA PART DE VERITE.
LA REPUBLIQUE NE S’EN PORTERA QUE MIEUX
Exercer le pouvoir, c’est finir par porter un bilan, c’est-à-dire un actif et un passif dont le peuple reste le seul juge. Dire sa part de vérité est un moyen d’expression démocratique, une démarche ouverte à tous ceux qui éprouvent le besoin de parler. Pour l’heure, il s’agit de répondre pour dire si, de mars 1991 à mars 2012, l’école malienne est devenue meilleure, l’armée nationale plus efficace, la sécurité intérieure du pays mieux assurée, l’administration en général, la justice en particulier moins corrompues, les finances publiques plus saines que sous Moussa Traoré, sans parler de la question foncière qui met le peuple malien face à une véritable mafia politico-administrative complètement inexistante il y a une vingtaine d’années. Et que dire des élèves et étudiants qui ont payé le plus lourd tribut à cause de leur activisme ; ont-ils été récompensés en retour par les politiciens qui ont hérité du pouvoir ? Voilà le vrai débat auquel on ne peut faire face avec une simple réaction d’indignation. Soit les faits allégués dans le livre des Templiers sont une affabulation et il faudra en apporter la preuve ! Soit ils sont criants de vérité, auquel cas ils projettent un nouvel éclairage sur les circonstances et le jeu des acteurs de la crise des années 1990.
Alors, pourquoi Moussa Traoré dont le procès a semblé par moments biaisé, laissant beaucoup de coins d’ombre sur les questions essentielles, créant un doute raisonnable à son profit et une suspicion légitime vis-à-vis de certains de ses tombeurs, n’aurait-il pas le droit d’écrire sa part de vérité ? Même Adolf Hitler qui a été convaincu de crimes contre l’humanité et génocide, voit aujourd’hui son héritage politique revendiqué en Europe par des néo-nazis qui n’en conservent pas moins le droit de parler et de manifester. Moussa Traoré a servi son pays dans la limite de ses moyens, comme d’autres avant et après lui. Pourquoi le peuple malien censé être la première et grande victime de mars 1991, qui a pourtant le sens de la mesure lui réserve-t-il actuellement un traitement qui laisse croire qu’il n’est pas le plus mal classé dans le Panthéon des anciens Chefs d’Etat du Mali ? Chacun sait ce qu’il a semé et sait aussi pourquoi il récolte ce qui lui arrive. L’adversité politique a une limite au-delà de laquelle les attitudes de rejet s’apparentent plutôt à des craintes morbides. Heureusement que le président IBK qui n’est ni complaisant, ni rancunier, chez qui la pratique politique n’a pas tué l’intellectuel et l’humaniste, fait l’effort chaque fois que l’occasion se présente de reconnaître le mérite de chacun de ses prédécesseurs. Même si cela n’est pas du goût de tout le monde, c’est la voie à suivre pour drainer enfin toutes les synergies vers l’objectif de réconciliation et de développement du pays.
Personne ne doit plus être privé de parole dans ce pays. En tout état de cause, l’ouvrage incriminé est suffisamment documenté pour que l’on puisse répondre à toutes les allégations y figurant. Que chacun produise sa part de vérité. La république ne s’en portera que mieux.
Mahamadou CAMARA