Samedi, Bamako sera aux couleurs de l’opposition et de la société civile maliennes dont les militants, sympathisants et membres battent le pavé pour décrier les dérives du pouvoir d’une part et, d’autre part, en appeler à la paix et à la réconciliation, au retour et à la réhabilitation du président Amadou Toumani Touré ainsi qu’à la tenue de concertations nationales et toutes actions fortes pour sauver le Mali. Cette grande marche de protestation, qui vient après les deux démonstrations de forces syndicales de la Cstm en moins de deux mois, confirme tout le malaise social généralisé qui frappe aujourd’hui le peuple malien, quasiment enterré debout. Après demain, le pouvoir a du souci à se faire.
Reportée pour raison de santé du président de la République, IBK, opéré le 10 avril dernier à Paris, la marche unitaire de l’opposition malienne est remise à après demain samedi 21 mai. Tôt le matin, les militants et sympathisants de la dizaine de partis qui composent ce regroupement politique, et auxquels se joindront sans doute la société civile ainsi que les Maliens déçus d’IBK prendront d’assaut la Place de la liberté pour un mouvement populaire qui s’annonce grandiose.
Par milliers, des leaders politiques, des hauts cadres du pays, des Maliens mécontents, certains épris de paix, de justice et d’équité et d’autres qui aspirent à des conditions de vie dignes et humaines, vont scander les dérives du régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta. Dérives qui ont pour noms mauvaise gouvernance, patrimonialisation de l'État, dilapidation et détournement des deniers publics, surfacturations, pilotage à vue des affaires publiques, improvisation, immixtion de la famille dans les affaires de l'État, arrogance et mépris vis à vis du peuple…
Les conséquences : la vie est chère, une grave crise économique et financière frappe les populations de plein fouet, les ménages ne vivent plus décemment, les entreprises sont à, terre, le chômage des jeunes est devenu endémique, les coupures d'électricité et les pénuries d'eau dans les villes et les campagnes sont monnaie courante, l'insécurité et l'insalubrité sont le lot quotidien des populations. Bref, les Maliens souffrent, l’avenir est noir.
Après près de trois ans à la tête du pays, IBK ne peut revendiquer aucun bilan, tellement le tableau de la gouvernance instaurée par le chef de l’Etat, sa famille et son gouvernement est sombre. S’ils ne manquent pas tout simplement de tout, les Maliens souffrent beaucoup des gaffes du pouvoir d’IBK.
Gouvernance : « Zéro »
Si IBK a échoué, c’est dû, en grande partie, à la mauvaise gouvernance instaurée et qui a vu s’égrener des scandales au fil des mois et des ans. De l’avion présidentiel aux 1000 tracteurs, en passant par le contrat d’armement et les engrais frelatés, tous les scandales dégagent une forte odeur de corruption et de détournements de grande envergure. Or, dans son projet « Le Mali d’abord », IBK avait promis la « Tolérance zéro » en matière de corruption et de vol de deniers publics.
«La lutte contre la corruption sera organisée sur la base d’un principe, la Tolérance zéro », avait promis IBK quand il briguait le suffrage de ses compatriotes. Que de leurre au peuple et de contrevérités à la nation.
Depuis qu’il fut investi président de la République, la corruption est ancrée jusqu’à l’os chez le Malien. En témoignent les chiffres des rapports 2013 et 2014 du Bureau du Vérificateur général. Il ressort des vérifications financières effectuées au titre de ces deux années repères des irrégularités financières d’un montant total de plus de 153 milliards de FCFA dont 46,14 milliards de FCFA au titre de la fraude et 106,95 milliards de FCFA au titre de la mauvaise gestion. Que dire du rapport 2015 ? Quid des 29 ou 38 milliards de surfacturations dans les affaires de l’avion présidentiel et du contrat d’armement ?
Pire, dans le cadre de cette corruption, le chef de l’Etat dit avoir transmis plus de 200 dossiers à la justice. Mais sans suite. Où est passée l’autorité de l’Etat ? Et la Tolérance zéro ?
La République FBI
L’échec d’IBK trouve une de ses origines dans l’envahissement de l’Administration par la famille présidentielle. De la première institution au bas de l’échelle, en passant par le gouvernement et l’Assemblée nationale (ces deux surtout), la famille, les parents, les amis, les alliés, les affidés et les connaissances pullulent. A telle enseigne que certains de nos concitoyens ont vite transformé le slogan de campagne « IBK : Le Mali d’abord » en « IBK : MA famille d’abord ». D’autres vont plus loin en redéfinissant le sigle du FBI (la sécurité d’Etat nationale des USA) en « Famille Bourama et Intimes ».
Aujourd’hui, les Maliens sont donc dans la République FBI (Famille Bourama et Intimes). Cette « familiarisation » du Mali a pris corps depuis la formation du gouvernement Tatam Ly et du cabinet présidentiel en septembre 2013, mais aussi depuis l’élection d’Issaka Sidibé à la tête de l’Assemblée nationale et celle de son gendre Karim Kéïta (fils d’IBK) à la tête de la Commission défense de l’Assemblée.
Autres dossiers qui fondent la marche de l’opposition : c’est d’abord la mauvaise gestion de la grave crise du Nord qui a conduit quasiment à un blocage puis qu’un an après la signature de l'Accord d'Alger, l'État peine à exercer sa souveraineté sur des pans entiers du territoire national dans un contexte d'insécurité généralisée. Les attaques terroristes se multiplient. Aucune région n'est épargnée. Les affrontements intercommunautaires font des dizaines de morts à travers le pays. Le gouvernement semble dépassé et impuissant.
Ensuite, la crédibilité extérieure du pays s'est fondue, la nation est humiliée quotidiennement. Le pays s'enfonce dans l'immobilisme et dans une profonde crise politique.
Pour les organisateurs de la marche du 21 mai, « le peuple est mécontent de ceux qui dirigent le pays. Il est mécontent de la mauvaise gouvernance et de ses effets dévastateurs, il est mécontent de l'arrogance et du mépris de ceux qui gouvernent. Il est mécontent de l'impunité qui protège ceux qui pillent, au vu et au su de tous, les ressources publiques. Il est mécontent de la mauvaise gestion du dossier du Nord et des conséquences sur la paix, la réconciliation et la stabilité du Mali ».
D’où cette démonstration de force promise au peuple malien et au cours de laquelle l’opposition républicaine et démocratique entend, en plus des dénonciations, exiger du gouvernement le retour et la réhabilitation du président ATT dans le cadre de la réconciliation nationale, mais aussi réitérer sa proposition de la tenue d’assises et de concertations nationales afin de sauver le Mali.
Sékou Tamboura
Source: L'Aube