Dans une tribune libre, qu’elle a intitulée, « Faire face à la nouvelle menace djihadiste au Mali », Corinne DUFKA, directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest, au compte Human Rights Watch, bien connue au Mali, pour y avoir fait plusieurs tours, depuis les années d’occupation djihadiste, a dépeint, avec une légèreté déconcertante, la montée en puissance du phénomène djihadiste dans le pays. Elle y va par tous les moyens, y compris jusqu’à accorder « aux islamistes le mérite de réduire de manière drastique le banditisme ». Ce que, soutient-elle, l’armée n’a pas su faire. Parlotes !
Nul ne conteste à Corinne DUFKA, directrice de recherche, au compte de la très respectueuse ONG américaine Human Rights Watch, d’accentuer des investigations au Mali, comme elle le fait d’ailleurs, depuis des années déjà. Le Mali, qui a connu l’occupation djihadiste en 2012, est bien dans son champ de compétence, en tant que patronne couvrant la zone de l’Afrique de l’ouest. Pour cela, et pour bien d’autres raisons, cette dame de terrain ne quitte pas le Mali et y consacre régulièrement, comme c’est le cas de cette tribune libre, des appréhensions bien personnelles, et même des rapports très officiels sur tels ou tels aspects, liés aux violations des droits de l’homme et d’autres exactions monstrueuses subies par les populations civiles.
En matière des droits de l’homme, la directrice de recherche de l’ONG américaine, Corinne DUFKA, est bien dans son domaine de prédilection. Elle y œuvre en temps de paix, tout comme en temps de guerre, avec très souvent des éléments d’appréciation, très personnels, et qui font froid dans le dos. Tenez ! Pour effectuer des recherches sur des violations des droits humains, comme elle le fait depuis 2012, « quand le pays a traversé une débâcle spectaculaire après une prise de contrôle quasi simultanée par les séparatistes touaregs et les groupes islamistes liés à Al-Qaïda dans le nord et un coup d’État militaire dans le sud », Corinne DUFKA est bien souvent au Mali, où elle rencontre des individus simples, anonymes, pour parler avec eux de leurs inquiétudes et de leurs préoccupations. C’est bien normal, dit-on dans les milieux d’enquêtes et de recherches, pour d’évidentes raisons de crédibilité des informations, de rencontrer des gens simples sur le terrain. Mais de là, à ignorer les officiels dans un pays ; agents publics, acteurs de la société civile, représentants de l’État, pour ne s’accrocher qu’à des détails fragmentaires et isolés, il y a un pas important vers la manipulation outrancière et caractéristique que la chercheuse franchit allègrement, pour le cas du Mali.
Dans sa tribune libre, en date du 9 mai dernier, c’est elle-même qui rapporte qu’elle a « documenté des dizaines de cas de torture et de mauvais traitements par l’armée malienne dans le cadre de la réponse sécuritaire ». Sur le terrain, la directrice de recherche de l’ONG américaine est sans équivoque sur le choix des cibles qu’elle rencontre : « Lors de mes visites, les commerçants, les bergers et les hommes âgés peuls ont décrit une présence islamiste croissante qui tirait parti non seulement de leur pauvreté, mais aussi de leurs ressentiments de longue date contre le gouvernement. Ils parlaient avec inquiétude du succès du recrutement des islamistes, reposant selon eux sur plusieurs facteurs ». Typiquement, elle dépeint le cas d’un de ses interlocuteurs, Amadou, chef local de la région de Ségou dont elle reconnait elle-même avoir changé le nom, pour garantir sa sécurité. En rapportant son récit, elle dit qu’il était inquiet et qu’il « était assis tranquillement pour boire son thé un matin de décembre dans un village du centre du Mali ».
Dans sa tribune libre sur la montée du djihadisme au Mali, Corinne s’abreuve du récit de cet homme fantôme et d’autres ; notamment bergers, commerçants, hommes âgés, à travers lesquels elle fait des accusations graves sans même se donner la peine d’aller à la source pour vérification objective et recoupement nécessaire.
Les faits incriminés sont graves : cas de tortures et de mauvais traitements par l’armée malienne, l’incapacité du gouvernement à protéger les gens du banditisme. Corinne, selon son propre récit, donne la parole aux villageois rencontrés qui se disent traumatisés par les abus des représentants de l’État, mais « soulagés » par les islamistes qui constituent dans ce cas « la loi » pour les populations. L’un des passages tranchants de son récit est ainsi décrit par elle-même : Beaucoup ont accordé aux islamistes le mérite de réduire de manière drastique le banditisme, ce que n’a pas su faire l’armée. « Chaque fois que nous appelons les autorités, personne ne vient », m’a indiqué un homme jeune. D’autres ont raconté que les islamistes étaient intervenus pour récupérer les motos ou les vaches volées. « Les djihadistes sont la loi maintenant », a indiqué l’un d’eux.
Sur ces graves accusations, fondées à partir de simples récits de gens anonymes, rapportés, dont ni les localités, ni les identités ne sont formellement mentionnées, Corinne DUFKA de la très respectueuse ONG américaine pense ainsi expliquer la montée du phénomène djihadiste, en tant que chercheuse crédible dans ses analyses, sans au préalable confondre ces récits de « villageois rencontrés » avec les éclairages d’officiels, évoluant également sur le terrain, comme ces agents publics, acteurs de la société civile et même représentants de l’État. Si on accorde à dire qu’au Mali, le phénomène du djihadiste monte dans les cités parce que les populations voient en cela la force de la loi et la marque de la protection, comment alors en dira-t-on, pour le cas de ces djihadistes français, canadiens ou américains qui se ruent en Syrie pour combattre auprès des combattants de l’EI.
Comment dans ces pays où la justice est reine et où l’État assure le maximum de protection aux populations, la montée du phénomène djihadiste s’explique-t-il ? En fait, la facilité avec laquelle la chercheuse de la très indépendante ONG américaine s’accorde-t-elle au Mali la pousse à tronquer la vérité du terrain.
Il est clair qu’avec une telle légèreté déconcertante sur de supposées violations de droits de l’homme, étayées par des éléments d’information aussi irréguliers et fragmentaires, la réalité vécue sur le terrain ne peut être que lourdement et dangereusement masquée par de desseins inavoués. Ce qui ne garantit aucune crédibilité à un travail de recherche et documentation de qualité. Certes, dans ce genre d’approche approximative sur les droits de l’homme, il est de bon ton, pour l’intéressée, en l’occurrence Corinne DUFKA, directrice de recherche, de dire que ce qu’elle rapporte dans sa tribune libre sur la nouvelle menace djihadiste au Mali ne reflète pas le point de vue officiel de l’ONG pour laquelle elle travaille. Mais il est aussi trop facile de s’en sortir avec de tel avenant sans pour autant être rappelé à l’ordre, pour n’importe lequel agent, par l’ONG qui a souci de son image de respectabilité.
par Sékouba Samaké