Au Mali, on n’a pas perdu que le nord «Fausse route du Nord ? Mirages et virages, effervescence et accointances sur le «front» du religieux, une dualité du champ islamique …mal maîtrisée ? Vers le futur affrontement …de trop ?» tels sont les principaux points analysés par la lettre mensuelle de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique du mois de mars 2016. En outre, il ressort de cette lettre qu’au rythme des conférences de paix, des accords sans lendemain et des réconciliations d’un instant immortalisé par les photos de famille et les poignées de mains tendues, le Nord Mali demeure le focus des agendas diplomatico-stratégiques. De ce fait, la question du radicalisme et de l’extrémisme violent se dilue dans la profonde crise malienne aux facteurs composites et hybrides.
Les récentes attaques visant les positions de la MINUSMA et des soldats positionnés à Kidal ont remis à l’ordre du jour le débat sur la possible stabilisation du Mali. Malgré les efforts de la communauté internationale et les multiples initiatives africaines, le pays ne semble pas donner des signaux en faveur d’une sortie de crise à moyen terme. Au rythme des exactions commises par les groupes armés comme par les mouvances terroristes, le pays plonge, de plus en plus, dans la crise malgré l’afflux de l’aide internationale et des conférences sanctionnées par divers accords de paix. C’est à se demander si le Mali, au fil du temps, n’est pas devenu ce nouvel «homme malade » dont les médecins du monde entier courent au chevet sans, toutefois, jamais s’accorder sur un seul diagnostic du mal qui le ronge de l’intérieur comme de sa partie septentrionale.
Les élections de 2013 se sont bien passées, un nouveau président démocratiquement élu est installé depuis 3 ans, mais les problèmes, au jour le jour, demeurent intacts.
On dirait, même, que, chaque jour qui passe, l’on vit, un peu plus intensément, les incohérences des accords de Ouagadougou. Ils ont délicatement stabilisé la situation le temps d’un scrutin alors prometteur sans jamais ouvrir les perspectives d’une paix ne serait-ce que temporaire.
Le durable est devenu un luxe inespéré pendant que le quotidien des Maliens ne semble point affecté par le vaste élan de solidarité internationale malgré sa générosité jamais égalée. Les Maliens en sont même à cumuler les effets d’une guerre sans fin et les tâtonnements d’une classe politique donnant l’impression d’avoir désespéré d’un réel sur lequel elle n’a aucune emprise. Le Nord retient son souffle et l’attention de la communauté internationale alors que le front djihadiste s’élargit avec un glissement progressif vers le Centre voire le Sud du pays.
Fausse route du Nord ? Mirages et virages
Pendant que l’épineuse question du Nord occupe les esprits comme les agendas diplomatiques, la situation sécuritaire se détériore dans d’autres parties du pays sans, toutefois, attirer l’attention requise. La multiplication des groupes djihadistes fait que l’on ne peut plus, objectivement, mesurer l’efficacité des dispositifs comme Serval ou encore Barkhane. Cette dernière opération est aujourd’hui confrontée à une nouvelle forme de terrorisme avec des groupuscules éparpillés dont le mode de fonctionnement provoque le désarroi de tous les stratèges. La libération du Nord n’a pas totalement défait le terrorisme qui s’est mué en une métastase avec l’éparpillement des groupes à partir du Mali dans toute la zone sahélienne. Rien que les quelques 200 hommes d’Al Mourabitoune sous l’égide d’Abou Bakr Al-Masri et de Mokhtar Belmokhtar, les 170 activistes d’Amadou Khoufa du Front de Libération du Macina constituent, déjà, une menace quotidienne pour le Mali et ses voisins et hantent le sommeil de tous les Etats-majors devant faire face à une nouvelle forme de guerre dite asymétrique. Pourtant, le Mali a été un véritable cas d’école qui devait mieux aider à une orientation des différentes stratégies. En plus, celle des groupes terroristes a bien changé depuis l’expérience afghane d’Al-Qaïda. Elle consiste, d’abord, à parasiter les conflits locaux qui ne manquent pas dans la région, puis leur revêtir un habillage « islamique » en récupérant les frustrations et, ensuite, attirer l’Occident dans le piège de l’interventionnisme et de la militarisation à outrance, elle-même génératrice de radicalisation et de djihadisme à moyen et long termes. Mais, au rythme des conférences de paix, des accords sans lendemain et des réconciliations d’un instant immortalisé par les photos de famille et les poignées de mains tendues, le Nord Mali demeure le focus des agendas diplomatico-stratégiques. De ce fait, la question du radicalisme et de l’extrémisme violent se dilue dans la profonde crise malienne aux facteurs composites et hybrides. C’est ainsi qu’on n’a pas accordé l’importance requise à l’avancée des groupes djihadistes qui, à part quelques coups d’éclats à Kidal, Gao et Tombouctou ont, progressivement, concentré leurs attaques dans le centre et, de plus en plus, vers le Sud. En même temps, c’est le signe que le « ventre mou » malien va, dans les mois à venir, constituer une menace directe pour ses voisins immédiats.
Les attaques de la gendarmerie d’Oursi, en août 2015, dans le Sahel Burkinabé auraient dû alarmer la communauté internationale qui s’est réveillée choquée par l’ampleur des attentats de Ouagadougou. De même l’avancée des groupes vers le Sud avait été matérialisée par les incursions dans la région de Sikasso qui, si elles se poursuivent n’épargneront pas bientôt la Côte d’Ivoire voisine. Le 7 mars, une attaque a visé la brigade de gendarmerie de la ville frontalière de Misséni avant que les assaillants ne soient repoussés vers la Côte d’Ivoire. Ce pays partage 500 km de frontières avec le Mali et est en train de faire face à des actions jusque-là insoupçonnées qui visent à le transformer comme une nouvelle base-arrière avec tous les risques sur sa fragile stabilité.
Les récents attentats de Ouagadougou ont, ainsi, définitivement signé la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest et ont confirmé l’hypothèse selon laquelle la menace qui pèse sur les pays de la région ne peut plus s’évaluer suivant des critères et facteurs strictement externes. C’est un dangereux cap vers le Sud qui se confirme et dont les effets se ressentiront davantage tant que le problème malien ne sera pas pris entièrement en charge sous son angle et sa dimension régionaux. Le cas de Boko Haram pourrait, davantage, appuyer une telle argumentation. Même encerclé et en plein désarroi le poussant vers les « soft Target », le mouvement insurrectionnel nigérian a réussi à déplacer le centre de gravité de ses exactions tout autour du Lac Tchad, plongeant dans l’insécurité permanente des localités comme Garoua et Maroua au Cameroun, Diffa au Niger, Mitérié et les autres îles au Tchad.
C’est en ce sens que la porosité des frontières maliennes constitue un problème désormais régional et que les pays frontaliers du Mali doivent être plus conscients de leur coresponsabilité avec leur voisin étranglé par ses préoccupations septentrionales du dedans ne lui laissant plus assez de marge pour se soucier davantage du dehors.
Pendant ce temps, les attaques se multiplient dans le centre du pays, œuvre du Front de Libération du Macina, plus précisément de la Katiba Khalid Ibn Al-Walid de Souleymane Keïta figure emblématique du djihadisme dans le Sud du Mali. Keïta et Khoufa, opérant dans la région de Mopti, sont tous les deux des anciens d’Ansar Dine d’Iyad Ag Ali qui a fait basculer le nord Mali en 2012.
En effet, depuis juin 2015, il y a un glissement du front djihadiste vers le Sud du pays à partir du Centre. L’arrestation de 7 maliens présumés djihadistes appartenant au groupe de Souleymane Keïta, en Côte d’Ivoire, courant septembre 2015, a pu révéler l’ampleur d’un phénomène largement masqué par les préoccupations du Nord. Le front du djihadisme se déplace et se consolide dans et à partir du centre avec des attaques récurrentes touchant les localités de Nampala, Ténenkou, Boulkessi, Dogofri et Dioura. En août 2015 dans un attentat dont le modus operandi ressemble fort bien à celui de Bamako, c’est l’Hôtel Byblos de Sévaré qui sera pris pour cible lors d’une attaque coûtant la vie à, au moins, quatre employés d’une société sous-traitante de la MINUSMA. Ces dernières évolutions marquent un tournant décisif sur l’existence d’un double front djihadiste au Mali : le Nord comme zone charnière facilitant la jonction avec les autres groupes terroristes de l’espace sahélo-saharien, et le nouveau creuset dans le centre dont le djihadisme se nourrit symboliquement d’un imaginaire et d’une historicité faisant sens chez les jeunes cibles des recruteurs. Il n’est pas à exclure que l’élargissement du théâtre d’opération dans le Centre et le Sud devienne le nouveau casse-tête stratégique de la communauté internationale qui a beaucoup de mal à stabiliser le Nord et qui se retrouve piégé dans un inévitable interventionnisme aux lourdes conséquences politiques. Ce, au moment où les critiques fusent de partout contre la MINUSMA qui, pourtant, a fait des avancées considérables dans le travail de stabilisation. Mais de telles attaques verbales sont parfois amplifiées par un discours populiste de la part d’une classe politique, elle aussi, responsable de la situation présente. Pendant ce temps, les différents courants islamiques se prêtent à un jeu de surenchère dangereuse, par sermons et mosquées interposés, rivalisant, de plus en plus, sur le terrain glissant d’un radicalisme religieux plus que jamais accentué.
Source : Observatoire des Radicalismes et conflits religieux en Afrique
Dieudonné Tembely
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