I. Courtes considérations sur les crises africaines :
Au Mali, deux grands principes s’affrontent : le despotisme oriental, dans sa forme la plus exacerbée, et le politique comme destin de l’Afrique noire. Ce n’est en rien une guerre de religions, entre les branches de l’Islam ou entre ceux-ci et le Christianisme. En réalité, le Mali n’est que le terrain où apparaissent et se déroulent les premiers actes d’une insidieuse confrontation entre le Moyen Orient et l’Afrique, autour de la question géostratégique du Sahara. Qui contrôlera cet immense désert sera l’un des prochains maîtres du monde.
Ce conflit suit immédiatement la période de désintégration des souverainetés africaines et ouvre une époque nouvelle, dont l’enjeu essentiel est la viabilité voire l’existence même des États en Afrique noire.
Au vrai, le Mali n’est plus un État indépendant, si ce n’est par l’apparence des attributs. Il ne peut garantir ses frontières, sa classe politique est anéantie et l’ensemble du corps social est désemparé. Le Mali n’a plus les moyens de sa propre existence et ne doit sa survie, si l’on en croit ses hommes politiques, qu’à l’intervention de son ancien colonisateur. Aussi affligeant soit-il, ce constat pourrait être étendu à la quasi-totalité des États francophones d’Afrique noire. En effet, en matière de sécurité intérieure et extérieure, la France porte à bout de bras toutes ses anciennes colonies. Le Mali en est l’exemple le plus cru et le plus éclatant. Cruelle ironie de l’histoire, jamais la FrançAfrique n’a été aussi forte.
Au reste, il y a quarante-trois ans, à Paris, Franklin Boukaka chantait ses « lamentations » africaines, avec Ayé Africa. Ce titre, sa triste mélodie et ses paroles restent dans les mémoires, parce qu’ils mettaient déjà au jour le dévoiement des États africains, dix ans à peine après les indépendances. Les premières paroles établissent un constat sans équivoque : Ayé é Africa, Eh é é Africa, O oh lipando.
Pour les nations, être dans l’histoire, y rester, persister, y tenir une place, c’est s’organiser en État. En un État viable et fiable. Aussi controversé soit-il, le Discours de Dakar ne voulait pas dire autre chose. La Crise malienne révèle la fragilité des États africains. Et la communauté des sciences sociales africaines, si prolixe en d’autres occasions, s’est enfermée dans un assourdissant mutisme, quand on se rappelle de son vent de colère soulevé par le Discours de Dakar. Sous ce rapport, le silence d’Adame Ba Konaré est frappant.
Somme toute, la crise malienne conforte les « lamentations » de Franklin Boukaka et elle juge sévèrement Amadou et Mariam, dont la belle innocence vante les dimanches de mariage à Bamako.
En tous les cas, avec et après la Crise malienne, l’Afrique ne sera plus la même. Il s’agit d’un tournant dont on n’entrevoit pas encore la portée, tournant aussi important et décisif que de celui de 1989, qui vit l’écroulement du monde soviétique. Une nouvelle carte des nations est en cours de distribution. Les États africains impotents ne résisteront pas.
II. Quelques causes majeures de la Crise malienne.
Le Mali ? Vaste territoire, en Afrique de l’ouest, à la charnière de deux « mondes », arabe et noir. Ex-colonie française. Un État pauvre et un pauvre État. Les institutions publiques n’y sont plus qu’un amas chaotique ou des structures de vacarme. Pire, l’idée de l’État y a disparue. Il n’en reste que le squelette, une apparence totalement décharnée. Le Mali n’a pas échappé à une vérité universelle : un État qui ne se nourrit pas de « l’idée de l’État », un État qui donc ne repose pas sur lui-même, cet État-là entre en décomposition, de façon inéluctable. Il n’y a pas de magie, mais des règles objectives dans l’histoire des peuples et des nations.
S’il n’y a pas d’État, comment pourrait-il y avoir de « Chose publique », de Ré-publique ? Tout est privé, ou du moins est conçu et géré comme une affaire privée. Le caprice et l’arbitraire sont maîtres au Mali. Lorsque [la] vertu cesse, dit Montesquieu, [...] la République est une dépouille. Le Mali est face à cette vérité. Or, s’il n’y a ni État ni République, sur quels fondements solides peut reposer la Démocratie ? Partout est admis qu’une nation ne se gouverne que par les lois. Là-bas, la « chose publique » ne s’appuie pas sur la « vertu » ou sur les « lois », mais tout à l’opposé sur les « grins », qui valent plus que les partis politiques. Qu’est-ce que cela qui, tout en étant informel, est au-dessus du formel, c’est-à-dire des partis politiques et des institutions ?
Le « grin » au Mali, écrit Seydou Keïta, est une habitude sociale de rencontres régulières entre amis, à la limite entre le « privé » et le « public » ; ce qui revient à admettre que le grin abolit, de fait, la grande distinction républicaine entre le « privé » et le « public ». Ils constituent des espaces importants du tissu social. Une sorte d’arbre à palabres, où l’on rend des combines d’arbitrage, où se font et se défont les arrangements de complaisance, où se recrutent les dirigeants. La République y est malmenée. Une telle invention, dont on entrevoit le danger et les effets dévastateurs, a fini par éroder l’ensemble des institutions publiques.
Pour s’en convaincre, relisons la présentation qu’en fait Seydou Keïta : Les grins des jeunes, écrit-il, ne sont pas les seuls à être impliqués dans les activités politiques. Les aînés ont aussi leurs grins. Ils reposent sur des affinités parentales, de promotion, de ressortissants d’un même village, des bases ethniques, ou même des relations de travail.
C’est en leur sein que sont véhiculées les idéologies politiques. Les différentes stratégies politiques d’ascension au pouvoir sont élaborées en leur sein, de même que les oppositions et les clivages politiques se retrouvent dans des grins différents. Les recrutements politiques commencent dans les grins. Ils constituent les noyaux des associations et partis politiques.
Il y a une relation asymétrique entre les grins des jeunes et ceux de leurs aînés. Les premiers sont au service des seconds sur la base du patronage. Les représentations populaires au Mali ne disent-elles pas que le Gouvernement lui-même n’est formé essentiellement que des membres d’un même grin ? Cela dénote de la prégnance d’un tel regroupement dans la vie sociale des cités maliennes.
Malgré la pertinence de cette présentation et tout l’intérêt de l’analyse, comment ne pas s’étonner que l’auteur ne songe pas, l’ombre d’un instant, à indiquer les périls antirépublicains et les risques anti-démocratiques que les grins font peser sur l’ensemble des institutions publiques, jusques y compris la formation des gouvernements ? Ses arguments auraient dû le conduire à dire que, au Mali, les gouvernements ne sont que l’expression des grins. Quel scandale !
Au Mali, la corruption a tout emporté, particulièrement la citoyenneté et le patriotisme qui rendent seules savent rendre vivantes les institutions républicaines. C’est le mal qui gangrène tout le corps social. La corruption est plus forte et mieux enracinée, que partout ailleurs dans la sous-région.
« L’affaire Saïdi » (SICG Mali) est un exemple éloquent. Ce promoteur ivoirien d’origine libanaise, après avoir construit les Halles de Bamako et quelques programmes immobiliers, s’est vu spolié et dépossédé de ses droits élémentaires. « L’affaire Saïdi » suffit à elle seule à illustrer la nature, le degré, l’étendue et les méthodes de la corruption.
Dans cette injustice organisée, hormis quelques journaux, dont La Dépêche aux titres évocateurs, tous se sont liés pour le dépouiller : et le gouvernement, et l’administration, et les banques, et la Justice qui, dans une ligue d’intrigue, lui ont « pris » 25 milliards de Francs CFA.
Citoyens maliens et amis du Mali, « la patrie est en danger », et pas depuis janvier 2013. Il y a longtemps déjà.
En effet, si la chronologie politique de la dictature militaire (1968 – 1991), avec tout son lot d’arrestations arbitraires, d’abus de pouvoir, de suppressions brutales des libertés individuelles et publiques, de gabegies, de concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul, si ces pratiques liberticides montrent l’affaissement progressif des institutions, il n’en reste pas moins vrai que le régime ATT qui a succédé à la Deuxième République, et qui n’eut de république que le nom, n’a rien réglé des grands problèmes du Mali (crise sociale, question Touareg, etc.).
Car, il n’y pas pire mal, pour une nation, que la corruption des mœurs publiques, auquel rien ne résiste et qui ravage tout. Rien ne résiste donc à la corruption, sinon la vertu. Il n’y a nul autre remède. C’est pourquoi, à sa manière et fort justement, Cabral dira : en Afrique, il suffit seulement d’être honnête.
C’est cela « l’esprit public », l’intérêt général. Tout le reste coule de source : le repos public, la solidarité, la croissance, le développement, l’alternance politique, etc. Un État juste est invincible. Car tous ses membres savent ce qu’ils ont à défendre.
Alors, au Mali, que voulait-on qu’il advint ? Le 25 mars 2012, un capitaine-sans-projet et une poignée de soldats dotés d’un matériel militaire d’occasion renversent un régime qui, depuis longtemps, ne reposait que sur du « bois pourri ». En une demi-journée, la dépouille d’un État, d’une République et d’une Démocratie a été incinérée.
C’est que ces trois structures étaient déjà moribondes, quand elles furent frappées. Le capitaine-sans-projet, pourrait-on dire, n’y est pour rien. Il n’a fait que révéler à la face du monde stupéfait, et avec une déconcertante facilité, toute la putréfaction d’un régime qui, en deux mandats présidentiels, a épuisé et vidé la belle citoyenneté malienne.
Qui ne se souvient, en effet, et avec une émotion sublime, de la vigueur citoyenne qui emporta la dictature militaire de Moussa Traoré ? La jeunesse y prit une part déterminante. Mais, où sont-ils ces jeunes citoyens qui s’étaient légitimement arrogé le droit à l’insurrection au nom de l’amour de la patrie ?
L’amour de la liberté, écrit Mably, suffit pour donner naissance à une République ; mais l’amour seul pour les lois peut la conserver et la faire fleurir, et c’est l’union de ces deux sentiments que la politique doit faire par conséquent son principal objet. C’est tout le contraire qui a été engagé.
Qu’a-t-il été fait de cette jeunesse malienne, une des plus conscientes du continent noir ? Je la reverrai toujours défiler dans Bamako à l’annonce de l’assassinat de Cabral, le 20 janvier 1973. Où est cet esprit de liberté de l’Association des élèves et étudiants du Mali de ce juin 1990, qui anima les journées républicaines du 21 au 26 mars 1991, réprimées dans le sang, et aboutirent à la chute du dictateur ?
Où est la force des manifestations estudiantines du 5 avril 1993 ? Et l’élan de liberté et de justice qui porta les journées du 3 au 15 février 1994 ? Et toi Birus, où es-tu donc ? Il me souvient de notre dernier entretien, à Bamako, sur les valeurs qui font vivre la République ?
Et toi l’ami, Anatole Sangaré, soldat droit et militaire de devoir, représentant de la communauté catholique du Mali ? Je garde trace de la dédicace que tu me fis, le 24 décembre 2003, à la Gare du Nord, à Paris. Et vous Kafougouna Koné, oiseau du ciel, où sont vos Migs ? Je me revois dans votre ministère, où vous me fîtes l’amitié de me recevoir. Et vous Aminata Traoré, Marianne du Mali, qu’attendez-vous pour tonner, de votre voix forte qui traduit votre éthique des convictions ? Et combien d’autres vaillants Maliens !
C’est pourquoi le spectacle est triste de ne voir aucun sursaut d’orgueil national. Accepterez plus longtemps que la presse politico-anthropologique (Pascale Boniface, Antoine Glaser, Stephen Smith, etc.) et les médias du monde diffusent, à longueur de journée, des témoignages de Maliens désemparés remerciant la France et appelant les pays voisins au secours, comme s’ils avaient perdus toute ardeur au combat pour la liberté ?
Quel affligeant spectacle offert par Tiéblé Dramé, ex Premier ministre, sur les plateaux de France 2 allant jusqu’à oublier que seul un peuple libre se ibère de son dictateur ou se délivre de ses envahisseurs. La France ne peut faire la guerre du Mali à la place du Mali. N’aurait-il pas pu, lui, présenter la France comme l’allié du Mali ?
L’honneur eut été sauf. Mais il ne le peut, parce qu’il ne croit plus en son pays, en son peuple. Le Mali a « prêté son palabre » à la France. Il est des délégations honteuses.
Aux sombres heures de la France, lorsque les Nazis, après avoir percé Maginot, enchaînèrent l’État français, il s’est trouvé un homme qui réapprit à son peuple ce qu’est l’idée de l’État dont parle Hegel. Aussi, pendant que j’écoutais Tiéblé Dramé, je revoyais un autre spectacle, plus digne celui-là, La Pepa de Sara Baras, dont le Flamenco retrace l’exploit espagnol face aux troupes napoléoniennes.
C’est qu’un peuple libre est invincible. Un peuple qui a été libre une fois, l’est pour toujours. Et lorsqu’il a renversé une dictature, que peut-il craindre ?
Pauvre Etat, car au Mali l’amour de la liberté et l’amour pour les lois ont été perdus, sous le régime précédent. En 2004, alors qu’à renfort d’oukases et de batteries la presse politico-anthropologique louait le régime ATT, j’interrogeais gravement : Le Mali, pour combien de temps encore ?
En effet, tous les prophètes de flatteries qui savent si bien prendre demeure dans les cabinets présidentiels et les chancelleries, tous les spécialistes français de l’Afrique qui occupent les médias et jusqu’à l’assourdissement de masse entretenue par la presse internationale, tous, vantaient les mérites du régime ATT comme modèle à suivre, mais qui dans son fond n’était qu’un système qui vidait de leur substance éthique l’État, la République et la Démocratie.
Aucun d’eux ne voulut voir ni entendre. Chacun voulait tromper ou, pire, être trompé. Tout le monde le sera. Car enfin, si un capitaine-sans-projet parvient si facilement à renverser un régime « modèle », mais qui en vérité a fini comme il a commencé dans la farce, comment imaginer que les débris de ce régime et un capitaine-sans-projet puissent résister à Aqmi, à Ansar Dine, au Mujao, à Boko Haram, etc., qui, au Sahel, ont formé une dendrite internationale, très disciplinée, aguerrie, solidement armée et surdéterminée, avec une inouïe volonté d’expansion « religieuse » ?
Personne ne voulut voir la lente et inexorable érosion des institutions et l’entreprise d’affaiblissement de la citoyenneté et du patriotisme maliens. Les sourds d’hier s’émeuvent aujourd’hui de ne pas entendre L’Etat. Tous feignent d’ignorer et s’étonnent de l’absence d’une « Armée sans armes ».
On est dans quoi-là ?, aiment à dire les Ivoiriens quand l’absurde dicte sa courbe aux événements. Constat de bon sens : il eût coûté moins cher au Mali, à la France et au monde aujourd’hui, si l’armée malienne avait été dotée de matériel militaire et instruite dans l’art de la guerre.
Et, avec délectation, les reportages télévisés français en rajoutent, qui montrent à l’opinion publique européenne des soldats maliens ébahis à la vue d’un hélicoptère, ou un militaire malien à l’entraînement et feignant de tirer, et qui, faute de minutions, reproduit le bruit des balles.
Ou encore l’Armée française qui, après avoir chassé les rebelles de Gao et de Tombouctou par les bombardements aériens, stoppent net leur avancée aux portes de ces villes et invite l’armée malienne à y entrer et à en prendre possession.
Quel spectacle ! On avait connu la drôle de guerre. Là, nous voyons une guerre drôle. Pauvre Mali, qui, à la face du monde, joue avec son propre sort !
Nous payons en drames et en vies humaines, en recul de croissance et en expansion de la pauvreté, en foule de réfugiés, en famine, en instabilité politique et en misère médicale, ce que les responsables n’ont pas voulu voir. Et si nous n’y prenons garde, peut-être assisterons-nous à la formation du premier État islamiste de l’Afrique dans le Sahel. Alors, prenons garde !
Car les mêmes qui, hier, ne voulurent pas voir les difficultés maliennes se répandent à présent en longs discours d’explication et justifient leur erreurs d’analyse et de décision par la guerre française au Mali. Aucun d’eux, bien étrangement, ne parle de la Société civile. Mais c’est d’abord d’elle et de l’Armée malienne moquée que viendra ce qui sauve.
III. François Hollande et l’Occasionalisme de Malebranche :
M. François Hollande aurait donc eu raison d’intervenir. Il l’aurait fait à temps. Quelques jours plus tard, dit-on, il n’y aurait plus de Mali. Ainsi, en une semaine un État peut disparaître. Et tout ce que l’histoire universelle n’enseigne pas (disparition subite des États), nous devrions donc l’accepter et nullement le contester ?
Mais, aussi difficile que soit une situation, aussi grand que soit le péril, il n’est aucun argument d’autorité qui puisse ou ne doive affaiblir l’esprit critique, cet exercice banal de la raison naturelle.
Appelons ici Bossuet, dont l’un des grands enseignements est précisément ce qu’il appelle la science des temps. Il est, dit-il, du devoir du prince de savoir penser et agir à propos, ni avant ni après, mais au bon moment.
Les Grecs anciens nommaient cela le kairos, le temps opportun. La France s’est-elle conformée à « la science des temps » ? Le président François Hollande a-t-il décidé selon le kairos ?
Plus d’un, à droite et à gauche, lui reprochent de n’avoir pas fixé un cap et des objectifs, d’où ses changements continus. A première vue, les faits leur donnent raison. En effet, François Hollande n’avait-il pas publiquement affirmé que la France ne s’engagerait pas au Mali, comme en République Centrafricaine, au motif qu’elle n’a plus vocation à être le gendarme de l’Afrique ?
Or, dès la prise de Konna par les Islamistes et la désinformation de sa reprise par l’Armée malienne, il a d’autorité constitutionnelle engagé la France, en déclarant que cette implication ne se limiterait tout au plus à un appui logistique et aérien, dans le but de stopper l’avancée des Islamistes qui se dirigeaient vers Bamako où réside une forte communauté française.
Puis, quelques jours plus tard, contradiction nouvelle, il décide d’engager au sol près de trois bataillons français.
En outre, après avoir indiqué que cette intervention serait de courte durée et localisée, il affirmera qu’elle durera autant que nécessaire et sur toute l’étendue du territoire malien. Toutes ces variations lui ont valu un double reproche : improvisations (impréparation, organisation sur-le-champ, hâtive, absence de vision) et imprévisions (défaut de prévision, peu de maîtrise des événements).
A première vue, ces tâtonnements semblent indiquer une série d’improvisations doublée d’une suite d’imprévisions.
Si tel était le cas, nous pourrions légitimement en être choqués, parce qu’il n’entre pas dans les usages républicains que le Chef de l’État français ne fixe pas de cap ni d’orientation, alors que la Constitution lui confère cette prérogative quasi monarchique.
Mais, au fond, ne serions-nous pas tout simplement en présence d’un Président qui, de façon inconsciente ou non, et contre toute attente, ne ferait que mettre en pratique, au cœur du champ politique français, l’Occasionnalisme de Malebranche ?
Selon Nicolas Malebranche, le monde n’est régit que par des causes occasionnelles que Dieu met savamment à profit, pour agir dans l’histoire. Par conséquent, les causes réelles des actions individuelles et collectives échappent aux hommes.
Tout n’est qu’occasion pour Dieu, c’est-à-dire moment d’intervention dans le cours du monde. Dans le Tout réside les « occasions » qui ne sont que des causes pour ainsi dire fictives, des causes qui ne sont pas effectives ; et parce qu’elles sont sans effet, elles ne sont pas véritables.
Pour Malebranche, à l’opposé d’Aristote, il ne peut donc exister de causes substantielles (existant par elles-mêmes), puisqu’elles sont toutes « occasionnelles ». L’Occasionalisme est le système de causes occasionnelles.
A bien observer, François Hollande semble avoir complètement laïcisé cette conception malebranchiste, pour l’appliquer au champ politique.
En effet, pour la première fois, qui plus est en République française, un Chef d’État développe, de façon méthodique, une ligne politique qui se donne à voir comme une suite combinée d’occasions.
Cette politique, qui laisse circonspect, peut se définir, d’une part, comme le rapport entre les occasions, et, d’autre part, la gestion même de ce rapport. On comprend mieux pourquoi le Premier ministre de son gouvernement apparaît autant en déphasage.
Car là où François Hollande attend les occasions, Nicolas Sarkozy, lui, recherchait ardemment des « dossiers » ou des « cas » voire même les suscitaient.
Ainsi, l’affaire de l’Arche de Zoé n’était pour Nicolas Sarkozy qu’un « cas », un casus, un événement, dans lequel retentissait l’ancien cadere qui signifie « tomber ». Tout « tombe », pour Nicolas Sarkozy. Aussi conçoit-il les « cas » comme des faits « accidentels » qui ne peuvent être relevés que par une technè, un savoir-faire technique porté par une énergie personnelle qui porte aux excès, quand François Hollande ne saisit que les occasions, et ce en autant d’événements « nécessaires » (qui s’imposent par eux-mêmes) auxquels il doit simplement s’ajuster.
Une telle différence concerne le fond, c’est-à-dire la manière d’être, et n’est pas seulement la forme ou le style, comme les politologues s’efforcent de nous le faire croire. Pour ces derniers, cette conception occasionnaliste est incompréhensible, parce qu’ils leur manque les fondamentaux de la pensée.
Il y a chez François Hollande une fiance affirmée dans les occasions et les causes occasionnelles. Sa longue « absence » politique après sa victoire à la présidentielle, et qui a tant inquiété, n’a duré que le temps que surgisse une occasion.
Ainsi a-t-il appréhendé la crise du Mali comme une cause occasionnelle, et l’on ne saurait expliquer autrement le caractère individuel et solitaire de sa décision d’agir, tout comme la promptitude de son engagement militaire et l’étonnement que ces deux faits ont suscité.
Car l’occasion se suffit à elle. Elle est érigée en « principe de raison ». Florange, par exemple, ne surgit pas comme une occasion, mais plutôt comme un « cas », ce qui ne peut vraiment l’intéresser. C’est le domaine du Premier ministre. Il suffirait que ce « cas » se transforme en cause occasionnelle, pour qu’il s’en empare aussitôt et s’y implique.
Quant au « mariage pour tous », il n’est ni une cause occasionnelle ni un « cas », d’où les atermoiements de François Hollande qui en confie la responsabilité à la représentation nationale.
En revanche, l’affaire Dominique Strauss Khan fut pour lui une cause occasionnelle, dont il a su si bien tirer parti.
Au fond, il ne semble pas croire en la grâce, en la prédestination à la manière du protestantisme. Tout n’est pour lui qu’occasion, comme l’affaire Florence Cassez ou le controversé impôt à 75% spontanément sorti d’une occasion.
Les exemples d’occasions et de causes occasionnelles pourraient de la sorte être multipliés, pour de montrer comment ils jalonnent et structurent sa carrière politique. Cette problématique est la matière d’un essai en cours de rédaction, Hollande et l’Occasionalisme de Malebranche.
Mais on aurait tort de croire que ce trait personnel est totalement déconnecté de la réalité nationale. Outre le fait qu’il prend racine dans une tradition théologico-philosophique française, celle de Malebranche, cette inclination correspond à une caractéristique culturelle bien française. En effet, comme le prétend Bruno Pinchard Les Français sont des occasionnalistes. Mais le savent-ils toujours ?
IV. Répercussions libyennes.
Reprenons le fil de nos propos sur le Mali, en opérant une courte digression sur la Libye. L’aveuglement libyen de Nicolas Sarkozy, qui ne voulut pas voir les liens organiques entre la Jamahiriya libyenne et ses États voisins, en particulier le Mali, est lourd de trop de conséquences.
Outre qu’elle partage une longue frontière avec le Mali, la Libye avait été une terre de refuge pour les Touaregs maliens, après 1980, où nombre d’entre eux furent enrôlés dans les armées de la Jamahiriya. Et nous savions le rôle de médiateur que le Colonel Kadhafi tenait dans la vieille crise entre Bamako et l’Azawad.
Fallait-il être grand clerc pour imaginer qu’une déstructuration de la Jamahiriya aurait mécaniquement une répercussion sur le Mali, déjà fragile ? Qui ignorait la présence de Djihadistes dans les Sahel ? Mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, surtout s’il est entouré de conseillers muets. Ainsi, la confusion organisée en Libye, dont nous n’avons pas fini de payer le prix, a gagné le Mali en y produisant des détonations bien plus fortes.
A présent, au Mali, mélangé, tout est mélangé, pour reprendre le mot d’une caricature ivoirienne. M. Nicolas Sarkozy et les Nations Unies ont tapé dans la Jamahiriya comme on frappe du pied une fourmilière. Il y avait d’autres options.
Ainsi ont-ils indûment armé les opposants et accepté la mobilisation de Djihadistes qui avaient en horreur le Livre Vert, dont la ligne politique est socialiste et la vocation affichée était de se substituer à la Sunna. Que croyons-nous qui devait arriver ? Car le colonel Kadhafi, bien informé des équilibres de la sous-région, avait averti.
Mais, les prophètes des flatteries, la cohorte des spécialistes de l’Afrique et un philosophe fatigué dirent en chœur leur exodos : » regardez, peuples de la terre, comment un dictateur n’est qu’un menteur et de quelle manière il est puni ». Bossuet a raison de dire que tout prince doit se défier de ses conseillers qui donnent des conseils pour eux-mêmes.
Par exemple, très fatigué, Bernard Henry Levy conseillait Nicolas Sarkozy pour lui-même, comme le montre si bien les Guignols de l’Info. Aujourd’hui, s’agissant du Mali, tous ces conseillers ont « trouvé » une nouvelle cause explicative : la question Touareg. Mais au Mali, le problème premier et le seul, c’est le Mali.
V. Les cinq crises maliennes.
La Crise malienne est une dialectique de cinq grandes crises, qui ont formé un écheveau difficile à démêler. Énumérons ces crises :
Tout d’abord, une « crise politique » sans précédent, dont nous avons rappelé les grandes lignes (faillite de l’État, dépouillement de la République et extinction de la Démocratie), qui débute avec le coup d’état militaire du 19 novembre 1968 ;
Ensuite, une « crise sociale » marquée par le sous emploi et la précarisation constante des populations et la formation d’une diaspora de travail ;
Puis, une « crise de la religion » qui, d’un côté, voit s’affronter l’Islam africain (laïc et tolérant) et l’Islamisme d’origine moyen-orientale (salafisme djihadiste), et, de l’autre, fait peser une menace sur la petite communauté chrétienne.
En outre, une « crise »raciale » » ou plus exactement phénotypique entre Arabes et Noirs, sur le modèle du Soudan, dans laquelle prévaut l’argumentation ethniciste qui peut être conçue à bon escient, comme le fait Ed. Bernus lorsqu’il affirme que le pays Touareg [...] constitue un pont entre le Maghreb et l’Afrique noire, ou alors pour susciter de stupides conflits ethniques, en agitant les différences phénotypiques comme autant de facteurs essentielles.
Enfin, la « crise du transit des narcotiques » mis au jour par la »stupéfiante » aventure du « Boeing 727 de la coke », et qui vise à faire du Sahara (donc depuis l’intérieur du continent) le point d’escale le plus court pour l’écoulement de la cocaïne vers l’Europe, avec l’abandon des voies maritimes plus longues et mieux surveillées.
La dialectique de ces cinq crises (influence réciproque des causes, interaction des facteurs, relance des effets, des contradictions et les évolutions inhérentes à ce processus) donne à la Crise malienne une dimension spécifique, lui confère son caractère particulier et détermine sa force de propagation sous-régionale voire au-delà.
C’est cette dialectique, où la corruption est le ferment et le facteur déterminant, qui a fait s’effondrer le Mali, après la Guinée-Bissau. Dans les mêmes circonstances, des causes identiques produisent les mêmes effets.
Par suite, si rien n’est entrepris, comme rien n’a été fait en Guinée-Bissau, un troisième pays de la sous-région s’écroulera.
Tout comme la Guinée-Bissau qui, à force d’ajustements structurels, de gabegie, d’une armée dévoyée, de tensions interethniques et de politiques publiques inadaptées, a été livrée au narcotrafic, le Mali est en passe d’être abandonné au narcotrafic et aux Islamistes. L’ouest africain en sera déstabilisé.
Aqmi croît dans le terreau de cette quintuple crise. Et toute l’Afrique de l’ouest, qui constitue un vaste ensemble géographique, historique et anthropologique est directement concernée.
Tous les pays, tous les Etats y ont un lien organique et structurel. Tel est « l’effet papillon » : un événement dans l’un de ces pays affecte tous les autres.
La Crise ivoirienne l’a bien montré. Si « la planète est un village », l’Afrique de l’ouest est un quartier, dans lequel se déroule des batailles qui ne sont que des épisodes de la grande guerre ouest-africaine.
La Côte d’Ivoire, grand éléphant de verre, signale déjà dans sa région nord la présence d’éléments djihadistes.
A titre préventif, elle devrait s’instruire de la Crise malienne et faire son unité nationale. En effet, si le Mali n’avait pas laissé croître la « Question Touareg », Aqmi n’eut pas été aussi fort. Toute division nationale et les guerres civiles qui en découlent sont des brèches profondes.
Qui peut croire que la Côte d’Ivoire, poumon économique de la Cedeao, n’est pas ou ne sera pas à court terme une cible ?
Le Burkina Faso, quelque peu affaibli, lui est historiquement lié, tout comme le Libéria, qui se remet difficilement d’une odieuse guerre civile, et le Ghana, le frère rival, qui forme un tout avec le vacillant Togo et le Bénin qui demeure un point d’appui, « mais, pour combien de temps encore ? ».
La Côte d’Ivoire est également rattachée à la Guinée-Conakry, pays en équilibre précaire, qui forme un sous-ensemble avec la Sierra Léone en situation délicate.
Le Sénégal, vitrine démocratique, est à quelques encablures du Mali, avec lequel il fut lié fédéralement dans un passé récent. Qui tient Bamako, menace directement Dakar. Qui dirige Bissau peut provoquer Dakar (crise de la Casamance) et inquiéter Banjul (Gambie) ou vice-versa, car ces trois capitales appartenaient à l’ancien empire du Cayor.
Le Sénégal doit faire sa concorde nationale mise à mal par les dernières présidentielles. La Guinée-Bissau, elle, est déjà paralysée. La Gambie, petite enclave, ne résistera pas aux secousses.
La Mauritanie, instable, liée au Sénégal, doit craindre sa « malisation », en raison des tensions entre Noirs et Arabophones.
Le Niger, outre la famine, ne supportera pas le basculement du Mali. Le Cap Vert est à part, protégée par la mer et une classe politique responsable. Le Nigéria, géant de la sous-région, n’a pas vaincu Boko Haram. Que peut-il au Mali, le plus fragile de tous les États ?
Plus au nord, d’après le bornage rectiligne du 8 mai 1983, l’Algérie partage 1400 kms de frontières avec le Mali. Mais pourquoi s’engagerait-elle à l’extérieur de ses frontières, de façon directe dans un conflit qu’elle a externalisé et dont elle est à peine sortie ?
Sous ce rapport, comment ne pas se demander si la surprenante prise d’otages sur le site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, ne vaut pas comme un avertissement direct adressé à l’Algérie, pour qu’elle reste neutre dans les conflits qui sont en cours au Sahara, au risque de devoir subir la paralysie de son principal secteur d’activité ?
Pour l’Algérie, la crise malienne vaut-elle la mise en jeu de son moteur de sa croissance ? Et si cette épineuse question était celle que pose Aqmi à l’Algérie ? Il semble que ce soit probablement là l’enjeu de cette prise d’otages, sinon comment l’expliquer ?
A l’avertissement djihadiste, les autorités algériennes ont répondu par une brutalité inouïe. Dès lors, les modalités d’intervention de l’armée algérienne, le choix du matériel militaire (armes lourdes, chars de combat, hélicoptères, etc.) et la nature du résultat de cette opération (plus de morts d’étrangers que de terroristes) indique pour toute réponse un équilibre de la terreur.
Le statu quo serait une intention doublement partagée. Notons donc que l’Algérie et tout comme la Mauritanie sont sur des lignes de prudence.
La moitié du continent africain est directement concerné par la crise malienne, avec l’implication massive du Tchad (2.000 soldats) et du Burundi, l’Afrique centrale est engagée. Par le jeu des menaces et des alliances cette crise nous amène à la première guerre continentale africaine, qui ne laissera pas indifférent le Moyen Orient et l’Occident.
VI. Que peut la France ?
Que peut la France ? Cent guerres et cinq cent batailles, en deux mille ans d’histoire. Une incontestable tradition militaire faite de victoires éclatantes et de lourdes défaites. Que peut-elle, dans une guerre sans bataille ? Bien peu et beaucoup à la fois.
La guerre du Mali, qui n’en est qu’à des débuts, tend à être longue et difficile, en raison même de sa nature. Elle prolonge la crise libyenne avec laquelle elle entretient des rapports complexes.
En outre, le coût quotidien de l’engagement militaire français est plus important qu’on ne le dit. Il est à minima de deux millions euros/jour, selon les experts que nous avons consultés, ce qui le rend insupportable au regard des contraintes budgétaires.
Une année de guerre au Mali absorberait la totalité du budget des Opérations Extérieures (Opex), soit huit cents millions d’euros. En outre, le risque d’enlisement est réel, si le Tchad ne prend pas la relève. Et dès lors que les Djihadistes passeront à la guerre de guérilla (retraits des villes et bourgs, harcèlements des casernes, attentats suicides, etc.), le rapport de forces pourrait s’équilibrer.
Or, la France s’est mise en première ligne, sans qu’elle ne sache comment se retirer. Sun Tzu enseigne que l’on entre dans une guerre, quand on sait d’avance comment en sortir. Mais, pour envisager une fin, encore faut-il que l’action conduite ait une finalité.
La difficulté ici tient dans le fait que la « situation d’urgence » invoquée pour justifier la rapide et soudaine implication française au Mali n’est pas la cause occasionnelle ni ne peut être un but.
En tous les cas, s’il faut féliciter la France d’avoir arrêté l’avancée des troupes djihadistes, et si nous ne sommes qu’au début d’une des guerres ouest-africaines, la question reste entière de savoir qui sauvera le Mali, si l’on admet qu’aucun peuple n’a jamais été libéré par un autre ?
C’est aux Maliens qu’il revient de sauvegarder le Mali, avec le concours d’alliés.
Pour lors toutes les institutions publiques maliennes sont « tombées » et restent dans un état de délabrement. Seuls l’ardeur citoyenne et les combats républicains pourront les redresser. L’amour de la patrie, dit Montesquieu, corrige tout.
Rien, en matière historique, n’est désespérant. Aucune nuit n’arrête l’aube. Le crépuscule du matin est une conquête toujours recommencée. Là où naît le danger, croît aussi ce qui sauve. Rien n’est impossible à un peuple libre ou qui combat pour sa liberté, parce que libre. Nul joug ne résiste au souffle puissant d’une nation qui combat pour être.
VII. Quatre propositions pour une sortie de la Crise malienne.
Napoléon, qui sut ce qu’est vaincre des peuples, mais aussi ce qu’est être vaincu par des peuples, fixa dans son testament politique, au terme de sa folle course impériale, une pensée : l’histoire est la seule philosophie. En nous gardant de donner des leçons de patriotisme aux Maliens, qu’il nous soit cependant permis de faire quatre suggestions politiques :
1°) la mise en place d’un Comité de Salut public qui, pour une courte période, concentrera tout le pouvoir exécutif, supprimant ainsi l’actuelle diarchie politico-militaire au sommet de l’État, entre un président « provisoire » et toléré, dont le Premier ministre est nommé par un capitaine-sans-projet.
L’une des missions essentielles de ce Comité de Salut public serait de procéder à une levée en masse de soldats maliens, d’organiser et de diriger l’armée dont la tâche essentielle sera de sécuriser les frontières actuelles ;
2°) instituer un changement politique, par la proclamation d’un régime parlementaire (sur l’exemple du Cap Vert), qui donne toute sa légitimité à un Premier ministre fort.
L’élection du Président de la République, au suffrage universel indirect (par les députés), et qui ne peut être que d’origine Touareg, pour les deux mandants suivants. Car il faut savoir mettre un terme aux courses présidentielles sur fond ethnique ;
3°) sur la base d’une stricte séparation des pouvoirs, la représentation nationale malienne devra reprendre l’initiative des lois, autant que durera le Comité de Salut public. En outre, la Justice et le quatrième pouvoir devront être réellement indépendants.
Sans cette mesure, qui fonde l’objectivité des institutions, il sera impossible d’éradiquer la corruption qui est le mal le plus profond.
Cette vaste réforme institutionnelle, conjointement impulsée par le Comité de Salut Public et la Justice (l’esprit de modération), permettra de poser les fondements de l’idée de l’État, d’enraciner les deux grandes valeurs de la République, la vertu et la frugalité.
Il n’y a que la mise en œuvre simultanée de l’idée de l’État, du sentiment de vertu et de la volonté de frugalité qui puisse faire de la Démocratie une coutume par laquelle pourront être organisées des élections libres et le règlement de la question Touareg ;
4°) sous la double initiative de l’Union Africaine et de l’Union Européenne, il sera nécessaire de procéder à la suppression immédiate de toutes les dettes publiques externes et à la suspension de tout ajustement structurel.
Sans cette réforme de justice sociale, non seulement il ne peut y avoir d’État viable au Mali, mais le Mali ne saura conduire de lutte efficace contre les Narcotrafiquants et Aqmi.
VIII. Conclusion.
Le désert croît, disait Nietzsche. Cette parole résonne autrement aujourd’hui, en Afrique, pour se laisser entendre comme la décroissance de L’État. Le Sahara, une fois de plus, surgit comme un destin.
Telles sont les considérations d’ensemble que suscite la Crise malienne. Celle-ci marque un tournant décisif, dont le risque majeur est de voir les États africains s’effondrer.
Et devant le grand péril, la pensée est le plus grand recours, qui précède le courage, cet exercice de la volonté. Penser la Crise malienne, c’est revenir à ce qu’est l’essence de l’État qui est trop peu méditée par les intellectuels africains. Hegel a consacré maintes recherches sur ce qu’est L’État.
Peut-être les Africains gagneraient-ils, enfin, à questionner le plus puissant philosophe de son temps, lorsque, dans les Leçons qu’il lui a consacrées, il a présenté L’État comme la Raison. Écoutons, ce qu’il dit de son ouvrage :
Ainsi, dans la mesure où il contient la science de l’État, ce traité ne doit être rien d’autre qu’un essai en vue de concevoir et de décrire l’État comme quelque chose de rationnel en soi [...]
Si ce traité contient un enseignement, il ne se propose pas toutefois d’apprendre à l’État comment il doit être, mais bien plutôt de montrer comment l’ Etat, cet univers éthique, doit être connu.
L’État ne se laisse connaître que comme idée, mais une « idée » effective qui mène le monde. Comble de guigne, il n’y a pas de culture d’État ou d’idéalisme de l’État en Afrique. Aussi peut-être même est-ce dans cette « crise de la connaissance » que la Crise africaine demeure dans toute son ampleur. Le Mali le montre. Mais ce pays, qui n’est plus un pays-État, voudra-t-il s’élever à cette idée ? Et s’il le veut, le saura-t-il ?
Mably a donné la clé de cet idéalisme politique : l’union de « l’amour de la liberté » et de « l’amour des lois », qui doit devenir le principal objet de la politique. Mettre en pratique politique cette union, c’est surmonter le destin qui préoccupait tant mon vieil ami, Jean-Pierre Ndiaye, dont je salue la mémoire.