Ces derniers vont alors tenter un coup d’Etat beaucoup plus sophistiqué pour renverser l’ingérable Kabila. Ils se souviennent des accords d’Arusha, qui, autour du tapis vert diplomatique, avaient légitimé, sans en référer au peuple rwandais, la rébellion militaire du FPR sur la scène internationale, et exigé du régime Habyarimana d’accepter un partage du pouvoir à parité avec le mouvement ultra minoritaire. Comme naguère avec le président rwandais Habyarimana, la «communauté internationale» accepte donc d’aider Kabila à condition que celui-ci organise son propre suicide !
En juillet 1999, menacé par les troupes rwandaises à Mbuji-Mayi, dans la province du Kasaï oriental, capitale du diamant, Kabila accepte de signer les accords de Lusaka qui entérinent la rébellion soutenue par Kigali et Kampala et reconnaissent aux rebelles qui pillent le pays le statut de forces démocratiques.
Placés à égalité avec les forces intérieures et la société civile, ceux-ci engagent un dialogue national en vue d’une transition démocratique, visant à terme à évincer Kabila. Les parrains de l’accord- essentiellement Washington, Kigali et Kampala-, qui avaient poussé Kabila à prendre le pouvoir, ne lui reconnaissent plus une parcelle de légitimité.
Les forces rebelles téléguidées par le Rwanda et l’Ouganda réussissent à être placées sur le même pied qu’un gouvernement reconnu par la communauté internationale. Le pari des promoteurs de l’accord est simple : l’addition des mouvements rebelles et des partis politiques opposés à Kabila doit aboutir à mettre le Mzee en minorité. Même scenario qu’à Arusha. Kigali, Kampala et Washington parviennent aussi à disqualifier les principaux soutiens de Kabila (l’ex-FAR, devenues FDLR) en les traitant de «forces négatives».
Cet accord inique laisse de surcroît deviner la volonté des parrains : il faudra accepter le partage du pays, notamment la sécession de l’Est. Et, comme à Arusha, toute l’économie de ce marché de dupes consiste à faire portersur Kabila-comme, hier, sur Habyarimana-la responsabilité des blocages de la situation zairoise.
L’International Crisis Group estimera deux ans plus tard : «Le dialogue était surtout destiné à affaire Laurent-Désiré Kabila et à renforcer la légitimité politique des mouvements rebelles en tant qu’interlocuteurs prioritairesdu gouvernement de Kinshasa pour trouver une solution au conflit.»
Derrière ce coup d’Etat diplomatique, il n’est pas difficile de retrouver la patte des principaux artisans du redécoupage de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique centrale depuis la chute du Mur de Berlin. Le «facilitateur» en a été sir Ketumile Masire, ancien président du Botswana (1980- 1998), dont toute la politique reposait sur une étroite alliance avec De Boers, la principale société diamantaire du monde, avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis -auxquels il avait donné l’autorisation de construire l’immense base militaire de Mapharananwane, comprenant notamment une base d’écoutes couvrant l’Afrique australe.
Le projet d’accord a été piloté par Philip Winter, fonctionnaire britannique spécialiste de la région des Grands Lacs. Et l’homme de l’ombre de l’accord est Howard Holpe, un personnage qu’Israël avait mobilisé dans son soutien à Mobutu dans les années 1980 ; il est là cette fois pour le compte de l’administration Clinton.
C’est lui qui, au cours de réunions secrètes tenues à l’hôtel Livingstone, à Pretoria, en juin 1999, reçoit les émissaires du RCD-Goma, rencontre Kagamé et Museveni, mais aussi Mandela et Mbeki ; lui encore qui rédige le texte de l’accord, transmis à Bill Clinton, Madeleine Albright et Kofi Annan via l’ambassade américaine à Pretoria.
Museveni et Kagamé utilisent avec Kabila la même tactique qu’avec Habyarimana, le talk and flight : négocier un accord de paix n’empêche pas de continuer à faire parler les armes. Après la signature de l’accord de Lusaka, ils n’ont pas renoncé à le renverser par la force. Pas plus que les Etats-Unis, qui, durant l’été 2000, ont décidé d’en finir.
Par le plus grand des hasards, j’ai été moi aussi témoin de choses pour le moins bizarres qui ont très probablement un rapport direct avec l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila. J’ai séjourné à Kinshasa du 14 au 21 mai 2000. Le principal objectif de mon séjour était de rencontrer Jean-Bosco Ngalina, que je considérais- et considère toujours-comme le véritable témoin numéro 1 dans l’instruction sur l’attentat contre le DC10 d’UTA, survenu le 19 septembre 1989 au-dessus du désert du Ténéré.
Galina était un militant zaïrois anti-mobutiste qui, réfugié à Brazzaville, était devenu un collaborateur de plusieurs services secrets installés dans la capitale du Congo. Son témoignage contredit les conclusions du juge Bruguière-et du jugement par contumace-qui désignent le colonel Kadhafi comme le commanditaire de l’attentat.
Quelques heures après mon arrivée, j’ai compris que des Américains étaient au courant de mon voyage et que ma venue ne leur plaisait pas. Ngalina avait en effet été contacté et on l’avait mis en garde contre moi en lui disant que j’étais un agent Libyen venu à Kin pour le tuer.
Le premier contact avait été le fait d’un Américain noir qui s’était présenté comme un steward. Le second, par Bob Swing lui- meme, l’ambassadeur américain à Kinshasa, connu pour ses liens avec la CIA.D’alléchantes propositions pour venir aux Etats-Unis avaient été faites à Ngalina et à son collaborateur : carte verte, argent, embauche…
De façon accidentelle, je m’étais alors probablement approché d’une affaire encore plus sensible que celle du DC 10 d’UTA-c’est ainsi que je relis aujourd’hui les bizarreries survenues lors de mon séjour à Kin. Une affaire dans laquelle il y avait déjà eu de nombreux morts.
Sources : Carnages (Pierre PEAN)