GAO (Mali) - Ils ne savent pas toujours d`où leur venait "ce courage", pourtant des habitants ont résisté aux jihadistes qui tenaient la ville de Gao, dans le nord du Mali. Mais au fil des mois la terreur islamiste avait eu raison de Gao la frondeuse.
A coups d`initiatives individuelles, mais aussi collectives, la cité (1.200 km au nord-est de Bamako) prise totalement par le Mouvement pour l`unicité et le jihad en Afrique de l`Ouest (Mujao) en juin 2012 fit front, à sa façon, aux salafistes et à leur vision ultra rigoriste de la charia (loi islamique).
Les femmes, auxquelles l`implacable police islamique entendait imposer le voile intégral, étaient parmi les réfractaires.
Agaïchatou, mère quadragénaire de six enfants, a eu une attitude radicale. "Un jour, je lavais le linge au fleuve et ils m`ont dit que c`était interdit, alors je me suis mise toute nue face à eux, et ils ont fui les lieux. Depuis, de nombreuses femmes ont utilisé cette arme pour continuer à se baigner dans le fleuve", raconte-t-elle à l`AFP.
Mais il aura fallu l`entrée à Gao des soldats français et maliens le 26 janvier, et le départ des islamistes, pour que filles et femmes puissent descendre sans crainte dans les eaux du Niger.
"J`ai une fois traité de +chien+ un élément du Mujao qui me reprochait
d`avoir mal couvert ma tête, et il ne m`a rien fait", dit fièrement Mariama, une vendeuse de légumes au grand marché.
En ces heures sombres, fumer devenait aussi un acte de bravoure. "Plusieurs jeunes fumeurs ont été bastonnés maintes fois pour récidive. Jusqu`à l`intervention française, certains ont continué à braver l`interdiction de fumer", assure Abdoulaye, marchand ambulant.
Les habitants avaient pourtant d`abord bien accueilli le Mujao, après la fuite des rebelles touareg laïcs du Mouvement national de libération de l`Azawad (MNLA), accusés de multiples exactions depuis leur arrivée quelques
mois plus tôt. La charia fut alors largement perçue comme un moyen d`en finir avec le désordre.
"Mais la cassure avec la population s`est opérée lorsque (les hommes du Mujao) sont passés à l`acte en amputant des mains et des pieds en public: c`était alors le début du choc et de la panique", explique Ibrahim Abdoulaye, une figure de la société civile.
Gourdins contre "armes lourdes"
Dans cette ville qui fut l`une des plus animées de la région, le Mujao a vite subi une résistance, et a dû composer durant un temps. Dès mai-juin, des manifestations populaires anti-islamistes avaient éclaté, faisant au moins un mort et des blessés.
Moussa Boureima Yéro coordonnait des "brigades de vigilance", des civils qui patrouillaient pour "sécuriser" la population "face à la force d`invasion qu`était le Mujao".
"Une nuit, nous nous étions opposés à la destruction d`une villa privée, ils ont tiré sur la foule et tué par balle l`un de nos camarades et blessé deux autres", relate-t-il, vibrant de colère.
"Nous ne savons pas d`où nous venaient cette détermination, ce courage", lâche ce trentenaire.
Cependant, de son propre aveu, le mouvement "s`est essoufflé au bout de quelques mois": gourdins et bâtons n`ont pas tenu face aux "armes lourdes et sophistiquées" et à l`argent des jihadistes, qui ont fini par imposer leur loi dans toute sa rigueur.
Les médias locaux ont été également en première ligne. Des journalistes ont été tabassés et "certaines radios ont fermé volontairement pour ne pas avoir à collaborer", selon Moussa Boureima Yéro.
Des religieux ont fait aussi entendre leur différence.
"Les oulémas de Gao n`ont jamais approuvé leurs actes et ils ont clairement dénoncé cette version de la charia non conforme au Coran", souligne Ismaël Maïga, enseignant dans une "madrassa" (école coranique).
Toutefois, déplore-t-il, "les citoyens n`avaient pas de force et de moyens de se défendre. C`était la loi du plus fort".