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Opposition : L’alerte avant la tempête sociopolitique
Publié le mardi 24 mai 2016  |  Le Matin
Marche
© aBamako.com par A.S
Marche de l’opposition
Bamako, le 21 mai l`opposition a organisé une marche




L’opposition malienne a mobilisé près d’un millier de manifestants dans les rues de Bamako pour dénoncer la «mauvaise gouvernance» du pouvoir. A Paris (France), les Maliens ont aussi massivement manifesté pour signifier au régime leur déception. C’est finalement à une véritable «Marche citoyenne» à laquelle on a assisté à Bamako et à Paris où beaucoup n’étaient pas dans la rue par appartenance à l’opposition, mais parce qu’ils souffrent et sont déçus de la gestion actuelle du pays. Et surtout ce message que le pouvoir doit retenir de la marche et du meeting du 21 mai 2016.

Marche du 21 mai : L’opposition joue sa crédibilité» ! Avait titré l’hebdomadaire indépendant, «Aujourd’hui-Mali» dans sa parution du vendredi dernier, par rapport au mouvement de protestation de l’opposition.



Les organisateurs se devaient donc de relever le défi de la mobilisation pour ne pas politiquement perdre la face. Un pari gagné car, dès les premières heures de la matinée, la Place de la Liberté (centre de Bamako) a été pris d’assaut par des militants des partis d’opposition déversés par des véhicules de transport en commun.

Des centaines de Maliens étaient au rendez-vous des leaders des différents partis de l’opposition. Soumaïla Cissé (URD), Tiébilé Dramé (PARENA), Sadou Harouna Diallo (PDES), Daba Diawara (PIDS)… Bref, ils étaient presque tous au rendez-vous sauf l’ancien Premier ministre et président des Forces Alternatives pour le Renouveau et l’Emergence (FARE), Modibo Sidibé. Mais, des hauts dignitaires de ce parti étaient aussi au rendez-vous comme le premier vice-président, Souleymane Koné, et le député Bakary Wôyô Doumbia.

Des élus nationaux, des anciens ministres et plusieurs associations de la société civile ont également pris part aussi à cette initiative de l’opposition malienne.

«Non à la corruption, non à la surfacturation, non à la vie chère» ; «Non aux autorités intérimaires», «non au fédéralisme», «oui à l’unité nationale», « Mieux outiller les Famas pour sécuriser les personnes et leurs biens»… étaient, entre autres messages que l’on pouvait lire sur les pancartes.

Si au départ, les marcheurs étaient estimés à plus d’un millier par les organisateurs (entre 500 et 800 personnes selon la police), les rangs ont été grossis par les retardataires.

Mauvaise gouvernance, patrimonialisation de l’État, dilapidation et détournement des deniers publics, surfacturations, pilotage à vue des affaires publiques, mépris vis-à-vis du peuple… ont été dénoncé par les opposants à l’arrivée au Monument de l’Indépendance où la marche a pris fin.

Des «Hassidi» à prendre au sérieux

«Nous sommes là parce que ça ne va pas. Et pourtant nous avons alerté. Nous avons toujours dénoncé toutes les dérives qui caractérisent la gouvernance de notre pays. Et pour toute réponse nous avons eu le mépris des autorités. Nous avons été traités d’apatrides, de hassidi (hypocrites)», a déclaré Soumaïla Cissé dans une déclaration lue à la fin de la marche.

«Notre Mali connait de terribles souffrances sociales, persistantes déviances affairistes, des misères économiques grandissantes des méfiances inquiétantes de la communauté internationale et des investisseurs», a-t-il ajouté.

Le Chef de l’opposition a dénoncé «plus de 30 mois d’immobilisme voire de recul qui ont anéanti l’espoir, le bonheur et l’honneur tant promis».

«Notre peuple n’aspire qu’à la paix, à la quiétude dans la solidarité et le partage. C’est pourquoi nous avons invité les Maliennes et les Maliens de tous bords, ce matin à la Marche pour le Mali».

Selon l’opposant, cette initiative visait à faire entendre le «cri de désespoir» d’un peuple meurtri et en quête de son honneur et de sa dignité. «La vie est de plus en plus chère. La crise économique et financière frappe les populations de plein fouet empêchant les ménages de vivre décemment», déclare Diarra Bintou Diarra, restauratrice, pour expliquer sa présence.

«Les entreprises sont à terre, le chômage des jeunes est devenu endémique malgré les emplois fictifs dont se vante le gouvernement. Sans compter que les coupures d’électricité et les pénuries d’eau sont monnaie courante, ainsi que l’insécurité et l’insalubrité qui sont le lot quotidien des populations… Les Maliens souffrent et l’avenir de leur pays est plus que jamais incertain», déplore Idrissa Dramé, un jeune diplômé reconverti dans le commerce informel.

Le dépit politique est aussi réel

«Je n’appartiens à aucun parti politique au Mali pour la simple raison que j’ai été déçue par un système et ceux qui l’animent. Mais, aujourd’hui, je suis fière de ce Mali en marche… Il n’est pas sûr que ceux qui mènent la marche aujourd’hui feront mieux que IBK, mais le peuple lui doit être là pour leur rappeler à tous que s’ils sont au sommet c’est parce qu’il les a mis là», souligne Aminata Tall, une jeune journaliste travaillant dans l’humanitaire.

«Le peuple semble enfin comprendre son devoir et prendre conscience de son pouvoir. IBK ou un autre, c’est le devoir du peuple de prendre ses responsabilités», analyse la jeune femme engagée dans la prise en charge des enfants souffrant de troubles envahissants du développement (TED).

Pour les organisateurs, «le peuple s’est exprimé contre la mauvaise gouvernance» du président Ibrahim Boubacar Kéita.

«Je ne suis ni de l’opposition ni de la majorité parce qu’elles rivalisent dans la conquête du pouvoir afin de mieux s’approprier les richesses du pays», ajoute-t-il.

Un dépit politique largement partagé dans la capitale malienne. «Nous vivons entre l’enclume et le marteau, constamment manipulés par ceux qui dirigent et ceux qui cherchent à diriger», ajoute-elle.

«Le mérite revient surtout aux autorités maliennes qui ont autorisé cette marche de l’opposition. Ceci montre que nous ne sommes pas sous une dictature comme cela se fait entendre, mais sous un pouvoir démocratique qui respecte les règles de la démocratie», souligne pour sa part Salif Kéita, un jeune leader de la jeunesse du RPM (Rassemblement pour le Mali, parti présidentiel).

Quelle sera la suite de cette marche ? «Nous disons au gouvernement encore une fois attention, attention, attention ! Restons vigilants et mobilisés», a averti Soumaïla Cissé.

Mais, ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’au-delà du pari de la mobilisation gagné par les leaders de l’opposition, cette marche est une expression citoyenne. Une alerte, un avertissement, un message d’un peuple en désarroi, une nation désespérée de ne plus voir le bout de tunnel comme promis en 2013 lors de la campagne pour les présidentielles.

Affronter la réalité et non la nier

Nier la réalité est la pire des stratégies pour un leader politique. La mobilisation a dépassé de loin ce que l’on pouvait imaginer. Et cela malgré tout ce que la majorité et le gouvernement ont mis en œuvre pour faire échouer la marche. De Bamako à Paris, les Maliens ont exprimé leur ras-le-bol général leur dépit de la gestion actuelle de leur nation.

Les raisons de la déception, de la colère sont nombreuses comme exprimées sur les banderoles et les pancartes. Nous avons surtout retenu, «Le Peuple a faim».

Les Maliens ont faim car manger décemment est un rêve inaccessible pour la grande majorité d’entre eux. De la pauvreté, nous sommes majoritairement passés à la précarité, à la misère au point que nous sommes nombreux à hypothéquer de nos jours l’honneur et la dignité pour vivoter.

Oui, le peuple a faim ! Il a faim de justice, d’équité et d’égalité, d’unité et de paix… Bref d’une meilleure gestion du pays. Les Maliens ont faim parce que les promesses politiques continuent à être des mirages. Tout comme l’immense espoir qui s’était traduit en plébiscite (77,6 %) pour Ibrahim Boubacar Kéita.

De l’espoir, les Maliens sont passés à la déception, puis à la colère. A ce rythme, la révolte n’est qu’une question de temps. Et cela est la conséquence de l’autre réalité que le Chef de l’Etat ne doit pas continuer à nier : la mauvaise gestion du pays ! Le pays est mal géré, très mal géré parce que le Chef de l’Etat s’est embourbé dans des considérations familiales et politiciennes.

Plus de la moitié du gouvernement actuel n’apporte rien à la prise en charge des préoccupations des Maliens dans leur secteur. Et les rares ministres qui sont réellement compétents et ont réellement envie de mettre la main à la pâte pour relever les défis rencontrent toute sorte d’obstacles pour ne pas pouvoir se distinguer.

La dernière réalité à admettre est venue du côté du Palais de la culture Amadou Hampâté Bâ où un grand meeting de réconciliation, «An ka ben» (Entendons-nous, donnons-nous la main) a mobilisé les partisans et sympathisants de tous les anciens présidents du Mali démocratique (Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré, Dioncounda Traoré et Ibrahim Boubacar Kéita).

Et ce n’est pas un fait du hasard si on n’y a retrouvé aussi une grande partie de ceux qui avaient marché dans la matinée : quel que soit le bord politique, les Maliens aspirent à la paix, à l’unité et à la réconciliation des cœurs ainsi que des acteurs politiques.

Et cela commence par le retour au bercail du président Amadou Toumani Touré dit ATT dont l’exil forcé est une honte pour la République et la démocratie maliennes. Il faut que ceux qui ont géré le pays se donnent la main aujourd’hui pour une véritable réconciliation des Maliens et un meilleur encrage de la démocratie.

Un message clair, sans ambages

Ce n’est pas la chasse aux sorcières ou les querelles de chapelles qui vont sortir le Mali de l’impasse actuelle. Et un adversaire n’est jamais trop dangereux que quand on tente de l’humilier, de l’ignorer ou de le mépriser.

Et pour certains observateurs, cette marche de l’opposition a été «une réussite totale» et un vrai avertissement pour le pouvoir en place. «Le Président IBK, pour conserver son fauteuil jusqu’à la fin du mandat, doit comprendre que son peuple a besoin du sang neuf et des hommes crédibles pour déclencher le vrai chantier de développement et du changement tant souhaité et attendu par les Maliens», conclu un diplomate africain en poste à Bamako et qui a requis l’anonymat.

A les écouter, beaucoup de manifestants ne sont pas sortis à cause de l’argent ou à cause de la confiance en l’opposition dont, dans le temps, les leaders ont aussi échoué. Mais, parce qu’ils souhaitent voir enfin le vrai changement avec de nouvelles têtes crédibles qui vont donner une nouvelle orientation à cette nation tourmentée.

Le message est d’une clarté sans ambages !

Moussa Bolly
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