Après la grande mobilisation à l’appel de l’opposition républicaine le samedi 21 mai, le gouvernement malien, à travers Madame Diarra Raky Talla, le ministre chargé des Relations avec les Institutions, a cru bon de réagir aux propos tenus par les ténors de l’opposition à l’endroit du président de la République, des propos qui dénoncent « la mauvaise gouvernance des affaires du pays ».
En effet, dans une communication, le ministre Talla a appelé les leaders de l’opposition à plus de respect envers les institutions de la République dont le Président de la République. Cette sortie du ministre met en péril l’exercice démocratique garantie par la constitution de 1992, chèrement acquise par le peuple Malien à la suite d’une haute lutte. Loin d’être une première de la part d’un membre du gouvernement, les propos de la ministre Talla sont très mal placés dans un Mali qui aspire à devenir un grand model démocratique. Est-ce un retour en force du Mali dans le cercle des pays où la contradiction est bannie ?
Veut-on interdire à l’opposition son droit de contrôle qui est la critique de l’action gouvernementale où sa vision ? Veut-on empêcher ces hommes et ces femmes exprimés librement et franchement ce qu’ils pensent des questions d’intérêt national, en les faisant de simples « applaudisseurs » ou simples spectateurs de la scène politique devant les actes ou initiatives des animateurs des institutions de la République ?
Lorsque l’on jette un regard sur ce qui se passe dans des pays de vieilles démocraties tels que les Etats-Unis d’Amérique, la France, l’Allemagne… pour ne citer que ceux-ci, l’on constate que l’Opposition ne fait aucun cadeau à la majorité au pouvoir. Tout ce qui est dit et fait par la majorité au pouvoir en bien ou en mal, est systématiquement critiqué par l’Opposition, qui n’y voit qu’un enchaînement d’échecs.
Il y a là une « guerre » des idées, d’arguments rudes à l’assemblée, dans les médias comme dans la rue, chaque camp essaye de prendre avec ses preuves l’opinion publique à témoin pour s’attirer sa sympathie. Combien de fois n’a-t-on pas vu des propositions ou des projets de lois être retirés de la circulation par la majorité au pouvoir suite à la levée de boucliers de l’opinion publique, chauffée à blanc par l’Opposition ? Le droit à la diversité de vues est sacré. Le code de la famille a été retiré en son temps à cause de la pression de la société civile ici au Mali.
La signature des accords d’Alger a été à l’époque dénoncée par les tenants du pouvoir d’aujourd’hui. Nous savons que dans les démocraties modernes, le rôle de l’opposition ne consiste pas à jeter des fleurs aux tenants des affaires publiques mais plutôt à critiquer les actes contraires au développement du pays, des actions qui pourraient être dangereuses pour l’avenir du pays et des populations, de manière à justifier l’impératif d’une alternance politique à la première échéance électorale. De leur côté, les animateurs des institutions de la République ont l’impératif et l’obligation dans le cadre de l’exercice démocratique et républicaine de répondre aux critiques de l’Opposition sur deux fronts : celui des idées d’abord et ensuite celui des résultats.
En France, il n’est pas rare par exemple, de voire le président François Hollande faire face à des critiques souvent acerbes de la part de l’Opposition et cela pratiquement au quotidien. Qui ne voit pas ces dernières semaines en France la contestation gagnée son summum ? Le gouvernement Hollande est vivement contesté par les syndicats et l’opposition de droite à propos de la Loi El Khomri, la réforme du droit du travail déjà adoptée le 10 mai à l’Assemblée nationale par le recours de l’article 49.3 qui permet d’imposer un texte sans débat ni vote des députés. La contestation qui avait pris forme, au début, par des manifestations de rue s’exprime désormais par une guérilla du carburant. L’ex Président Nicolas Sarkozy n’a pas manqué de fustiger «le manque d’autorité de l’Etat et les promesses non tenues».
Le pouvoir malien veut –il se doter d’une société fermée, où ne serait toléré qu’un seul son de cloche ? Le gouvernement pour sa part doit répondre à l’opposition par des actes concrets pour mériter la confiance des populations. Cela passe par la prise en compte des préoccupations majeures des populations à savoir : le retour de la paix au Mali, la baisse des prix des denrées de premières nécessités, l’accès à l’eau et à l’électricité, la création d’emplois pour les jeunes, la lutte contre la corruption et la délinquance financière, la fin de l’immixtion de la famille dans la gestion de l’Etat etc. Faute d’actes concrets, le mensonge est obligé de s’ériger en système pour camoufler les tares du régime en perte de crédibilité auprès des populations...
Après les bévues de l’ancien ministre du développement rural, le Dr Boukary Tréta, tombé après en disgrâce, voici le tour du ministre du travail qui veut elle aussi justifier son attachement inconditionnel au président de la République pour camoufler son incompétence. Pourtant, son département vit des moments difficiles avec les grèves intempestives des travailleurs de la CSTM. Deux grèves ponctuées de marches, de quoi rappeler à Madame le ministre, sa mission de trouver une réponse aux préoccupations de ces nombreux travailleurs qui n’ont pas manqué de dénoncer son incompétence et son ignorance des textes.
Si les gens doivent être intimidés et n’osent plus s’exprimer publiquement, comment pourrait-on construire une société démocratique ? Si le bilan du pouvoir devrait passer dans l’opinion comme une lettre à la poste, le plus simple serait de mettre une croix sur toute consultation populaire par la voix des urnes. Le retour à « l’endossement » des candidatures par un parti unique, et aux élections par « acclamations», comme à l’époque de l’ex dictateur Moussa Traoré, serait plus conforme à la démocratie de l’ère IBK. D’ailleurs chaque jour qui passe, on comprend un peu plus, pourquoi l’ex dictateur a été sanctifié et élevé au rang de « grand Républicain » par le président IBK himself.
Madiassa Kaba Diakité