– Une enquête ouverte contre Moussa Mara et le chef d’état-major des armées Mahamane Touré
– Soumeylou Boubèye Maïga (presque) blanchi par les députés
La Commission d’enquête parlementaire sur la visite de Moussa Mara à Kidal les 17 et 18 mai 2014 a déposé son rapport sur le bureau de l’Assemblée nationale depuis octobre 2015. Mais l’opinion nationale et internationale vient d’avoir connaissance du contenu la semaine dernière via la presse nationale. Les conclusions du document sont sans nuage par rapport aux responsabilités des personnalités impliquées : d’abord, l’ancien Premier ministre et acteur principal de la tragédie, Moussa Mara ; ensuite le chef d’état-major des armées, Mahamane Touré. Tous deux reconnus coupables par les députés enquêteurs qui, par contre, donnent raison à Soumeylou Boubeye Maïga (ministre de la Défense et des anciens combattants au moment des faits). Soumeylou a toujours dégagé sa responsabilité dans ce massacre qui a coûté inutilement la vie à 56 militaires et 6 administrateurs civils maliens (bilan non officiel et non encore exhaustif).
ans ce dossier sur la visite de Moussa Mara à Kidal, il n’y a qu’à se référer aux recommandations de la Commission d’enquête parlementaire pour être suffisamment édifié sur les responsables de l’hécatombe des 17 et 21 mai 2014. Il s’agit, selon les enquêteurs, de Moussa Mara et de Mahamane Touré. En effet, la Commission d’enquête parlementaire recommande d’une part “l’ouverture d’une enquête judiciaire contre Monsieur Moussa Mara en sa qualité de Premier Ministre chef du gouvernement, dont la décision politico-administrative de visiter Kidal à tout prix, est à l’origine de l’assassinat de fonctionnaires et agents de l’État, de la mort banale des FAMAs et de l’éviction de l’État de Kidal “. Et d’autre part “l’ouverture d’une enquête judiciaire contre le chef d’état-major général des armées, Général Mahamane Touré, pour avoir engagé tous azimuts, les forces armées dans l’impréparation totale, ayant banalement entraîné des pertes en vie humaine d’agents et fonctionnaires de l’État, des FAMAs tués et blessés et la déroute humiliante de l’armée républicaine face aux groupes armés, actes dont il déclare, sans remord, assumer l’entière responsabilité, comme pour narguer l’impunité”.
La même commission, dans les mêmes recommandations, met sous condition l’ouverture d’une enquête judiciaire contre le ministre de la Défense d’alors Soumeylou Boubèye Maïga, “si les déclarations qu’il nous a faites s’avèrent fausses, à l’issue d’une confrontation avec le Premier Ministre sur : le ministre de la Défense déclare avoir informé le Premier Ministre du risque élevé d’attaque d’armée; celui-ci nie catégoriquement en avoir été informé d’une part, et d’autre part sur l’opération militaire programmée pour le 24 mai 2014 révélée par le ministre de la Défense, mais ignorée par le Premier Ministre, et celle du 21 mai 2014 prématurément élaborée et exécutée par le chef d’Etat-major général des armées, surprenant tous les ordres hiérarchiques”.
Ce n’est pas tout. Dans ses conclusions, la commission accable, à outrance, l’ancien Premier ministre et le chef d’état-major des armées, sans faire cas nulle part de l’ancien ministre de la Défense. La preuve.
Sur la base de la synthèse de ses travaux, la commission estime que l’Administration publique a été démesurément utilisée à des fins inavouées par un Premier Ministre inexpérimenté. Pour elle, “la visite à Kidal, relève plus d’une action préméditée de bravoure, dictée par des intérêts politiques du Premier Ministre Moussa Mara, que de s’enquérir du bon fonctionnement de l’administration dans cette localité, quand lui-même affirme dans sa déclaration que ” … la souveraineté à Kidal était partagée…”
En dépit des alertes et mises en garde formelles données à Gao, par le commandement des FAMAs présent à Kidal, par la Minusma et Serval et les témoins oculaires des éléments précurseurs, le Premier ministre refusa d’annuler sa visite sur Kidal le samedi 17 mai, ni de réduire la taille de la délégation. “Il faut en déduire que, ni le chef d’état-major général des armées, Général Mahamane Touré, ni le Premier ministre n’ont fait preuve de prudence”.
La commission dénonce l’entêtement et l’insouciance qui caractérisent le Premier ministre, son manque de respect et de considération pour les conseillers et leurs avis pertinents. “En effet, il ne fait aucun doute que le Premier ministre a disposé d’informations et de conseils opportuns, avant de prendre la décision de visiter Kidal, et poursuivre cette visite, en dépit des alertes formelles données à Gao et des évènements ayant précédé à la veille”, ajoute le rapport. Qui poursuit : “Dans son entêtement, le Premier Ministre Moussa Mara engagea alors l’État dans un processus dont il ne pouvait ignorer le niveau du risque élevé, eu égard à l’intérêt qui s’attachait à une telle visite. Il exposa visiblement l’Etat et ses subordonnés dans l’administration publique (fonctionnaires de l’État, militaires et forces de sécurité en place dont l’effectif soit 256 des FAMAs face à une estimation de 1.500 éléments des groupes armés) à un danger imminent et certain “. En définitive, à propos de Moussa Mara, la commission en arrive à la conclusion suivante : “Les déclarations contradictoires à ce niveau hiérarchique dans l’administration dénotent de graves dysfonctionnements dans l’appareil d’Etat, notamment :le non-respect des règles et procédures acceptables dans la prise de décision ou leur violation pure et simple ; la culture de la médiocrité, de l’aliénation gage de promotion dans l’arène de l’administration publique; l’irresponsabilité, encouragée par l’impunité devenue norme de gouvernance ; l’exécution tous azimuts sans discernement et en connaissance de cause, d’ordres et décisions voués à l’échec, pris par l’autorité hiérarchique au mépris du bon sens, ou normes de gouvernance acceptables “.
Quant au chef d’état-major général des Armées, il affirmé à la commission n’avoir pas suivi sur le terrain, le message de paix prononcé à la télévision nationale par le président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta lors de son discours à la Nation (avant le 21 mai 2014). Elle en déduit alors une grave décision unilatérale prise par le chef d’état-major général. En outre, celui-ci a déclaré “assumer l’entière responsabilité des évènements survenus à Kidal “.
Par conséquent, la commission estime que le Premier ministre, Moussa Mara, est responsable du désastre causé par sa visite à Kidal, pour avoir dans son entêtement, et en connaissance de cause, engagé l’Etat dans un risque démesuré. Le chef d’état-major général des armées, Général Mahamane Touré, en engageant les forces armées dans l’impréparation et la médiocrité totale, est tout aussi responsable de la débâcle de l’armée, de sa déroute humiliante, qu’il avoue à juste titre assumée, sans avoir en tirer les conséquences par une démission volontaire.Alors, les faits et les fautes ayant été identifiés, les responsabilités ont juste été établies par la commission: Mara et Touré accablés, Soumeylou (presque) blanchi.
A.B. HAÏDARA