Les soutiens les plus acharnés du pouvoir sont sortis, dans la presse et sur les réseaux sociaux, pour défendre l’image écornée et délavée de leur gouvernance du pays. À bien réfléchir, il doit y avoir de bonnes et sérieuses raisons pour que la clientèle se sente dans l'obligation de montrer un ennemi invisible qui en voudrait tant aux institutions et au peuple malien !
Le feu doit avoir déjà commencé à s'allumer ! Certains plumitifs, véritables scotch qui maintiennent notre démocratie en-deçà des progrès démocratiques réalisés par le peuple, dénoncent la campagne de déstabilisation - encore une - mais qu'on ne voit nulle part, qui viserait à ruiner le pays. Voilà comment on allie piteusement le destin d’un homme à celui d’un grand pays comme le nôtre.
À les entendre, le Mali n’est habité que par le seul clan de l’actuel locataire du Palais de Koulouba/Sébénincoro. Partis politiques satellites, société civile de connivence, associations de fabrique Rpm (Rassemblement pour le Mali, parti présidentiel), tous viennent de se joindre à la grande kermesse pour dénoncer la déstabilisation du pays.
Cette levée de boucliers est digne des années de plomb, du temps du parti unique où toute expression populaire était assimilée à un acte de subversion : les années Udpm (Union démocratique du peuple malien, parti issu du coup d’Etat militaire de 1968 contre le président Modibo Keïta).
Serait-ce porter atteinte à la souveraineté nationale, assimilable à de la haute trahison, de dire que la famille est trop impliquée dans la gestion des affaires publiques ; que les scandales de l’affaire de l’avion présidentiel, de la surfacturation du marché d’équipements de nos forces armées et de sécurité, de l’engrais frelaté et du projet des 1000 tracteurs surfacturés, ont décrédibilisé le Mali dans le concert des Nations ?
Serait-ce porter atteinte à la souveraineté nationale également de dire que la mauvaise gestion de la crise du Nord conduit à la partition du pays ou de s’élever contre le détournement des ressources destinées à la défense et à la sécurité du pays ? Serait-ce attenter aux institutions de la République de dire que la corruption généralisée, l’ingérence de la famille du président dans les affaires de l’Etat, la dilapidation des maigres ressources du pays doivent cesser ? Serait-il interdit de dire que la vie chère, les coupures d’électricité et d’eau, l’insécurité et l’insalubrité ont mis les citoyens au bord de la crise de nerfs et amplifient la pauvreté et la misère ?
Serait-ce de la déstabilisation que de constater que l’inertie du président et de son gouvernement a mis à nu une non-gouvernance qui sonne comme une réelle vacance de l’Etat ? Faut-il penser à la déstabilisation quand les Maliens dans leur grande majorité, de quelques bords politiques ou de communautés qu’ils soient, réclament le retour organisé dans l’honneur et la dignité du président ATT ?
Faut-il se défausser sur une mystérieuse main étrangère, quand les Maliens dans leur écrasante majorité demandent une paix véritable et la réconciliation nationale ? Et pour ce faire, ils revendiquent la tenue des assises/concertations nationales en vue de sauver notre pays ? Faut-il crier au feu quand des journalistes demandent à l’Etat de faire la lumière et toute la lumière sur la disparition d’un journaliste malien ou d’autres citoyens ?
La déstabilisation, c’est quand on viole la Constitution pour imposer des Autorités intérimaires. La déstabilisation, c’est quand on veut reformer le Mali en dehors de ses institutions légitimes, de sa classe politique et de ses populations et de ses citoyens. La déstabilisation, c’est cette corruption généralisée, l’arrogance et le mépris des gouvernants qui menacent la paix civile. C’est aussi le sentiment de plus en plus acquis qu’il y a des Maliens de seconde zone face à ceux qui ont droit à tous les privilèges, y compris prendre les armes contre la Nation en toute impunité.
La déstabilisation, c’est la dilapidation des ressources publiques qu’on utilise pour prétendre s'acheter une paix sociale en jetant l'argent par la fenêtre. La déstabilisation, c’est ce système éducatif noyé par un délabrement au sein duquel on initie nos enfants à la culture de la violence. La déstabilisation, c’est l’entretien de la pauvreté qui a fini par pousser nombre de nos jeunes à fuir le pays, quitte à mourir dans le Sahara ou en haute mer, ou offrir au terrorisme de potentielles chairs à canon.
Elle est, cette déstabilisation, dans cette culture de fraude politique du parti présidentiel dans les compétitions électorales et dans la gestion du régime par la corruption, le népotisme, le clientélisme, les viols de la Constitution. Elle est dans l’abandon des populations qui mène à la constitution des milices d’autodéfense et aux affrontements intercommunautaires, ainsi qu’on le voit dans le cercle de Ténenkou. Elle est dans l’armement par l’Etat des citoyens prétendument contre le terrorisme dans certaines régions du pays.
La vérité est que, voyant et sentant la colère grondée, les laudateurs tentent de la devancer pour l'étouffer en criant au complot. Mais, pour sûr, cette manière insidieuse ne tiendra plus la route tant l'opinion nationale sait parfaitement à qui elle a affaire, un régime qui a tout bradé, y compris notre dignité et notre honneur national.
Aujourd’hui à bout de souffle, ils tentent de se disculper en pointant du doigt un ennemi fictif. Alors, faut-il lui rappeler l’hymne de l’empire du Wassoulou au 19ème siècle, bâti par Samory Touré : «Si tu ne peux organiser, diriger et défendre le pays de tes pères, fais appel aux hommes plus valeureux ; si tu ne peux dire la vérité en tout lieu et en tout temps, fais appel aux hommes plus courageux. Si tu ne peux pas être impartial, cède le trône aux hommes justes. Si tu ne peux protéger le peuple et braver l’ennemi, donnes ton sabre de guerre aux femmes, elles t’indiqueront le chemin de l’honneur…».
Souleymane KONE