Dakar, Cris et pleurs de joie éclatent à la lecture du verdict condamnant à perpétuité Hissène Habré. En face, ses partisans acclament le président tchadien déchu. Dans la salle 4 du Palais de Justice de Dakar, s'affrontent deux visions de la souveraineté de l'Afrique.
Des victimes de Hissène Habré et leurs avocats s'embrassent dans la vaste salle d'audience. Dans les travées du tribunal où elles se congratulent, des femmes pleurent de joie, après cette sentence condamnant l'ex-président tchadien (1982-1990), en exil à Dakar depuis sa chute en décembre 1990.
"La décision nous satisfait parfaitement. Nous avons remporté la victoire aujourd'hui", déclare Fatima Oumar, arrivée dimanche de la capitale tchadienne N'Djamena pour suivre la fin du procès.
Cette mère de famille nombreuse, âgée d'une cinquantaine d'années, raconte avoir perdu son mari, "un commerçant nigérien arrêté le 4 mai 1989". Elle n'a su sa mort que "le 1er décembre 1990", à la chute de Hissène Habré.
"Tout le monde est content, les veuves, les orphelins, les autres victimes", ajoute-t-elle.
A la fin du verdict, pour prévenir d'éventuels incidents, des gendarmes renforcent le cordon de sécurité entre le public et les juges et le parquet des Chambres africaines extraordinaires, le tribunal spécial qui jugeait Hissène Habré depuis le 20 juillet 2015.
Au moment de quitter la salle, M. Habré, en boubou et turban blancs, sous la surveillance de gardes pénitentiaires, salue longuement ses partisans.
Il lève les bras en signe de victoire et profère pendant quelques secondes des paroles, largement étouffées par le tumulte de la salle. "A bas la Françafrique!", lance-t-il à ses partisans qui l'acclament, dans une de ses rares déclarations publiques au tribunal.
Depuis l'ouverture du procès, l'accusé refusait de s'exprimer devant ce tribunal spécial créé en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine, qu'il récusait, et il avait demandé à ses conseils de ne pas l'y
représenter, obligeant la Cour à commettre d'office trois avocats pour le défendre.
- 'Ni compassion ni remords' -
A l'extérieur, au nom d'un "Collectif africain de soutien au président Habré", Mahamat Togoi lit un communiqué au ton indigné: "Ce qu'on a vu, aujourd'hui ce n'est pas de la Justice, c'est un crime contre l'Afrique".
"Nous savons bien que ce n'est pas le peuple tchadien qui a rendu justice, ni le peuple sénégalais qui a condamné, mais c'est le sale boulot des mercenaires à la solde de la Françafrique", fulmine-t-il.
Nationaliste convaincu et farouchement opposé dans les années 1980 au dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, considéré comme un "parrain du terrorisme", Hissène Habré avait bénéficié du soutien de la France et des Etats-Unis, avant de perdre de son crédit auprès des pays occidentaux.
Au contraire, pour les parties civiles, comme le président de l'Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH), Clément Abaïfouta, "aujourd'hui, l'Afrique a gagné".
"Nous disons merci au Sénégal et à l'Afrique qui a jugé l'Afrique", ajoute celui qui a raconté avoir pendant ses quatre années de détention enterré ses camarades par dizaines.
Parmi "les circonstances aggravantes" retenues par les Chambres africaines extraordinaires, le président du tribunal spécial, le magistrat burkinabè Gberdao Gustave Kam, évoquera le fait que "Habré n'a montré aucune compassion vis-à-vis des victimes, ni exprimé de remords".
La Cour a également dénoncé "le mépris insultant de l'accusé" envers elle. "Outre un turban derrière lequel il a constamment caché son visage, l'accusé a fini par porter des lunettes de soleil pour cacher ses yeux", a souligné M.
Kam.
mrb-str-sst/cs/de