Pour quelqu’un qui vient d’être reconduit dans ses fonctions, il est difficile d’envisager un départ pouvant paraître prématuré. Pourtant, l’envie d’une démission de Modibo Keïta-pour raison de fatigue, dit-on, est un sujet de plus en plus présent dans les conversations. Existerait-il des raisons suffisantes ou objectives qui pourraient motiver cette envie de jeter l’éponge chez le chef de gouvernement ?
La fatigue - que l’on penserait plutôt physique-pourrait-elle à elle seule expliquer ce choix ? Même si l’on sait que Modibo Keïta n’est plus tout jeune, on a quand même du mal à le voir flancher en quelques mois, au point de ne plus vouloir poursuivre son chemin. En effet, même dans le contexte malien, Modibo Keïta est loin d’être ‘’trop vieux’’ pour exercer ses fonctions de Premier ministre. Il nous paraît donc plus probable que le Premier ministre veuille partir pour raison de «fatigue physique».
Mais, la fatigue n’est pas que physique ; elle peut être mentale, morale, etc. Et de ce point de vue, une démission de Modibo Keïta pourrait bien s’expliquer et s’assimilerait plus à une lassitude. Lassitude face à des situations de plus en plus complexes. A commencer par la mise en œuvre de l’Accord d’Alger pour la paix et la réconciliation nationale.
En effet, cet Accord boiteux dès le départ, bat de l’aile à tous points de vue : fonctionnement du Comité de suivi, réintégration des ex-combattants, affrontements entre groupes rivaux, pour ne citer que ceux-là. Si on ajoute à tout cela la situation sécuritaire d’ensemble de plus en plus préoccupante, il y a visiblement de quoi être stressé. Sur le plan économique, on n’a pas besoin d’être au ministère de l’Economie et des Finances pour comprendre que ‘’le pays va mal’’, selon une expression du chanteur ivoirien, Tiken Jah Fakoly.
En fait, le gouvernement a procédé récemment à la réduction de 40% des budgets de fonctionnement des services. Au-delà d’une rigueur budgétaire, cela en dit long sur l’état des finances du pays. Par ailleurs, il semble que les partenaires techniques et financiers (PTF) ne se pressent plus pour mettre la main au portefeuille ; ce que le chef de file de l’opposition, S. Cissé appelle «méfiance inquiétante des partenaires et investisseurs»…
Cette attitude paraît difficile à interpréter, quand on se rappelle l’euphorie qu’a suscitée la réunion de Paris pour lever des fonds en faveur du Mali. Nos autorités avaient pourtant affiché un grand optimisme par rapport aux multiples déclarations d’intentions restées visiblement en plan à ce jour. Qu’est-ce qui pourrait expliquer une possible lenteur dans les engagements et autres décaissements ?
Il faut dire que depuis la rencontre de Paris, la mise en œuvre de l’Accord a été extrêmement compliquée, pour ne pas dire chaotique ou tout au moins chancelante. Sans compter la situation sécuritaire qui se dégrade chaque jour un peu plus du Nord au Sud, en passant par le Centre. Toute chose ayant - enfin - décidé les Français à reprendre leurs opérations de ratissage du terrain. Or, comme on dit de façon prosaïque, ‘’l’argent n’aime pas le bruit’’. Ceci expliquant cela, les partenaires ont pu penser que le constat sur le terrain n’incite pas encore à l’optimisme et qu’il fallait tempérer les ardeurs en attendant de voir un peu plus clair.
Problème de gouvernance
D’autres supputations vont bon train pour tenter d’expliquer l’attitude jugée réservée des partenaires. Certains observateurs constatent que peu d’actions concrètes ont été menées en faveur de la lutte contre la corruption, atténuant du coup l’enthousiasme des bailleurs. Presque personne -d’envergure - n’a été inquiété à ce jour malgré les nombreux scandales financiers : avion présidentiel, équipement de l’armée, engrais frelaté, marché d’achat de tracteurs, etc.
Comparaison n’est pas raison et le Mali est loin de la Côte d’Ivoire (économiquement parlant), mais on sait que c’est la confiance dans les autorités ivoiriennes (à la suite des premiers fonds levés, visiblement bien gérés) qui a fait que la visite, la semaine dernière à Paris, du Premier ministre de ce pays a été couronnée de succès, les résultats obtenus ayant dépassé (doublé les attentes). Certes, ce ne sont encore que des déclarations d’intentions, mais la première expérience est là pour inciter à l’optimisme. Tel n’a presque jamais été le cas chez nous.
«Beaucoup de bruit pour rien»
Bruxelles, Pékin, puis Paris - trois capitales qui ont suscité beaucoup d’espoir. Pour finalement rien ou presque. Bruxelles, ce sont les plus de 3 milliards d’euros promis à notre pays sous la Transition dirigée par le Pr. Dioncounda Traoré. C’est le régime IBK qui a pris la relève et aurait dû profiter de la moisson. Aujourd’hui encore, les Maliens se demandent ce qui a été fait de cette manne. Il y a quelques mois de cela, voire un an, il était question d’un décaissement à hauteur d’environ 76%.
Que ce soit plus au moins, les Maliens ne voient que dalle. Il semble que l’argent ait servi à financer l’effort de guerre des pays qui nous soutiennent, la France en particulier. Vrai ou faux, on n’en sait rien. Il aurait fallu en tout cas communiquer un peu sur la destination des sommes réellement décaissées. Le voyage en Chine a été pareil. On nous a promis monts et merveilles, mais à présent, sauf problème de communication, on ne voit rien là-aussi. Ce fut le tour de Paris dont on attend aussi les retombées. C’est comme on dit,’’ autant en emporte le vent’’.
Il faut dire aussi que, par ailleurs, le chef de l’Etat se rétablissant peu à peu de sa maladie, les charges de son Premier ministre ne peuvent qu’accroître. Toute chose qui, ajoutée aux difficultés déjà énoncées, n’est pas de nature à encourager un septuagénaire à un marathon à la destination finale encore inconnue. En raison essentiellement de la nature insaisissable, virtuelle de l’interlocuteur.
Rebelle, jihadiste, les deux ? On n’en sait pas trop. Comme toujours d’ailleurs. Enfin, dans une situation où l’on a un Premier ministre qui serait sur le point de rendre le tablier, un président qui a besoin de temps pour se requinquer, l’éventualité d’un nouveau remaniement ministériel (qui serait le cinquième), il n’est guère surprenant que les partenaires se retiennent. Mais aussi, que le PM soit à bout de souffle, et veuille enfin penser autre chose que rebelles, terroristes, jihadistes, que sais-je encore !
S.H
Source: Le Point