TOMBOUCTOU (Mali) - Le maire de Tombouctou, cité emblématique du Nord du Mali, reprise par les soldats français et maliens aux groupes armés qui l`occupaient, en est persuadé: "On ne peut pas vivre sans les Arabes et les Touareg", en fuite car accusés d`avoir soutenu les
islamistes.
Les deux ethnies, surnommées "peaux blanches" par la population noire majoritaire, ont déguerpi face à l`avancée des militaires, craignant des mesures de rétorsion. Le président Dioncounda Traoré a certes promis qu`il n`y aurait pas de "représailles", mais des pillages visant ces communautés ont eu lieu, notamment à Tombouctou, et des ONG ont fait état d`exécutions sommaires.
Les islamistes étaient majoritairement des Arabes et des Touareg, explique le maire, Hallé Ousmane Cissé: "ils avaient recruté beaucoup de +peaux blanches+ et aussi quelques Noirs".
"Ce sont nos frères avec lesquels nous cohabitions qui ont fait la sale besogne", constate tristement l`élu, resté pendant la quasi-totalité des longs mois d`occupation à Tombouctou (900 km au nord-est de Bamako), "jusqu`au 2 janvier".
"C`était vraiment le calvaire", assure-t-il, "on ne peut pas vraiment décrire comment la population a eu à souffrir", châtiments corporels, interdictions multiples, mausolées de saints musulmans détruits...
Les femmes ont particulièrement souffert: impossible de sortir sans être intégralement voilées, sinon "elles étaient emprisonnées une semaine, deux semaines, battues (...) et subissaient des viols à chaque fois", explique le maire, évoquant "des dizaines de viols".
"La nuit, quand (les islamistes) surprenaient une fille et un garçon, ils battaient le garçon et violaient la fille", raconte-t-il.
Peu avant l`arrivée des militaires français et maliens, le 28 janvier, "les
Arabes et les Touareg ont fui d`ici. Eux n`ont pas subi ces humiliations, ces
amputations, eux n`ont pas été chicottés!" (fouettés), souligne-t-il.
"Tout est à refaire"
Selon une source médicale, une amputation et une exécution publiques ont eu lieu à Tombouctou sous le règne des "fous de Dieu".
La haine a rejailli mardi, lorsque des centaines de personnes ont pillé des magasins appartenant à des Arabes, des "terroristes" qu`il faut "tuer", assuraient les vandales.
"C`est vraiment dommage...", commence M. Cissé. "On ne sait pas ce qu`il faut dire entre ces pillages et ce qu`on a trouvé à l`intérieur de ces maisons (...). Il y avait des munitions, des armes. Qu`est-ce que des armes et des munitions font dans des boutiques?"
Malgré l`amertume, il s`efforce de penser à l`avenir: "Ma mission, en tant qu`élu, est de sensibiliser à beaucoup de retenue, à pardonner. Nous devons cohabiter dans la paix".
Et "c`est aujourd`hui qu`il faut mettre les gens à l`épreuve, aujourd`hui qu`on saura vraiment qui est quoi. On ne peut pas vivre les uns sans les autres", martèle-t-il.
Le sexagénaire tique lorsqu`on lui parle de haine ethnique: "Il ne faut pas trop se fier aux déclarations de la jeunesse" - la majorité des pillards -, "c`est à nous de l`encadrer".
"Je ne dis pas qu`il n`y aura pas de débordements", poursuit-il, mais "il faut sensibiliser quartier par quartier. Je sais qu`on ne peut pas vivre sans les Arabes et les Touareg".
La tâche s`annonce rude, car par ailleurs, "tout est à refaire": réseau d`eau et d`électricité sabotés, écoles tout juste rouvertes après 10 mois de fermeture, "toute l`économie de la ville détruite, pas de commerces"...
"Même si on avait l`administration aujourd`hui, elle ne serait pas fonctionnelle, tout est brûlé, parti. Je suis maire, je n`ai pas une chaise, un ordinateur", déplore-t-il.
De fait, la mairie est dévastée, portes, vitres et meubles brisés, a constaté un journaliste de l`AFP.
"C`est la catastrophe", résume le maire, mais maintenant que les jihadistes sont partis, "cette liberté n`a pas de prix (...). S`il plaît à Dieu, nous allons reprendre notre histoire"