Alors que les servitudes du fleuve Niger sont intangibles et sacrés, l »ancien ministre de l’équipement, des affaires foncières et des domaines de l’Etat, n’a eu aucun scrupule de tordre le coup à la loi, de morceler, commercialiser et d’occuper royalement les berges. Il est aujourd’hui reconnu coupable du délit de crime contre le fleuve Niger. Cruel qu’il est, il demeure indifférent aux cris désespérés des victimes.
L’occupation abusive et anarchique des servitudes du fleuve a largement dépassé le seuil de tolérance du fait de la voracité de certains cadres de l’Etat en complicité avec des promoteurs immobiliers véreux. Au nombre de ceux-ci on peut citer Soumaila Cissé que tout les acteurs du secteur incriminent. Tout puissant ministre chargé à l’époque des affaires foncières, il a participé sans retenu au plus grave « crime contre l’humanité », c'est-à-dire la communauté vivant des ressources du fleuve Niger.
En effet, le Bassin du fleuve Niger qui couvre une superficie de 570 000 km2, renferme une part essentielle des ressources naturelles de notre pays. Reliant les zones humides du sud aux régions désertiques du nord, il est considéré comme un atout majeur pour le développement du pays. Malheureusement, le bassin est aujourd’hui, étranglé par diverses agressions d’origine humaine.
Que serait le Mali sans le fleuve Niger ?
Continue t- on de s’interroger. Ce mythique cours d’eau est souvent présenté comme un cadeau du ciel. De sa source à son embouchure, il arrose sur 1 750 kilomètres. Sur ses berges se dressent de grandes villes, des villages et hameaux. Notre capitale est bâtie à cheval sur son lit mineur. Sur son trajet, le Niger se comporte comme une artère nourricière qui entretient les conditions de vie pour l’homme. Il abrite des réserves de faune et de flore riches en espèces et en écosystèmes. C’est le principal pourvoyeur en eau d’irrigation du pays. Il assure le transport fluvial sur un chenal navigable de plus de 1000 kilomètres, à partir de la ville de Koulikoro, chef-lieu de la région du même nom.
Malgré son rôle vital pour les hommes et leur environnement, ce majestueux cours d’eau est fortement menacé à cause du comportement irresponsable et de la cupidité de certains citoyens maliens qui aujourd’hui prétendent gouverner notre pays et réclament le suffrage de ce même peuple qu’il a contribué à étrangler, à assoiffer et à tuer lentement mais surement. Aujourd’hui, le seuil d’alerte est atteint, sinon dépassé.
Afin d’attirer l’attention de la communauté nationale et internationale sur le piteux état du Niger, l’Agence de l’environnement et du développement durable (AEDD), dans le cadre de ses missions, s’épuise à dénoncer à longueur de séminaires de sensibilisation et de dénonciations publiques.
D’ailleurs, une étude très édifiante a été faite pour décrire l’ampleur du drame et la cruauté des prédateurs fonciers. Après avoir défini la berge comme la portion de terrain qui limite tout cours d’eau ou encore la zone de transition entre le milieu aquatique et le milieu terrestre, les auteurs de cette étude ont expliqué que les berges d’un fleuve assurent d’importantes fonctions écologiques.
Elles constituent le support de la végétation herbacée et ligneuse, l’habitat pour la faune et la flore, un secteur d’échanges entre lit mineur et lit majeur et une zone « tampon » entre le milieu aquatique et le milieu terrestre. Pour garantir l’intégrité des berges du fleuve, l’Etat légiféré sur le domaine. Il est règlementé par le code domanial et par le décret n° 02-111/P-RM du 6 mars 2002, déterminant les formes et les conditions de gestion des terrains du domaine public de l’Etat.
Les Crimes de Soumaila Cissé
Royalement installé dans le lit du fleuve, la résidence du chef de fil de l’opposition viole la loi sur toute la ligne alors qu’il a été lui-même ministre en charge des affaires foncières. « Nul n’est sensé ignorer la loi » dit on souvent et Soumaila Cissé, n’est pas au dessus de la loi.
Surtout celle qui s’applique aux cours d’eau navigables ou flottables dans les limites déterminées par le niveau des plus hautes eaux avant débordement avec une zone de passage de 25 mètres à partir de ces limites sur chaque rive et chacun des bords des îles. Les terrains du domaine public immobilier de l’Etat ne peuvent être occupés que de façon temporaire pour un besoin individuel ou collectif. L’autorisation d’occupation est révocable à la première réquisition pour tout motif d’intérêt public ou général et n’ouvre aucune indemnité pour l’occupant. L’occupant temporaire ne peut donc réaliser sur le terrain concerné que des investissements démontables. Tout changement de destination du terrain est subordonné à l’autorisation préalable de l’administration. Le terrain, objet d’occupation temporaire, est soumis à toutes servitudes que l’administration reconnaît d’utilité publique.
Selon la loi, les terrains ne peuvent être attribués sur les berges que dans le respect des dispositions énoncées précédemment. L’administration des domaines publics doit veiller à ne pas délivrer de titres dans la servitude fluviale. Si d’aventure des terrains sont attribués dans la servitude, les bénéficiaires ont besoin d’une autorisation de construire. Cette procédure d’autorisation est régie par le décret n° 08-766-/P-RM du 26 décembre 2008 portant réglementation de la délivrance du permis de construire. Le principe est qu’aucune autorisation de construire ne peut être donnée sur un lot situé dans la servitude fluviale.
Après avoir effectué en 2009 un état des lieux des parcelles situées en partie ou entièrement dans la servitude, la Direction nationale de l’urbanisme et de l’habitat avait déjà établi le constat fort inquiétant. Sur la rive gauche du fleuve à Bamako, de Sotuba à Kalabambougou, on dénombrait 84 titres fonciers en cours de création. Sur la rive droite, de Missabougou à Kalabancoro, on avait enregistré 60 titres fonciers dont 45 en cours de création.
L’enquête a aussi permis d’identifier 11 îles occupées dont certaines entièrement comme la Cité du Niger. D’autres comme le Timba Goun à l’est de la Cité du Niger ont été entièrement morcelées. Les autres sont exploitées pour des cultures fruitières, céréalières, maraîchères ou servent de carrières et de fortes velléités pèsent sur leur éventuel morcellement. Les propriétaires sont en majorité des particuliers et des sociétés immobilières. Des maisons à usage d’habitation comme la résidence cossue de Soumaila Cissé y sont bâties. Des établissements hôteliers et des banques sont également installés sur ces berges. Des campements de pêcheurs, garages d’automobiles, champs, dépôts de sable et de graviers poussent tous les jours sur les lieux.
Un projet de récupération des servitudes déjà prête.
En se penchant sur le cas de la ville de Bamako, le constat est on ne peut plus consternant : les berges du fleuve Niger font l’objet d’une convoitise sans précédent. La situation se caractérise par une occupation abusive et anarchique des lits mineur et majeur, hypothéquant dangereusement la préservation du fleuve.
Par exemple, en plusieurs endroits de la rive gauche, du quartier de Sébénicoro à Djicoroni-Para, et sur la rive droite, entre Torokorobougou et Magnambougou en passant par Badalabougou SEMA, les constructions d’habitats sont si denses que les berges du fleuve sont devenues quasiment inaccessibles aux usagers. Il n’existe plus de servitudes à Bamako. Cette situation oblige l’Etat à mettre en œuvre un projet de récupération de celles-ci. Le coût de cette opération est estimé à 50 milliards de Fcfa.
Selon les experts, cet accaparement des berges a compromis la vocation primaire des servitudes qui permet la libre circulation des personnes. Il perturbe l’écosystème du milieu, amplifie la pression anthropique sur un milieu déjà fragile. Les habitations riveraines sont exposées aux risques d’inondation. Les concessions dans le lit mineur sont menacées d’éboulement ou d’effondrement.
Mais, comment explique-t-on cette situation malgré l’existence de textes et lois précis en la matière ? La réponse est dans la convoitise de beaucoup de citoyens et promoteurs immobiliers qui souhaitent avoir les pieds dans l’eau. C’est un signe extérieur de richesse qui devient un phénomène de mode chez les Bamakois.
Ces derniers payent donc le prix qu’il faut ou usent de trafic d’influence pour posséder ces terrains sur les berges, au mépris de la réglementation. Ils bénéficient en l’occurrence du laxisme et de la complicité des agents de l’administration qui, en connaissance de cause, violent eux-mêmes les textes en attribuant des parcelles sur les servitudes fluviales. Et dire que les permis de construire sont délivrés par les services compétents de l’Etat qui savent parfaitement que le terrain s’étend sur une servitude.
Le ministre Bathily est interpelé.
Aujourd’hui, comment arrêter toutes ces dérives afin de sauver le fleuve Niger ? L’Agence du bassin du fleuve Niger réclame l’application rigoureuse des textes législatifs et règlementaires, ce qui témoignera de la restauration d’une autorité de l’Etat qui s’est effritée à un niveau inimaginable.
L’Agence propose des solutions pour mettre fin aux dérives comme le balisement ou le bornage des servitudes fluviales, la sensibilisation des citoyens sur les textes relatifs à l’attribution des titres de propriété surtout dans le domaine fluvial et, la prise de mesures préventives pour sécuriser la servitude dans les agglomérations.
Constatant que la presque totalité des constructions riveraines empiètent les servitudes, les experts estiment injuste d’entériner cet état de fait sans sanctionner les occupants au moment où d’autres vont être empêchés de réaliser le même rêve. A défaut de démolir les constructions déjà réalisées et habitées, les occupants illicites doivent subir des sanctions exemplaires afin de dissuader d’éventuels prétendants. Une première sanction consistera à appliquer les peines pécuniaires prévues par les textes en vigueur.
Quant aux agents de l’Etat qui ont favorisé ces violations, ils doivent également subir des sanctions administratives et répondre devant la justice. Une autre formule consistera à faire payer les propriétaires qui profitent indûment de la situation. Il faut aussi faire participer chaque propriétaire au coût du projet de récupération des berges du fleuve au prorata des superficies adjacentes à sa propriété.
« Il est temps que tous les agents de l’administration qui s’occupent des questions foncières et domaniales, prennent conscience des dangers qu’ils font courir au fleuve et à son environnement en permettant l’occupation abusive des servitudes fluviales », préconise un haut cadre de l’administration publique soulignant que le phénomène n’a été rendu possible que par le laxisme et la complicité intéressée des mêmes agents de l’Etat qui sont chargés d’appliquer les textes en la matière.
Enquête réalisée par La Dépêche