En suscitant une manifestation de la population de Kidal, pour dénoncer des lenteurs dans la mise en œuvre de l’Accord, en général, et fustiger, en particulier, l’absence des services sociaux de base, les groupes armés de la Coordination des mouvements armés (CMA) et de la Plateforme font montre d’inconséquence. Et pour cause.
La semaine a débuté sur une saute d’humeur de la population de Kidal manipulée comme à l’accoutumée par les groupes armés. L’ire de ses manifestants tenait de la lenteur constatée dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Des lenteurs, il y en a eu effectivement pour des points qui devaient être réalisés à des échéances précises. Ce qui est par exemple le cas du cantonnement des ex-combattants. L’Accord stipule, dans cette veine: ‘’ Dans les 30 jours suivant la signature de l’accord, les mouvements soumettront à la CTS une liste définitive et certifiée de leurs combattants et de leurs armements sur la base des principes définis dans le mode opératoire du 18 février 2014 mis à jour’’.
La surenchère
Pourtant, selon Mahamat Saleh Annadif, chef de la MINUSMA, c’est en janvier 2016, que les premières listes de combattants à cantonner ont commencé à être fournies, soit 8 mois après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Cette lenteur n’incombe pas au Gouvernement, mais aux responsables des groupes armés.
Le retard a aussi concerné les autorités intérimaires. En effet l’Accord dit, en annexe 1 : ‘’La mise en place, le cas échéant et au plus tard trois mois après la signature de l’Accord, des autorités chargées de l’administration des communes, cercles et régions du Nord durant la période intérimaire. Leur désignation, compétences et modalités de leur fonctionnement seront fixées de manière consensuelle par les parties’’. Ce retard a été le prétexte tout trouvé par les groupes armés et même par la Médiation pour faire de la surenchère sur fond d’accusation du Gouvernement de mauvaise foi. Lors de la 8e session ordinaire du Comité de suivi de l’Accord, les 25 et 26 avril 2016, le Président du CSA, l’Ambassadeur Ahmed Boutache (Algérie), dans sa déclaration liminaire faisait savoir : « Il a été, je dirais, globalement constaté que deux questions continuent en quelque sorte d’empêcher tout progrès substantiel dans le processus de mise en œuvre de l’Accord. Il s’agit d’une part de la question de l’administration intérimaire. Et d’autre part, de mécanismes sécuritaires.
À ce sujet, il convient de préciser que les représentants des mouvements font des avancées et des progrès au niveau des mécanismes sécuritaires ou plutôt ils conditionnent les progrès au niveau des mécanismes sécuritaires par des progrès au sujet de l’administration intérimaire et nous croyons comprendre que du côté du Gouvernement, c’est la position inverse qui prévaut ».
L’alibi
Les groupes armés de leur côté, lors de la 8e session ordinaire du CSA, se sont employés à entretenir une atmosphère électrique sur la double question des autorités intérimaires et l’opérationnalisation des patrouilles mixtes du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC). Pour porter la crise à son paroxysme, la CMA et de la Plateforme, il y a quelques jours, ont décidé de suspendre leur participation au sous-comité politico-institutionnel, sous le prétexte fallacieux d’intransigeance du Gouvernement sur l’interprétation des textes. Ce qui traduit l’inconséquence de ces groupes armés, qui, c’est un secret de polichinelle, ont leur agenda par rapport à ces autorités intérimaires auxquelles ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Cela pour les raisons suivantes :
Pour ce qui est de l’interprétation, elle est prise en compte par l’article 60 de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Il stipule, en ce qui est des missions du Comité de suivi de l’Accord : ‘’ (…) assurer l’interprétation des dispositions pertinentes de l’Accord en cas de divergences entre les Parties ; concilier, le cas échéant, les points de vue des Parties (…)’’. S’il y a un problème d’interprétation, il y a un cadre tout désigné pour le faire. Au lieu d’en référer à ce cadre, les groupes armés préfèrent se livrer en spectacle.
Les yeux de la tête
Les mouvements armés reprochent au gouvernement ” le manque de volonté à trouver des solutions consensuelles”. Le préalable à ce niveau est de s’accorder sur ce qu’il faut entendre par solutions consensuelles. Ce qui est consensuel, selon le dictionnaire Larousse, c’est ce qui repose sur un consensus (Politique consensuelle). Consensuel se dit d’un contrat formé par le seul consentement des parties, sans que la manifestation de ce consentement soit soumise à aucune forme. Comme on le voit, le consentement doit émaner des deux parties ; non d’une seule. Or à l’évidence, pour les groupes armés qui semblent filer le parfait amour, ne pas adhérer à leur point de vue, c’est manquer d’esprit de consensus, être réfractaire à une solution consensuelle. Or, le Gouvernement aussi peut rétorquer aux groupes armés le même grief parce qu’ils n’adhèrent pas à son point de vue. Comme quoi, les anciens rebelles ont fait le choix d’engager une querelle de clocher, juste pour enliser le processus de paix et de réconciliation. Autrement, le Gouvernement ne peut pas accepter d’être trimballé, pendant près d’un an à Alger, souffrir toutes les inconstances et inconsistances d’individus armés, pour arracher un accord, et ne pas vouloir l’appliquer. C’est du non-sens.
Les groupes armés n’ignorent pas que la Loi sur les autorités intérimaires a été votée. Ils savent, tout comme la Médiation, dans quelle condition de défiance de l’Opposition ladite loi a été votée. Les ex-rebelles savent également que la Cour constitutionnelle avait été saisie d’une requête, en date du 11 avril 2016, du Groupe parlementaire Vigilance Républicaine et Démocratique (VRD) pour examiner la constitutionnalité de la Loi sur les autorités intérimaires. C’est le 9 mai que la Cour a rendu son arrêt. Entre le dépôt de la requête et l’arrêt de la Cour, a eu lieu la 8e session ordinaire du CSA où la question des autorités intérimaires a été présentée comme vitale par les groupes armés. Autant dire que pour eux, il fallait appliquer une loi contestée devant la Cour constitutionnelle et qui n’avait pas encore fait l’objet de décret d’application. Et dire que de telles positions aussi saugrenues sont défendues par d’éminents juristes ! Apreté au gain, quand tu nous tiens !
Les groupes armés, dans leur dessein de bloquer le processus, ne s’arrêtent plus à exiger la mise en place des autorités intérimaires ; mais ils en font un préalable au cantonnement et à la démobilisation des combattants. Ce qui est un flagrant délit de mensonge et une manipulation éhontée des textes. En effet l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger stipule en ses articles 19 et 20 : ‘’Les Parties conviennent de la mise en place d’une commission nationale pour le DDR, comprenant les représentants du Gouvernement et des mouvements signataires. Cette commission travaillera en étroite collaboration avec le Comité de suivi du présent Accord’’ ; ‘’l’intégration et le DDR se déroulent au fur et à mesure du cantonnement des combattants pour, soit l’intégration au sein des corps constitués de l’Etat y compris au sein des forces armées et de sécurité, soit la réinsertion dans la vie civile. Le DDR concernera les ex‐combattants cantonnés qui n’auront pas bénéficié de l’intégration’’. On le voit clairement, le seul préalable est la mise en place d’une Commission nationale pour le DDR. Naturellement, il faut que les sites de cantonnement soient aménagés et sécurisés.
Le nihilisme
La CMA et la Plateforme dénoncent des lenteurs dans l’opérationnalisation des patrouilles mixtes du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC). Mais ce que les groupes armés passent outrageusement sous silence, c’est que le camp du génie militaire a abrité, le 8 Avril 2016, une cérémonie de remise des clefs de 42 véhicules destinés au Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC). A l’occasion, le ministre de la Défense et des anciens combattants, Tiéman Hubert COULIBALY, a souligné que cette remise de véhicules est l’un des engagements du gouvernement à rendre opérationnelle le MOC. Il a rappelé qu’en 2015 le gouvernement, pour montrer sa bonne foi, avait déjà mis plus de 5 milliards de FCFA à la disposition du MOC. Peut-on dès lors objectivement mettre en cause le Gouvernement si le MOC traîne les pieds ? Assurément non.
Ce que les groupes armés passent également sous silence, c’est que des progrès ont été enregistrés sur d’autres actions prioritaires retenues comme l’adoption du rapport final de la MIEC ; la nomination des gouverneurs des régions de Taoudeni et Menaka ; le lancement des travaux de construction de trois sites de cantonnement et la prise en charge du pré-cantonnement.
L’irresponsabilité
Pour ce qui est de l’accès des enfants à l’école, la manifestation violente du 18 avril 2016 contre la MINUSMA (2 participants ont perdu la vie, 4 autres ont été blessés suite à des tirs d’origine encore inconnue, selon le communiqué de la MINUSMA) a étalé au grand jour le niveau d’immoralité de certains parents qui y ont impliqué leurs enfants. Dans un communiqué Fran Equiza, Représentant de l’UNICEF au Mali, déclarait : « Ces derniers jours, l’accès à l’éducation a été rendu impossible pour plusieurs enfants à Kidal. Les efforts consentis pour ramener des milliers d’enfants à l’école dans le nord du Mali risquent d’être réduits à néant si les enfants dont le retour est encore fragile, sont retirés des salles de classe». Cela faisait suite à l’exploitation criminelle des élèves amenés à prendre part à une manifestation à laquelle ils ne comprenaient que dalle.
Le même communiqué fait état des résultats encourageants pour l’accès à l’éducation formelle : ‘’Pour l’année scolaire 2015-2016, les efforts considérables consentis par les partenaires de l’Education au Mali, y compris l’UNICEF, ont contribué à renforcer l’accès à l’éducation formelle à 344.115 enfants dans les régions de Gao, Tombouctou, Kidal, Mopti et Ségou, affectées par la crise sécuritaire. Depuis octobre 2015, la campagne ‘Chaque Enfant Compte’ de l’UNICEF a pu faciliter le retour et le maintien à l’école de 29.592 enfants dans les régions affectées par la crise, dont 4.934 enfants à Kidal’’. Au regard de cette statistique, nul ne devrait pouvoir, objectivement, contester que des efforts ont été fournis. Pour Kidal seulement, il est fait mention de 4 934 enfants qui ont été ramenés et maintenus à l’école. Cette tendance était plutôt à encourager.
Mais quand des parents vont retirer les enfants de l’école pour en faire de la chair à canon, est-ce cela de la faute de l’Etat qui n’a plus un représentant à Kidal ? Quand ceux qui devraient prendre le chemin de l’école sont recrutés comme enfants-soldats, est-ce cela la faute de l’Etat ? Quand des adultes s’opposent à l’ouverture des classes, prétextant de la présence d’officiels à la cérémonie, à qui faut-il en vouloir ? Comme on dit, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. La population doit assumer son soutien aveugle à la CMA et à la Plateforme dont les responsables ont leurs progénitures dans des écoles prestigieuses ailleurs.
Quid de l’eau et de l’électricité ? Il y a un Comité de gestion de la ville de Kidal qui devait d’ailleurs être élargi à la Plateforme. Mohamed Ould Mahmoud avait fait savoir, après l’entrée du GATIA à Kidal, que des pourparlers sur la gestion de la ville de Kidal, avaient déjà été entamés. « On avait dit qu’il faudrait que les membres de la Plateforme aident le comité de gestion de la ville. On leur a proposé trois personnes à siéger au sein de ce comité et le volet sécuritaire va suivre après », avait-il déclaré. Cela a été formalisé et révélé dans un communiqué en date du 8 février 2016 et signé de Hanoune Ould Ali, pour la Plateforme, et Alghabass Ag Intalla.
Il aurait été plus sérieux de lui demander de répondre à ces besoins fondamentaux de la population que les groupes armés ont embarqué dans leur aventure. L’intérêt dans cette manifestation pour demander la fourniture de services sociaux de base, c’est qu’elle présente les ex-rebelles incapables de diriger seulement une région et qui poussent l’avidité, l’impertinence, à vouloir en contrôler trois. Comme quoi la gestion des affaires publiques n’est pas toujours une partie de plaisir.
Par Bertin DAKOUO