Du 23 au 29 mai 2016, s’est déroulée à Bamako la 2ème édition des Journées théâtrales Guimba national. Cette édition, à la différence de la première, a été consacrée à la réconciliation à partir du théâtre. C’est pour cela que 100 jeunes maliens, venus de toutes les régions du Mali, ont compéti cette année. En plus de cette compétition, le public malien a eu droit à des spectacles du duo éternel Guimba et Michel, le spectacle 52 ou la Bonne à tout faire, le One Man show de Guimba national et bien d’autres prestations. Les activités se sont achevées le 29 mai 2016 au Palais de la culture de Bamako. Après, nous avons échangé avec Habib Dembélé pour le bilan de cette édition, l’avenir de la manifestation et les futures innovations.
Le Reporter : Habib Dembélé, vous avez clôturé la 2ème édition des Journées théâtrales Guimba national au Palais de la culture de Bamako, le soir du dimanche 29 mai 2016. L’heure est donc au bilan.
Habib Dembélé : Effectivement, c’est important de le faire. Avant de parler des difficultés, je vais rappeler que l’objectif fou des Journées Guimba 2016 était d’organiser à Bamako une compétition entre jeunes troupes de théâtre venues de toutes les régions du Mali, sur le thème de la réconciliation nationale. Nous y sommes arrivés, et j’en suis très satisfait, car aucune rencontre théâtrale interrégionale n’avait eu lieu au Mali depuis la dernière édition de la Biennale, un an avant que le Mali ne tombe à genoux. Dès janvier 2016, j’avais fait part de ce projet à Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la Culture, et à Ould Sidi Mohamed Zahabi, ministre de la Réconciliation. Ils m’avaient assuré de leur soutien. Ils ont honoré leurs promesses. Qu’ils en soient remerciés, car sans eux, rien n’aurait été possible.
Quelles solutions le théâtre peut-il apporter à la question de la réconciliation que les instances nationales et internationales cherchent à résoudre depuis si longtemps maintenant ?
Au Mali, personne n’ignore que le théâtre a été un déclencheur de notre combat pour la démocratie. Les comédiens disent sur scène ce que tout le monde tait ailleurs. En mars 2016, j’avais incité les jeunes troupes de tout le Mali à se porter candidates à la compétition des Journées Guimba. Elles devaient écrire une pièce de théâtre proposant leurs solutions pour la réconciliation. Il nous fallait un relais dans chaque région pour enregistrer les candidatures et assurer le suivi auprès des troupes. Le ministère de la Culture nous a orientés vers Mme Haïdara Sy, la directrice de la Dnac (Direction nationale de l’action culturelle). Sans ses services, tout particulièrement son sous-directeur, Tidjani Sangaré, et les Directions régionales culturelles, le volet compétitions des Journées Guimba 2016 n’aurait jamais existé.
Dans chaque région, ils ont enregistré les inscriptions, reçu et lu les pièces de théâtre que les troupes avaient écrites, procédé aux éliminatoires, veillé à la coordination et à la transmission des informations. Ils ont accompli un travail de titan. Qu’ils en soient tous remerciés. Début mai, une troupe de chacune des 8 régions et deux du District de Bamako étaient prêtes à venir compétir sur le thème de la réconciliation. Le 23 mai, jour de l’ouverture au Palais de la culture, toutes les régions étaient représentées, sauf celle de Ségou. La troupe ségovienne avait d’abord reporté son arrivée, puis elle a définitivement déclaré forfait. Je ne suis pas fier de ça, car je suis de San, et ma propre région m’a laissé sur le carreau.
Guimba, c’est un Mali en miniature que vous avez réuni pendant ces Journées ?
C’est vrai, et c’est une fierté. Pendant une semaine, des jeunes de toutes les régions, de tous les groupes culturels du Mali, ont vécu ensemble, mangé ensemble, bu le thé ensemble, parlé et chanté ensemble. C’est ce qu’ont vécu les jeunes comédiens des 9 troupes engagées dans ces compétitions. Quand je venais les saluer chaque matin à la Maison des jeunes, j’avais beaucoup de joie dans le cœur. J’ai maintenant la plus grande famille du Mali. Des jeunes Maliennes et Maliens qui ne connaissaient pas l’Autre, ont découvert une sœur et un frère dans cet Autre. Notre vivre-ensemble ancestral, notre brassage culturel et la richesse de notre tissu social étaient là, sous nos yeux, au cœur de cette 2ème édition des Journées théâtrales Guimba national. C’est extraordinaire, et je ne veux pas cacher ma joie. Nous avons semé la graine de la réconciliation dans le cœur de ces jeunes. C’est ce dont le Mali a besoin. Dans notre pays, sept personnes sur dix ont moins de vingt-cinq ans. Si notre pays veut se réconcilier avec lui-même, il doit s’appuyer sur la jeunesse. C’est ce que nous avons fait.
Initier un tel projet n’est pas facile, n’est-ce pas ?
La 1ère édition des Journées théâtrales Guimba national avait été très dure. La 2ème édition a accouché dans la douleur, l’inquiétude, le stress, et l’incertitude. Malgré les dizaines de dossiers que nous avions envoyés aux instances et aux sponsors potentiels, nous n’avons reçu aucun moyen financier pendant toute la phase de préparation. Les choses semblaient tellement incertaines, tellement bloquées, qu’un mois avant les dates prévues, j’ai été assailli par le découragement, je voulais renoncer aux Journées 2016. Mon équipe m’en a dissuadé. C’est au tout dernier moment, que le ministère de la Réconciliation a honoré ses promesses de prendre en charge le transport, le logement et la nourriture des troupes. Je salue au passage Bassory Doumbia, le directeur de la Maison des jeunes de Bamako, où étaient logés les compétiteurs ainsi que Mme Djénébou Sanogo, directrice du Carrefour des jeunes, où les compétitions se sont déroulées.
Le Comité d’organisation des Journées théâtrales Guimba national était composé de très peu de gens. Moins de dix personnes, toutes de très bonne volonté, qui n’ont compté ni sur leur temps, ni sur leur investissement personnel pour que ce Festival puisse avoir lieu. Merci à leur courage, merci à leur détermination. Nous n’avons pas pu éviter certains dysfonctionnements, nous les avons recensés. Nous présentons nos excuses au public qui a dû faire preuve de patience chaque soir. Nous sommes attentifs aux conseils prodigués par les uns et les autres, tant en ce qui concerne le volet compétitions que le volet spectacles. Même si les choses n’ont pas été faciles techniquement pour les troupes, même si certaines d’entre elles avaient plus d’expérience que d’autres, les jeunes ont produit des créations théâtrales, réfléchies, lisibles et construites, qu’ils ont jouées avec leur cœur, c’est ce qu’il faut retenir.
Habib Dembélé, quel est l’avenir des Journées théâtrales Guimba national ?
Avant de parler d’avenir, je tiens à dire que nous devons boucler la boucle 2016. Lors des compétitions à Bamako, nous avons donné la parole au théâtre pour la réconciliation nationale. Il nous faut maintenant emmener la troupe lauréate en tournée dans toutes les régions du Mali pour qu’elle y joue sa pièce porteuse de son message. C’est ce qui était prévu, nous devons le faire, et c’est important pour notre pays. Le ministère de la Réconciliation, en partenariat avec le GIZ de la Coopération allemande, s’est engagé à nous accompagner et à tout mettre en œuvre pour que nous puissions organiser cette tournée.
Le théâtre apportera ainsi sa pierre à la reconstruction de notre pays et contribuera, à sa manière, à recoudre le tissu social de notre cher Mali. Le théâtre jouera son rôle à nouveau. Michel Sangaré et moi-même avons donné des spectacles lors des deux premières éditions pour faire plaisir au public. À terme, nous laisserons la scène des Journées Guimba entièrement à la nouvelle génération, puisque l’objectif premier est la découverte de jeunes talents maliens et la mise en valeur de leur créativité. Je souhaite qu’ensuite, les Journées théâtrales Guimba national s’élargissent et deviennent la rencontre incontournable du théâtre. C’est un projet très ambitieux qui prendra de l’envergure, s’il est bien accompagné. J’y crois, car nous, gens de théâtre, en avons besoin, le Mali en a besoin, l’Afrique en a besoin.
Je vous laisse le mot de la fin, Guimba.
Les décideurs finiront par comprendre que le théâtre est une valeur vraie qu’ils doivent encourager et soutenir. L’Etat malien doit faire sortir le théâtre de l’ornière. Cela devrait commencer par la construction d’un Théâtre public. Je le suggère depuis des années, mais personne ne veut m’entendre. Le théâtre est un des piliers culturels de notre pays. Deux ministères ont soutenu les Journées théâtrales Guimba national, cette année, qu’ils en soient remerciés, mais c’est insuffisant. Les instances du Mali doivent soutenir cette initiative de façon inconditionnelle et pérenne. Tout le monde chez nous parle de l’importance de la culture, mais il ne suffit pas d’en parler, il faut agir. Notre culture, notre théâtre sont des richesses naturelles aussi précieuses que notre or. Si notre Etat les néglige, d’autres finiront par les exploiter et nous y perdrons notre âme.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL
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