Détérioration de la situation sécuritaire au Mali / Pour la CEDEAO la situation constitue une « menace pour l’ensemble de la sous-région »
Les questions de paix, de sécurité et de démocratie et particulièrement la situation au Mali étaient au cœur de la quarante-neuvième session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui s’est tenue le 4 juin 2016 à Dakar au Sénégal. L’organisation sous-régionale a exprimé « sa vive préoccupation, face à la détérioration de la situation sécuritaire au Mali, marquée par la recrudescence des attaques terroristes », ajoutant que « cette situation constitue une menace pour l’ensemble de la sous-région ». La CEDEAO a exprimé son indignation face à la situation à Kidal où, un an après la signature de l’Accord, le Gouvernement et les Forces de Défense et de Sécurité du Mali n’ont toujours pas accès pour une sécurisation complète du territoire national et exige que cette situation prenne fin.
La Conférence a réaffirmé l’importance de la paix, de la sécurité, et de la stabilité dans l’espace CEDEAO pour le développement économique de la région, réitérant sa détermination à poursuivre, sans relâche, le combat contre le terrorisme. Le sommet a souligné, à cet égard, la nécessité d’une lutte internationale coordonnée. La Conférence a également exprimé sa « vive préoccupation face au fléau du terrorisme qui devient une menace persistante dans la région ». Elle condamne avec la plus grande fermeté les attaques terroristes de Bamako et Tombouctou (Mali), de Ouagadougou (Burkina Faso) et de Grand Bassam (Côte d’Ivoire) respectivement en novembre 2015 et mai 2016, et en janvier et mars 2016, ainsi que celles du groupe Boko Haram au Niger (3 Juin 2016) et au Nigéria. La Conférence a exprimé sa solidarité avec les pays touchés et présente ses sincères condoléances aux Gouvernements et aux peuples du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger et du Nigeria.
Sur la situation au Mali, la Conférence a rappelé son attachement au respect de l’unité, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat Malien. Elle a exprimé sa « vive préoccupation, face à la détérioration de la situation sécuritaire au Mali, marqué par la recrudescence des attaques terroristes qui ont visé les forces de défense et de sécurité du Mali, les forces des Nations Unies, la force française Barkhane et les populations civiles. Cette situation constitue une menace pour l’ensemble de la sous-région ».
Usant du langage diplomatique, la Conférence a salué « les efforts déployés par le Gouvernement du Mali, sous le leadership du Président Ibrahim Boubacar Kéita, en vue de l’application intégrale et effective de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali ». Mais personne n’est dupe sur la situation qui prévaut au Mali, où les parties signataires, aussi bien la CMA que la Plateforme d’Alger (pro-gouvernementale) se plaignent, tapent du point sur la table et en arrivent même à claquer la porte, pour dénoncer la lenteur et l’immobilisme du président et du gouvernement dans l’application de l’accord et le processus de paix.
Redéployer l’armée malienne
La Conférence a en outre exprimé « son indignation face à la situation à Kidal où, un an après la signature de l’Accord, le Gouvernement et les Forces de Défense et de Sécurité du Mali n’ont toujours pas accès pour une sécurisation complète du territoire national et exige que cette situation prenne fin ».
Elle demande aux mouvements signataires de s’engager de bonne foi pour une application diligente, intégrale et effective de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. « La Conférence réitère sa décision adoptée lors de sa 47ème session tenue à Accra le 19 mai 2015 selon laquelle toutes les forces de défense et de sécurité du Mali disposent du droit et de la légitimité d’occuper toute localité du territoire national, dans le cadre de leur mission régalienne de protection des frontières, des personnes et de leurs biens et que toute occupation par des forces irrégulières non-étatiques est illégale et doit prendre fin ». Elle a demandé, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies, de l’Union Africaine et de la CEDEAO, que les Forces de Défenses et de Sécurité du Mali soient redéployées le plus immédiatement possible sur tout le territoire de l’Etat malien pour faire face aux ennemis de la paix et protéger les populations aux frontières. « La Conférence exhorte le Conseil de Sécurité des Nations Unies à prendre les mesures nécessaires pour renforcer le mandat de la MINUSMA et la doter de moyens et d’équipements adéquats, en vue de l’adapter au contexte sécuritaire qui menace la paix et la sécurité de l’ensemble de la Région, avec des risques de contagion ». Elle envisage de mettre en place une Force multinationale mixte pour lutter contre le terrorisme au Mali.
Le retour du ministre porte-parole
Au-delà du discours diplomatique qu’use l’organisation sous régionale, le terrorisme qui sévit au Mali depuis 2012 et qui tarde à être éradiqué tend au contraire ses tentacules au-delà de notre pays. Sauf à se voiler la face, les attentats du Capuccino au Burkina Faso et de Grand Bassam sentent un prolongement des attaques terroristes qui ont trouvé dans le nord du Mali un terreau fertile. Faute d’une réponse à la hauteur du fléau, ces attentats se sont étendus au centre et au sud du Mali depuis la visite controversée du Premier ministre Moussa Mara à Kidal en mai 2014 et la guerre qui s’en est suivie.
Tirant les enseignements de sa participation au 49ème Session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, le président Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso le plus gros contributeur au sein de la force onusienne au Mali (Minusma) a souhaité qu’une partie de ses hommes soient redéployés à la frontière entre les deux pays afin de limiter les incursions d’éléments armés sur son territoire. « Nous avons demandé au niveau de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) au Mali de pouvoir redéployer un de nos bataillons vers la frontière entre le Mali et le Burkina Faso », a déclaré dans la nuit de dimanche à lundi le président Kaboré à son retour du sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO). « Nous avons engagé cette discussion aussi bien avec le représentant spécial (du secrétaire général) de l’ONU à Dakar (Mohamed Ibn Chambas) mais également avec le président (malien) IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) », a indiqué le président Kaboré, soulignant que l’objectif était de « sécuriser beaucoup plus notre frontière du Nord ».
Selon le chef de la diplomatie burkinabè Alpha Barry, le président Kaboré devrait « rediscuter » de la question avec le patron des Nations Unies Ban Ki-moon en marge du sommet sur le VIH/Sida du 8 au 10 juin à New York.
Le Burkina Faso est le plus gros contributeur de troupes au sein de la Minusma avec deux bataillons de 850 hommes. Le premier est basé à Tombouctou et le deuxième près de Gao, deux des principales villes du nord du Mali, jadis occupées par les groupes armés.
Pays sahélien pauvre d’Afrique de l’ouest, le Burkina Faso est devenu une des cibles des groupes sahéliens. Depuis avril 2015, les attaques meurtrières à sa frontière nord avec le Mali sont fréquentes. « Six personnes -trois policiers, deux gendarmes et un civil- ont été tuées dans des localités situées au nord du Burkina Faso, frontalières du Mali et du Niger depuis avril 2015 », constate l’AFP. « Ces attaques ont culminé le 15 janvier lorsqu’un commando jihadiste a pris d’assaut plusieurs hôtels et restaurants en plein centre de Ouagadougou, tuant 30 personnes -majoritairement des étrangers- et en blessant 71 », rappelle l’AFP.
Le 26 mai, lors d’une interview sur RFI, l’opposant malien Tiébilé Dramé regrette qu’il n’y ait ni paix ni réconciliation, un an après la signature de l’Accord d’Alger. Il parle de la détérioration de la situation sécuritaire, de l’instabilité qui se « métastase » dans la sous- région. Sur Kidal, il soulignait qu’un an après Alger, cette région échappe toujours au contrôle de l’État et qu’à 10 kms de Tombouctou, il n’y a plus d’État.
Une semaine après, le vendredi 3 juin, le Gouvernement répond à Tiébilé Dramé. Choguel Maïga, le ministre porte parole du gouvernement qui avait perdu sa langue depuis son communiqué raté de l’histoire du « petit monsieur » l’a subitement retrouvée, mis en mission par le président et le Premier ministre pour répondre et porter les menaces du pouvoir contre l’opposant Tiebilé Dramé : « il y a des limites à ne pas franchir ».
Toutefois, avec le communiqué final du Sommet de Dakar, sans ambages, sauf à faire l’autruche, la CEDEAO rejoint les analyses de l’opposition. A suivre.
B. Daou