Entre demande de moyens humains et matériels et atermoiements, la liste macabre des victimes impose à la MINUSMA une autocritique et d’indispensables ajustements pour la stabilisation du Mali et pour son propre salut.
La recrudescence de l’insécurité qui étale au grand jour le manque de proactivité de la MINUSMA amène le secrétaire général de l’ONU à proposer des ajustements de la Mission qui seront examinés lors de la réunion du Conseil de sécurité de 16 juin prochain
Il n’y a plus de doute : les récents développements sécuritaires sont en passe de sortir la Mission onusienne de sa posture très confortable de ni paix ni guerre. Un bilan d’une dizaine de Casques bleus tués et des blessés pour le seul mois de mai ne pouvait pas ne pas échauder la MINUSMA qui s’abstient de parler de « mandat robuste », mais qui sollicite d’avantage de moyens, en hommes et en matériels.
La stabilisation
La réticence à parler de « mandat robuste » s’explique aisément, au regard des différentes résolutions qui ont fait l’objet d’une interprétation biaisée ou opportuniste sur le terrain.
La Résolution 2100, qui prône clairement la stabilisation des grandes agglomérations, principalement celles du Nord, donne le mandat suivant à la MINUSMA :
16. Décide de confier à la MINUSMA le mandat suivant :
a) Stabilisation de la situation dans les principales agglomérations et contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays
i) Pour appuyer les autorités de transitions maliennes, stabiliser la situation dans les principales agglomérations, en particulier dans le nord du pays, et, dans ce contexte, écarter les menaces et prendre activement des dispositions afin d’empêcher le retour d’éléments armés dans ces zones;
ii) Aider les autorités de transition maliennes à étendre et rétablir l’administration de l’État dans tout le pays;
iii) Accompagner les efforts nationaux et internationaux visant à rebâtir le secteur de la sécurité malien, en particulier la police et la gendarmerie, grâce à une aide technique, au renforcement des capacités et à des programmes de partage de locaux et de mentorat, ainsi que les secteurs de l’état de droit et de la justice, dans les limites de ses capacités et en étroite coordination avec les autres partenaires bilatéraux, donateurs et organismes internationaux menant des activités dans ces domaines, y compris l’Union européenne;
iv) Aider les autorités de transition maliennes, par des activités de formation et d’autres formes d’appui, à mener la lutte antimines et à gérer les armes et munitions;
v) Aider les autorités de transition maliennes à arrêter et exécuter des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration des ex-combattants et de démantèlement des milices et des groupes d’autodéfense, conformément aux objectifs de réconciliation et compte tenu des besoins propres aux enfants démobilisés;
b) Contribution à l’application de la feuille de route pour la transition, y compris le dialogue national et le processus électoral ;
i) Aider les autorités de transition maliennes à appliquer rapidement le feuille de route pour la transition en vue du plein rétablissement au Mali de l’ordre constitutionnel, de la démocratie et de l’unité nationale;
ii) User de ses bons offices et de mesures de confiance et d’encouragement aux niveaux national et local, y compris par l’entremise de partenaires locaux, selon qu’il conviendra, pour prévoir, prévenir, atténuer et régler tout conflit;
iii) Aider les autorités de transition maliennes et les populations du nord du pays à faciliter tous progrès dans le sens d’un dialogue national sans exclusive et l’entreprise de réconciliation, en particulier le processus de négociation visé au paragraphe 4, y compris en renforçant les capacités de négociation et en favorisant la participation de la société civile, dont les associations féminines;
iv) Concourir à l’organisation et à la conduite d’élections présidentielle et législatives transparentes, régulières, libres et ouvertes à tous, en apportant notamment l’aide logistique et technique voulue et en mettant en place des mesures de sécurité efficaces;
Le recul
Quant à la Résolution 2164, adoptée par le Conseil de sécurité à sa 7210e séance, le 25 juin 2014, qui ne se présente pas comme une suite logique de la précédente, à certains égards, donne ce mandat à la MINUSMA :
11. Décide de proroger le mandat de la MINUSMA jusqu’au 30 juin 2015, dans les limites de l’effectif maximum autorisé, soit 11 200 militaires, y compris l’effectif des bataillons de réserve pouvant être déployés rapidement à l’intérieur du pays, et 1 440 policiers;
12. Autorise la MINUSMA à utiliser tous les moyens nécessaires pour accomplir son mandat, dans les limites de ses capacités et dans ses zones de déploiement;
13. Décide que le mandat de la MINUSMA sera axé sur les tâches prioritaires ci-après :
a) Sécurité, stabilisation et protection des civils
i) Pour appuyer les autorités maliennes, stabiliser les principales agglomérations, notamment dans le nord du pays, et, dans ce contexte, écarter les menaces et prendre activement des dispositions pour empêcher le retour d’éléments armés dans ces zones;
ii) Assurer, sans préjudice de la responsabilité des autorités maliennes, la protection des civils immédiatement menacés de violences physiques;
iii) Assurer une protection particulière aux femmes et aux enfants touchés par le conflit armé, notamment en déployant des conseillers pour la protection des enfants et des conseillers pour la protection des femmes, et répondre aux besoins des victimes de violences sexuelles et sexistes liées au conflit;
iv) Étendre sa présence, notamment grâce à des patrouilles de longue portée, dans la limite de ses capacités, dans le nord du pays, au -delà des principales agglomérations, et en particulier dans les zones où les civils sont en danger;
v) Appuyer l’application du cessez-le-feu et des mesures de confiance sur le terrain, conformément aux dis positions de l’Accord préliminaire de Ouagadougou;
vi) Renforcer sa coordination opérationnelle avec les Forces de défense et de sécurité maliennes, dans les limites de ses moyens et dans ses zones de déploiement, dans le cadre de l’Accord préliminaire de Ouagadougou, sous réserve d’une évaluation des risques et en stricte conformité avec la Politique de diligence voulue en matière de droits de l’homme dans le contexte de la fourniture d’appui par l’ONU à des forces de sécurité non onusienne.
La rebuffade
En faisant une synopsis de ces deux passages de mandat, il apparaît clairement une rebuffade de la Mission onusienne. Et pour cause, la résolution 2100 demande la ‘’stabilisation de la situation dans les principales agglomérations et contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays’’. Ce qui en fait une mission pleine et entière de la MINUSMA, même si cela ne dispense pas l’État dont c’est la responsabilité première, en temps normal. Hélas ! Sur ce plan, son engagement laisse à désirer.
C’est sous les feux des critiques sur ce point, pourtant essentiel, mais insuffisamment pris en compte, qu’est intervenue la Résolution 2164 qui est un véritable recul par rapport à la mission de sécurisation des agglomérations et une véritable bouée de sauvetage pour des Missionnaires qui avaient compris leur mission comme un safari dans le désert ou un farniente dans la capitale. Et pour cause, cette Résolution stipule : ‘’sécurité, stabilisation et protection des civils’’. Elle fait volontairement l’impasse sur les ‘’agglomérations. Ce qui est pourtant l’essence de sa mission ; d’autant plus que les institutions de la République sont sécurisées déjà par les FAMAS.
L’on constate qu’il n’est expressément fait cas de la stabilisation des principales agglomérations que dans le passage suivant : ‘’pour appuyer les autorités maliennes, stabiliser les principales agglomérations, notamment dans le nord du pays, et, dans ce contexte, écarter les menaces et prendre activement des dispositions pour empêcher le retour d’éléments armés dans ces zones’’. Au terme de cette disposition, le rôle de la MINUSMA est réduit à sa plus simple expression d’accompagnement des autorités maliennes. Voici la brèche ouverte qui a permis à la Mission onusienne de répéter à qui veut l’entendre qu’elle n’a pas une mission de combat ; mais d’interposition, de protection des civils. La dimension stabilisation des principales agglomérations étant superbement charcutée pour les besoins de la cause.
L’utopie
A l’analyse, l’on est en présence d’une utopie. Parce qu’il est impossible de protéger les populations civiles, sans stabiliser les villes dans lesquelles elles résident. Ce qui nous ramène à la case départ de la stabilisation des principales agglomérations. Du reste la mission d’interposition n’a plus aucune raison d’être après la signature de l’accord de cessez-le-feu du 23 mai 2014 et des arrangements sécuritaires pour l’arrêt des hostilités, et la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. En tout cas, il y a très peu de chance qu’elle, la Mission onusienne, soit mise à contribution pour une telle intervention dans le contexte actuel.
Par contre, ce qui est attendu de la MINUSMA, c’est son plein investissement dans la lutte contre « le retour d’éléments armés » dans ses zones d’intervention. Ce qui est clairement stipulé dans son mandat. Par « éléments armés » on n’entend non les signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (CMA et Plateforme) avec lesquels la MINUSMA fait si bon ménage que l’on est en droit de croire une complicité ; mais d’éléments djihadistes (Ansar Eddine, AQMI, MUJA0, Front de Libération du Macina (FLM), Al Mourrabitoune., etc.) Ce devrait être eux la cible de la MINUSMA. Ce d’autant plus qu’ils sont désormais les principaux dangers pour la stabilisation des villes, pour la population civile et militaire.
Curieusement, la MINUSMA qui a toujours prétexté que la lutte contre le terrorisme ne faisant pas partie de son mandat, n’a donc jamais daigné prendre à bras le corps cette dimension sécuritaire relative à la lutte antiterrorisme. Or les terroristes ou djihadistes, sont ceux-là mêmes qui sont désignés par « éléments armés » que son mandat lui impose de combattre. Bien sûr dans la limite de ses moyens.
La fuite en avant
La Résolution 2227 adoptée le 29 juin 2015, bien qu’effectuant une légère avancée par rapport à la précédente n’engage pour autant pas particulièrement la MINUSMA. En effet elle souligne que la responsabilité de lutter contre ces menaces, à savoir les menaces terroristes, incombe aux pays de la région. Il devient donc évident que la MINUSMA entend laisser les premiers rôles au G5 Sahel qui a certes de grandes ambitions en matière de lutte contre le terrorisme, mais qui n’est encore que balbutiant et doit préalablement réunir les moyens de ses ambitions. Ce, alors que les terroristes réinvestissent, avec une capacité de nuisance inouïe, les zones anciennement désaffectées suite à l’opération Serval.
La fuite de responsabilité (Il faut en convenir que le G5 Sahel est aussi responsable de la sécurité de son espace commun), apparaît de façon criarde en ce qui est de la protection des civils et stabilisation où la Résolution 2227 stipule : ‘’ i) Assurer, sans préjudice de la responsabilité première des autorités maliennes, la protection des civils immédiatement menacés de violences physiques; ii) Fournir un appui aux autorités maliennes pour stabiliser les principales agglomérations et les autres zones où les civils sont en danger, notamment dans le nord du pays, en effectuant des patrouilles de longue portée, entre autres choses, et, dans ce contexte, écarter les menaces et prendre activement des mesures pour empêcher le retour d’éléments armés dans ces zones’’.
L’autocritique
À défaut d’empêcher le retour d’éléments armés, la MINUSMA devient leur cible de prédilection, les FAMAS et Barkhane n’étant pas non plus épargnés. Les lourdes pertes enregistrées pour le seul mois de mai ont ouvert les yeux d’une MINUSMA apathique sur les questions de terrorisme. C’est certainement pourquoi, lors de la conférence de presse du Représentant spécial du Secrétaire général, Chef de la MINUSMA, Mahamat Saleh ANNADIF, le 2 juin dernier, déclarait : « J’estime que nous même au niveau de la MINUSMA, nous devrons faire notre autocritique. Il y a un certain nombre de choses à notre disposition que nous aurions dû mieux exploiter pour qu’on soit plus proactif, plus dissuasif et dans un tel environnement et il faut montrer ce dont on est capable. Est-ce qu’on les a toujours montrées ? Est-ce qu’on les a toujours utilisées ? »
« Il y a un certain nombre de leçons que nous devons sereinement et la plus froide possible que nous devons tirer. Et dire que cela ne peut plus continuer comme tel. Il est extrêmement important que notre attitude change.
Maintenant, il est vrai qu’il y a un certain nombre de choses en matière d’équipements notamment en matière d’engins blindés, d’avions de surveillance et de renseignement qui doivent être renforcés. Certaines à partir de la MINUSMA mais d’autres qui demandent sûrement d’être prises en compte au niveau de la résolution qui va sortir ».
A l’évidence les « attaques complexes », avec leurs lots de tués et de blessés, ont eu raison de la résistance de la MINUSMA à faire franchement face à sa mission. Toutefois, d’après les experts de l’ONU, les effectifs sont insuffisants. Le climat de tension qui s’intensifie depuis le mois de mai – 12 morts pour ce seul mois – impose une revue des effectifs. C’est pourquoi la MINUSMA demande un renforcement à hauteur de 2 500 hommes, sous peine de ne pas pouvoir assurer sa mission de stabilisation dans les principales agglomérations. Des moyens aériens sont également demandés pour appuyer les troupes autorisées à prendre toutes les mesures requises pour s’acquitter de leur mandat. A cela s’ajoute le besoin en renseignement humain qu’il faudrait combler pour plus d’efficience.
Des ajustements
Ceci expliquant cela, dans le rapport du Secrétaire général de l’ONU devant être présenté au Conseil de sécurité des Nations Unies, l’on retrouve en ce qui est de la surveillance du cessez-le-feu, protection des civils et stabilisation : ‘’compte tenu des menaces existantes et afin de renforcer le dispositif de la MINUSMA, il faudrait envisager de revoir le mandat de la Mission, en particulier pour confirmer qu’elle est autorisée à prendre toutes les mesures nécessaires, à l’intérieur de ses zones de déploiement et en fonction de ses moyens, afin de faire en sorte que ses zones d’opérations ne soient pas utilisées pour perpétrer des actes d’hostilité de quelque nature que ce soit qui puissent l’empêcher de s’acquitter des tâches relevant de son mandat et de protéger le personnel, les locaux, les installations et le matériel des Nations Unies. Ce faisant, la MINUSMA devrait agir en coordination avec le Gouvernement et les forces internationales. Elle devrait aussi continuer de fournir un appui aux autorités maliennes pour protéger les civils, stabiliser les principales agglomérations et les autres zones où les civils sont en danger, notamment dans le nord du pays, en effectuant des patrouilles à grande distance, et, dans ce contexte, écarter les menaces et prendre activement des mesures pour empêcher le retour d’éléments armés dans ces zones. Elle devrait continuer d’effectuer des patrouilles sur les principaux axes, soit indépendamment soit en coordination avec les forces armées maliennes. Pour soutenir l’action menée par le Gouvernement, elle mettrait en place des interventions multidimensionnelles adaptées visant à apaiser les tensions intercommunautaires, en tenant compte de la dynamique des conflits locaux’’.
La prise de conscience de MINUSMA se reflète à un double niveau.
D’abord, au niveau de la nécessité de révision du mandat de la MINUSMA. C’est là le nœud gordien de cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. En réalité l’insuffisance de ce mandat qui est au cœur d’une véritable controverse mérite d’être levée. Cela, pour la stabilisation du Mali et le salut de la MINUSMA qui est mise à rude épreuve, malgré son refus obstiné de combattre les terroristes qui n’ont jamais respecté un pacte formel ou tacite de non –agression.
Ensuite la prise de conscience se reflète au niveau de l’engagement de la MINUSMA à tout mettre en œuvre pour que ses zones d’intervention ne servent pas de base-arrière à des psychopathes.
Par Bertin DAKOUO