La décentralisation est un mode d’organisation administrative qui consiste à reconnaitre la personnalité à des communautés d’intérêt (région, cercle, commune) ou à des activités de service public. Elle consiste à confier aux communautés un pouvoir décisionnel dans certains domaines. On mesure ainsi les enjeux de la décentralisation. Il s’agit certes de rapprocher les centres décisionnels des administrés en vue d’augmenter la pertinence des décisions prises.
Dans la gouvernance en mode décentralisé, les décisions prises sont généralement fondées sur une meilleure connaissance du terrain et permet d’éviter de erreurs dues à l’ignorance des données propres à la vie locale. La décentralisation est donc un facteur de développement local. Elle le mode de gouvernance au Mali depuis 1993.
Le tableau du développement local est peu reluisant dans bon nombre de collectivités territoriales au Mali. Parmi ces collectivités territoriales, on peut citer la Commune rurale de Liberté Dembaya dans la région de Kayes.
La Commune rurale de Liberté Dembaya relève du cercle de Kayes. Dans l’ancien découpage administratif elle faisait office de l’ex-arrondissement central de Kayes.
Géographiquement, elle est située tout autour de la Commune urbaine de Kayes sur un rayon de 7 km environ sur la rive gauche du fleuve Sénégal. Le chef-lieu de cette commune rurale est Diyala, une agglomération située à l’ouest de la ville de Kayes, sur la route de Dakar au Sénégal.
La Commune rurale de Liberté Dembaya est menacée d’absorption par extension de la ville de Kayes. Sa population est composée de Khassonkés majoritairement, de Soninkés, de Bambanas, de Peuls. Elle vit essentiellement d’agriculture, de maraichage le long du fleuve Sénégal, de l’apport de la migration. L’avènement de la décentralisation a été salué par les populations. Elles voyaient en elle un facteur de développement local impliquant les communautés dans la gestion des affaires publiques. Elle a suscité de l’espoir et beaucoup d’enthousiasme chez les populations dans sa mise en œuvre.
Les villages volontairement se sont mis ensemble pour constituer la dite commune sans rivalité intestine aucune. C’est dire qu’ils ont accepté de cheminer ensemble vers le développement local. Dans la Commune de Liberté Dembaya la cohésion sociale est de mise, il n’y a pas de fracture sociale. Les populations ont le même passé, la même histoire, les mêmes bons et mauvais souvenirs, ayant le même objectif : le développement socio-économique, le bien-être collectif. Mais au bout de vingt ans de gestion, de gouvernance en mode décentralisé, le constat sur le terrain est peu reluisant.
Les ressources censées générer des fonds de la commune sont exploitées par les populations d’autres communes, notamment celle de Kayes. C’est le cas des matériaux de construction comme le sable du marigot de Papara, le gravier de Gaima. Les ressources ne sont pas répertoriées ni mises en valeur au bénéfice des populations. Beaucoup de ressources existent dans cette commune, mais elles n’apportent rien à son développement, car inexploitées ou exploitées par les populations d’autres communes sans contrepartie.
La Commune rurale de Liberté Dembaya cependant abrite un poste de contrôle routier à trafic très dense dans la partie ouest sur le corridor Bamako-Dakar qui génère certainement des fonds. Mais les populations continuent à s’interroger sur la destination de ces fonds.
Sur le plan civique, les populations ne s’acquittent pas correctement de leurs obligations fiscales. Elles ne payent pas les taxes et les impôts avec les quels on construit généralement les infrastructures socio-économiques de base. Les populations s’intéressent de moins en moins à la chose publique, s’impliquent de moins en moins dans les actions de développement local. Elles ne jouent pas pleinement sa partition d’acteur de développement communautaire. Or c’est elles qui sont au début, au milieu et à la fin de toute action de développement local. Les élus locaux sont là pour stimuler, orienter, appuyer et accompagner le développement local.
Sur le plan éducation, c’est l’une des communes la moins couverte en infrastructures scolaires. La plupart de ses villages sont sans école. Par exemple les enfants du village de Gaima sont obligés de parcourir dans la journée près de 12 km pour aller à l’école. C’est pourquoi le taux de scolarisation dans cette commune est très faible, le taux d’abandon avant le diplôme d’études fondamentales (DEF) y est très élevé.
La jeunesse dans ces conditions ne voit qu’une seule issue, c’est la migration avec son cortège de morts dans les profondeurs de la mer Méditerranée. Dans toute la commune, un seul village sur plus d’une dizaine est doté d’un second cycle fondamental. En ce 21e siècle, l’accès de tous les enfants à l’école est loin d’être une réalité.
Sur le plan sur le plan infrastructures de santé, le constat est le même. A ce niveau également un seul village (le chef-lieu de commune) a son centre de santé communautaire. Les populations des autres villages parcourent des kilomètres pour rejoindre la ville de Kayes en vue de se soigner. Elles se voient obliger de traverser des marigots avec beaucoup de peine, surtout en saison des pluies, monter des collines, pour prendre des soins les plus élémentaires (consultation, injections, perfusions) faute de centres de santé de proximité.
Pour faire de la décentralisation un véritable outil de développement local, les élus locaux doivent être choisis en fonction des critères de probité morale, de dévouement pour la cause de leur communauté. Un élu local digne de ce nom est fait pour servir sa commune, mais il n’est pas fait pour se servir de sa commune. En outre, il est nécessaire pour chaque acteur (Etat, élus locaux, populations, partenaires techniques et financiers…) de jouer pleinement son rôle.
Les acteurs en matière de décentralisation constituent un tout complexe, une unité organique, un ensemble. Une équipe qui gagne dans le match de la décentralisation et du développement local, n’est-elle pas une équipe où chaque élément reste à sa place pour bien jouer son rôle ?
Mamadou Sissoko
Professeur d’enseignement supérieur à l’INJS, ressortissant de la Commune