L’Etat malien a souvent incité les citoyens à doter leurs parcelles de titres fonciers. Dans les sketches publiés en la circonstance sur les antennes de l’ORTM, on laissait entendre que le titre foncier apportait à son titulaire une sécurité foncière absolue. Or, dans les faits, rien n’est moins vrai. La raison ? Une opposition frontale entre le texte de la loi et la jurisprudence des tribunaux maliens.
Il ressort des articles 169 à 171 du Code domanial et foncier du Mali que le titre foncier est « le point de départ de tout droit réel sur un immeuble », qu’il est « définitif et inattaquable » et que toute action dirigée contre lui est « irrecevable devant les juridictions ». L’article 171 va plus loin en disposant que si, lors de sa création, le titre foncier a lésé les droits d’un tiers, ce dernier ne peut attaquer le titre et ne détient qu’une action en indemnisation contre l’administration fautive. Pour mieux cadenasser les prérogatives nées du titre foncier, une nouvelle loi (n°001 du 10 janvier 2012) est venue modifier le Code domanial et foncier. Elle précise en son article 171 qu’« à l’exclusion de l’action personnelle (en indemnisation) ci-dessus indiquée, aucun droit coutumier, aucun droit conféré par un permis d’occuper, une concession rurale ou une lettre d’attribution n’est opposable au titre foncier ». Ces articles de loi mettent, en théorie, le titre foncier et son titulaire à l’abri de toute contestation judiciaire ou administrative.
Mais il y a loin, très loin de la théorie à la réalité : les juges, eux, n’entendent guère les choses de cette oreille. Nuit et jour, ils annulent les actes administratifs de cession, c’est-à-dire les actes par lesquels les titres fonciers sont cédés par l’administration à des particuliers. Ces derniers perdent alors tout droit sur lesdits titres, ce qui revient, de manière biaisée, à ôter tout effet aux titres fonciers et, par conséquent, tout intérêt aux articles clairement énoncés du Code domanial et foncier. Au bout du compte, le titre foncier est devenu aussi précaire qu’une lettre d’attribution, au nez et à la barbe du législateur qui voit ainsi ses efforts de sécurisation anéantis par les tribunaux. Certes, en certaines occasions, les juges n’ont pas tort de sévir, notamment contre les spéculateurs fonciers et leurs complices fonctionnaires qui s’amusent à établir des titres fonciers sans aucun respect de la procédure légale. Mais il reste que le titre foncier ne cesse de se déprécier, ce qui tranche avec sa vocation de base. Comment lui restituer sa solidité juridique ? C’est ce débat qui mérite, à présent, d’être mené. Il y va non seulement de la sécurité des propriétaires fonciers, mais aussi et surtout de la survie des banques, socle de l’économie nationale. En effet, celles-ci n’acceptent, à titre de garanties, que des titres fonciers au motif qu’ils bénéficient d’une forte protection légale. Or si, avant le remboursement du prêt, l’emprunteur est dépouillé de son titre foncier, la banque se retrouvera le bec dans l’eau. Et s’il arrivait que les titres fonciers inspirent aussi peu confiance que les titres précaires, quelle banque prêterait encore de l’argent aux opérateurs économiques ? Sans prêt bancaire, quel opérateur pourrait financer ses activités et, partant, payer des impôts et taxes à l’Etat ?
Par ailleurs, la désaffection générale à l’égard du titre foncier risque de conduire les usagers à ne plus se lancer dans son processus d’acquisition, lequel s’avère, au demeurant, extrêmement lent et coûteux. Ce sera là un nouveau manque à gagner pour le trésor public déjà saigné à blanc par la crise multiforme que traverse le pays depuis 2012.