Après une accalmie, on assiste à une recrudescence des attaques terroristes contre la Minusma et les Fama. Le 31 mai 2016, le contingent chinois a été visé à Gao, pour la première fois. Syndicaliste et intellectuel autodidacte de la diaspora malienne en France, Fousseyni Camara a accepté de nous livrer sa vision des choses dans un bref entretien. Interview !
Le Reporter : Après une accalmie, comment expliquez-vous la recrudescence des attaques terroristes au nord et au centre du Mali ?
Fousseyni Camara : Je l'explique par une révolution de palais entre les groupes armés. On peut dormir à plusieurs dans la même chambre ou sur le même lit sans que les rêves des uns et des autres ne soient jamais identiques. Soyons très vigilants pour éviter d’être les dindons de la farce. Malgré leur mauvaise foi légendaire, leurs caprices et le soutien indéfectible de la supposée communauté internationale à leur cause, ils ont cru jusqu'au bout à leur indépendance inéluctable. Notre débâcle à Kidal est passée par là. Mais, sans que le Mali y soit pour quelque chose, la peur est en train de changer de camp. Donc, là, ils sont pris de panique et cette association de malfaiteurs joue à sauve-qui-peut pour préserver le partage final du gâteau.
Cette recrudescence s'explique incontestablement par le fait qu'ils se sont entendu sur le dos du Mali par haine de notre pays et ont fini par se rendre compte désespérément que le gouvernement cède sur tout, même ce qu'ils n'ont pas exigé de notre pays. L’étau se resserre et, dans leur logique, le sang doit couler pour une clarification, à savoir quel groupe sera le maître incontesté au Nord de notre pays. La passivité du Mali les rassure ; donc, il leur faut tout mettre en œuvre pour intimider la communauté internationale à se plier à leur logique.
Est-ce que le retard pris dans la mise en œuvre de l'accord est une opportunité pour les réseaux terroristes de se remettre en selle ?
Les groupes armés, même dans leur pire cauchemar, n'ont jamais cru réalisable la conclusion d'un accord avec le pouvoir central. Mais les autorités maliennes n'avaient ni solution, ni plan de sortie de crise Made in Mali, ni même de plan B. Nous étions K.O débout.
La communauté internationale est venue prétextant nous protéger des terroristes et cela, à l'appel d'une grande puissance (la France), et s'est laissée piéger en changeant brutalement de position pour finir par se faire convaincre qu'elle n'est là que pour protéger une minorité.
En effet, en foulant le sol malien à son corps défendant, elle est venue au Mali avec de sérieux aprioris et ainsi donner le sentiment de n'être là que pour défendre le faible (les groupes armés) contre le fort (15 millions de Noirs) «prêt à exterminer» une minorité à peau blanche. L'accord pour la paix prend du retard.
Ce qui est un vrai nœud gordien pour la France, la communauté internationale et les groupes armés, car un plan B non prévu est sur le point de supplanter le plan A des ennemis du Mali. Les groupes armés sont pris à leur propre piège, ils sont désespérés et le désespoir n'est rien d'autre qu'une défaite anticipée.
La France semble comprendre que ses protégés ne sont pas fiables. Le pire pour le Mali est qu'il doit se résigner à consacrer chaque année l’équivalent du budget de l'éducation et de la santé pour avoir la paix sans une présence notable de l'Etat au Nord du pays.
C'est la première fois que le contingent chinois est visé. Qu'en pensez-vous ?
Aucune raison rationnelle ne peut expliquer l'attaque du contingent chinois, si ce n'est l'hostilité insupportable de la présence des forces étrangères au nord du Mali. À défaut d'obtenir l’indépendance, cette nébuleuse connexion rebelles/terroristes considère toute force présente au Nord comme une force ennemie constituant un frein au contrôle du Nord. La Chine est l'une des cibles tout simplement parce que la Mission onusienne au Mali est très floue et ambiguë.
Les groupes armés profitent de cette faille. La Chine doit peser de tout son poids mondial pour faire comprendre que la dissuasion et l'interposition ne s'appliquent qu'à deux pays en guerre et non dans une lutte contre le terrorisme et qu’il devient désormais aléatoire de faire une distinction entre tous ceux qui détiennent encore des quantités d’armes au Nord du Mali, alors même qu’un accord est train d’être appliqué au prix d’un sacrifice énorme pour le peuple malien.
C'est aussi la première attaque nocturne ? Est-ce qu'un changement de stratégie par les réseaux terroristes ?
La force des terroristes est qu'ils attaquent là où on ne les attend pas. Malheureusement, il va falloir que nous soyons extrêmement vigilants, car, par essence, ce sont eux qui mènent la danse et auront toujours un pion d'avance sur nous.
Propos recueillis par Moussa BOLLY