Pour la énième fois depuis l’’arrivée du président Ibrahim Boubacar Kéïta à la tête du pays, le gouvernement de la République du Mali cède face à la pression des rebelles. Cette fois-ci, il plie par rapport à la mise en œuvre du brûlant dossier sur les autorités intérimaires, un dossier qui avait récemment rompu le dialogue entre les deux parties ; le gouvernement plaidant pour l’extension de la mesure à l’ensemble des régions du pays alors que les groupes armés exigent que, les autorités transitoires s’appliquent aux seules régions du nord.
Nous apprenons qu’à la faveur de la neuvième session ordinaire du Comité de suivi de l’Accord (CSA) tenue les 13 et 14 juin derniers, sous la présidence de l’Algérie, il y a eu une «ENTENTE sur les modalités pratiques de mise en place des autorités intérimaires, des chefs de circonscriptions administratives, le redéploiement des services déconcentrés de l’Etat et sur le mécanisme opérationnel de coordination ». Les rebelles ont donc gagné le combat. Vous avez dit Etat souverain ?
« Notre gouvernement a encore cédé face aux rebelles », « IBK capitule encore devant la CMA », « Une véritable gifle de la CMA ! », « C’est l’impuissance d’IBK »…Autant de commentaires et d’exclamations que l’on entend çà et là depuis l’annonce de la nouvelle que le gouvernement et les groupes rebelles ont accordé leurs violons à propos des autorités transitoires, qui seront rapidement installées dans les cinq régions du nord, à savoir Tombouctou, Gao, Kidal, Ménaka et Taoudénit.
Le gouvernement recule
Il y a de cela quelques semaines, la Coordination des mouvements de l’Azawad et la Plateforme avaient suspendu leur participation au Comité de suivi de l’Accord et conditionné leur retour à la table du dialogue à la mise en place diligente des autorités intérimaires. Les représentants du gouvernement au CSA ne trouvaient pas cet aspect prioritaire, ni urgent. C’est le clash. Les deux parties se déportent alors chez le Médiateur, l’Algérie, qui tape du poing sur la planche. Le voisin exige la reprise des travaux du CSA avec, à l’ordre du jour, l’examen de deux points essentiels à savoir (tenez-vous bien !), la mise en place des autorités intérimaires et l’opérationnalisation des mécanismes sécuritaires, en particulier les patrouilles mixtes.
Aussitôt ordonné, aussitôt fait ! Le CSA tient sa neuvième session ordinaire au Centre International de Conférence de Bamako, les 13 et 14 juin 2015, sous la présidence de l’Algérie, conformément aux dispositions du chapitre 19, articles 57 et suivants de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger et de son Règlement intérieur. Un communiqué de capitulation du gouvernement sanctionne la fin des travaux.
En effet, les parties adoptent une sorte de protocole d’« ENTENTE sur les modalités pratiques de mise en place des autorités intérimaires, des chefs de circonscriptions administratives, le redéploiement des services déconcentrés de l’Etat et sur le mécanisme opérationnel de coordination ». « Cette ENTENTE constitue une avancée significative dans le processus de paix », selon le Comité. Qui exhorte les parties au respect de leurs engagements et d’en assurer une mise en œuvre diligente dès sa signature.
En outre, « le Comité s’est félicité de l’esprit de collaboration, de dialogue et d’engagement renouvelé à la mise en œuvre diligente et intégrale de l’Accord, manifesté par les Parties lors des différentes discussions ».
Voilà comment le gouvernement malien a encore mordu la poussière sous la pression des rebelles, de l’Algérie et de la France.
Pourtant, c’est le même gouvernement qui a initié et défendu vaillamment l’idée des autorités intérimaires contre l’avis de l’opposition et d’une frange importante de la population.
Le 31 mars 2016, il fait adopter par l’Assemblée nationale la loi n°2016-11/AN-RM portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012, modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales. Cette loi consacre la substitution des autorités intérimaires aux délégations spéciales des collectivités territoriales dans les régions du nord du Mali.
Le législateur est parti sur la base des arguments du gouvernement dans le projet de loi. D’abord, les collectivités territoriales présenteraient des limites au regard, notamment, de leur taille réduite, de leurs attributions restrictives et de la durée de leur mandat.
Ensuite, la mise en place des autorités intérimaires s’inscrit dans le cadre du renforcement de la continuité des organes élus des collectivités territoriales. Car, contrairement aux Délégations spéciales, elles sont chargées, sans restriction, des attributions dévolues aux conseils des collectivités territoriales qu’elles remplacent.
Enfin, cette loi s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger. A ce niveau, il est effectivement dit qu’« afin d’assurer la continuité de l’Etat, les institutions actuelles poursuivront leur mission jusqu’à la mise en place des organes prévus dans le présent Accord. La mise en place, le cas échéant et au plus tard trois mois après la signature de l’Accord, des autorités chargées de l’administration des communes, cercles et régions du Nord durant la période intérimaire …».
Mais, ces arguments n’avaient convaincu ni les élus du nord, ni l’opposition politique encore moins le peuple.
La loi controverse
Le premier rideau de contestation est parti des élus du nord qui n’étaient pas d’accord avec cette loi instituant les autorités intérimaires et l’avaient fait savoir, bien avant son adoption, au président de la République. Ils avaient le soutien des populations du nord à cause des multiples risques de tension que le texte faisait planer. Quels sont ces risques de tension ?
Primo, dès le lancement de l’initiative, les groupes armés avaient directement entamé une campagne d’information des populations sur les changements prévus dans la gestion des collectivités du nord. Ils expliquent notamment que la gestion des collectivités reviendra bientôt à la CMA et à la Plateforme, alors qu’il y a des localités où ces mouvements n’ont même pas de représentants.
Effectivement, le choix des membres des autorités intérimaires, place systématiquement les régions de Tombouctou, Gao, Kidal, Ménaka et Taoudénit sous le contrôle de la CMA et de la Plateforme. Parce qu’il est dit que les membres des autorités transitoires « seront désignés par le Gouvernement, la Coordination et la Plateforme au sein d’un vivier comprenant les autorités traditionnelles, la société civile, les conseillers sortants et les agents des services déconcentrés du ressort de la collectivité territoriale concernée… ». Du coup, les anciens maires et présidents de conseil sont mis à l’écart. Pis, des structures politiques locales de la CMA et de la Plateforme étaient en train de pousser dans toutes les collectivités du nord, en plus du fait que les groupes armés sont autorisés à se muer en partis politiques en prélude aux futures échéances électorales.
Secundo, les élus des régions du nord ont adressé trois correspondances au Président de la République pour manifester leur opposition à l’idée d’instaurer des autorités transitoires après que les mandats des organes des collectivités eurent été prorogés jusqu’à la tenue des prochaines élections communales et régionales. Ils affirment leur attachement à l’unité nationale et à la cohésion sociale au bénéfice des communautés dont ils disent demeurer les seuls représentants légitimes. Pour les élus du nord, il y a deux poids, deux mesures, et selon eux la mesure doit s’imposer à tous et s’étendre à tout le Mali afin d’éviter de donner raison à toute idée séparatiste du pays.
D’où la question, synonyme du tertio de notre raisonnement: les autorités transitoires sont-elles nécessaires ? Avis partagés ! Mais, les détracteurs redoutent que cette mesure n’accentue davantage le clivage entre les régions du nord et le reste du Mali.
La bataille judiciaire
L’opposition politique prend le relai de la contestation après l’adoption effective de la loi. Elle est directement allée à l’essentiel à travers les membres de du Groupe parlementaire Vigilance démocratique et républicaine (Vrd) qui ont déféré à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 88 alinéa 2 de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions de la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012, modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales.
Parmi les griefs exposés par les requérants (la constitution de l’autorité intérimaire, la nomination de ses membres, le constat de l’impossibilité de constituer le conseil communal ou sa non fonctionnalité, la violation de l’article 70 de la constitution par l’article 86 nouveau, l’adoption de la loi en violation de l’article 99, alinéa 3 de la constitution etc..), l’accent est particulièrement mis sur la VIOLATION DU PRINCIPE CONSTITUTIONNEL DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES posé par l’article 98 de la constitution.
En effet, l’article 98 de la constitution dispose : « Les collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions fixées par la loi ».
Les requérants avancent qu’il est admis que du principe de la libre administration, il découle la garantie d’une autonomie à la fois constitutionnelle et fonctionnelle au profit des collectivités territoriales et que cette autonomie institutionnelle suppose des conseils élus.
Autre grief invoqué par les députés de l’opposition : prescrire dans la loi le remplacement de conseils élus par des organes dont les membres sont nommés par le pouvoir central consacre une mise en cause du principe de la libre administration par le législateur au profit de la déconcentration.
Le législateur malien l’ayant fait, il a mis en cause le principe de la libre administration, donc il a violé la constitution.
Par conséquent, les requérants demandent à la cour constitutionnelle de déclarer contraires à la constitution, les articles 11 nouveau, 12 nouveau, 86 nouveau, 87 nouveau, 152 nouveau et 153 nouveau (qui violent le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales.
Mais, ils n’ont pas été suivis par la Cour constitutionnelle qui, dans un arrêt rendu le 5 mai 2016, déboute l’opposition malienne de sa requête en annulation de la loi sur le Code des collectivités territoriales créant les autorités transitoires ou intérimaires au nord du Mali introduite par son groupe parlementaire VRD. Au vu de plusieurs motifs invoqués par la Cour, celle-ci déclare tout simplement que la loi incriminée est tout à fait conforme à la constitution.
Plus tard, le gouvernement s’est rendu à l’évidence que la mesure ne pouvait être appliquée et a voulu faire marche arrière. Mais, trop tard. « Le vin est tiré… ».
Sékou Tamboura