Le 16 juin 2016
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je suis particulièrement honoré et heureux d’être parmi vous ce matin. Cette occasion survient 5 mois jour pour jour après ma prise de fonction à la tête de la MINUSMA le 15 janvier 2016. Elle intervient également 3 mois après votre mémorable visite au Mali du 4 au 5 Mars 2016 où vous avez eu l'occasion de visiter notamment Bamako, Mopti et Tombouctou.
C'est donc la première fois que je me présente devant vous pour la présentation du rapport du Secrétaire Général sur la situation au Mali. Je me réjouis de cette occasion qui m'est offerte et vous salue au noms des femmes et des hommes de la MINUSMA qui se dévouent jour et nuit et avec détermination pour s’acquitter de la mission que vous leur avez confiée à travers la résolution 2227 du 29 juin 2015. J'aimerais profiter de cette opportunité pour saluer la présence de la délégation de la République du Mali, conduite par le Premier Ministre, SEM Modibo KEITA et comprenant mon cher Ami Abdoulaye DIOP, le Ministre des Affaires Étrangères, de la Coopération Internationale et de l'Intégration Africaine.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Depuis votre visite de mars dernier au Mali, l’évolution de la situation demeure malheureusement toujours préoccupante. Plusieurs facteurs justifient cette préoccupation. En premier lieu, et comme souligné dans le rapport du Secrétaire général, un an après la signature de l’Accord de paix, force est de constater que ni les signataires, moins encore la médiation internationale, ne sont satisfaits du rythme d'exécution de sa mise en œuvre. Cette lenteur qui est difficilement compréhensible est en train de compromettre tout le processus, notamment la mise en place des patrouilles mixtes.
Alors que l'Accord est un tout, depuis un certain temps, le débat semble le réduire à la mise en place des Administrations intérimaires qui malheureusement tardent à s'opérationnaliser. A ce titre, nous nous félicitons du compromis auquel sont parvenues les parties maliennes il y a deux jours en marge de la neuvième session du Comité de Suivi de l’Accord. La MINUSMA reste pleinement engagée dans ce dossier. Elle fait constamment usage de ses bons offices et autres leviers en sa possession et est prête pour appuyer la mise en œuvre immédiate des autorités intérimaires.
Toutefois, il est évidement clair que c’est aux parties qu’incombe le devoir d’honorer leurs engagements. C’est à elles de faire de l’Accord de Paix et de Réconciliation une réalité. En deuxième lieu, et comme le dit le Secrétaire Général dans son rapport sous examen, la situation sécuritaire s’est notablement dégradée ces dernières semaines.
Certes, il est établi que la MINUSMA, depuis son déploiement en 2013, détient le triste palmarès de la Mission la plus meurtrière des missions des Nations Unies actuellement déployées. Mais ce qui s’est passé ces derniers temps est encore plus grave et doit nous interpeller. En effet, de février à mai 2016 (donc dans une période de 4 mois), 19 casques bleus ont été tués suite à des actions terroristes dont 12 pour le seul mois de mai. Si j'ajoute à cela 7 autres décédés pour d’autres causes (accidents, maladies…), nous atteignons le chiffre de 26. Et le total devient 27 en ajoutant un contractant des Nations Unies, tué aussi le 31 Mai. Les chiffres sont plus affligeants si on y ajoute les pertes de l'opération Barkhane et celles de Forces de Défense et de Sécurité Maliennes et les civils.
Comme j'ai souvent eu à le dire, il est difficile de se prêter à ce décompte macabre, et trop, c’est trop, c’est beaucoup trop. On ne peut continuer à accepter l’insupportable. Il est temps de s’engager dans une profonde introspection accompagnée par des mesures tangibles, car Il est indéniable que certaines pertes auraient pu être évitées si nos contingents étaient mieux formés, mieux équipés, particulièrement en véhicules blindés (APCs). Par ailleurs, l’attaque sur un convoi de la MINUSMA aux environs de Mopti le 29 mai, journée internationale des Casques bleus, illustre tragiquement que les menaces terroristes s’étendent de plus en plus vers le centre et le Sud du pays. Cette tendance est porteuse de germes de contagion et ne doit pas être banalisée.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Depuis les récentes attaques, la MINUSMA a pris un certain nombre de mesures pour être plus proactive et afin de gagner en efficacité et en réactivité. Néanmoins dans ce contexte, je comprends que le scepticisme et la désillusion animent tous les esprits. Cependant, au regard de la situation de 2012, des signes d'espoir existent. Comme souligné dans le rapport du Secrétaire général, le Mali a enregistré des avancées dans le cadre du processus de paix, même si la cadence de la mise en œuvre de l’Accord souffre d’une lenteur qui aurait pu être épargnée. Parmi ces avancées j’en retiens trois :
Le premier est le respect du cessez-le-feu par toutes les parties maliennes signataires de l'Accord pour la Paix et la réconciliation au Mali. Le dialogue continue toujours d'être l’instrument privilégié entre elles.
Le deuxième élément concerne la poursuite des efforts consentis par le Gouvernement malien dans la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel solide. A ce titre, le projet de décret du 18 mai 2016 portant création du Conseil national pour la RSS, sous l’autorité du Premier ministre est une avancée significative dans l’optique des forces armées et de sécurité reconstituées. A cela s’ajoute l’adoption des décrets établissant les Commissions DDR et Intégration et la loi sur les administrions intérimaires.
Enfin, en matière de cantonnement, près de 8 sites sont presque achevés. Ceci doit permettre de lancer le processus de DDR. Ce dernier inclut également deux autres dimensions capitales, indispensables au succès d’une telle opération : l’intégration des ex combattants et la gestion de l’extrémisme violent.
Ces éléments, parmi tant d’autres, constituent une base solide pour aller de l’avant. Il est absolument crucial de renforcer la confiance mutuelle entre les parties signataires, car c’est une dimension qui entrave largement la mise en œuvre de l’Accord.
La faiblesse de l’Etat dans le Nord et l’absence d’un contrôle effectif du terrain par les autres parties là où elles sont présentes ont cédé la place à une montée du terrorisme, du crime organisé, du banditisme et des tensions intercommunautaires, etc. Plus on accumule du retard dans la mise en œuvre de l’Accord et la prise en charge réelle de ces défis, plus l’on risque de voir le processus de paix se fragiliser davantage.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Aussi, il serait souhaitable que le prochain mandat de la MINUSMA tienne compte des défis que je viens d’évoquer. Une posture renforcée de la MINUSMA s’impose.
Face à la détermination des ennemis de la paix et l’ampleur des récentes attaques meurtrières, les recommandations de la revue stratégique formulées dans le rapport vont dans le sens de cet objectif. A ce titre, il est nécessaire d’accroître les capacités à la fois de la Force et de la police en termes de personnel, d’équipements et de couverture aérienne. L’absence de ces capacités, pourtant sollicitées à maintes reprises, a cruellement fait défaut et entravé la Mission. Leur mise à disposition sauvera des vies.
Il faudrait, par ailleurs, davantage expliciter que le mandat de la Mission l’autorise à mener des opérations proactives et préventives pour s’acquitter de ses responsabilités en termes de protection des civils et de son personnel.
Cela étant dit, la MINUSMA seule ne peut résoudre l’ensemble des défis sécuritaires du Mali. Elle n’a d’ailleurs jamais été conçue pour accomplir une telle tâche et aucune mission de maintien de la paix ne pourra le faire. Seule une montée en puissance des Forces de Défense et Sécurité maliennes répondra à ces missions régaliennes, d’où l’appui sollicité en termes de soutien au forces maliennes. Le rétablissement de l’autorité de l’Etat en dépend.
Cette problématique doit toutefois s’inscrire dans une stratégie régionale, dans le cadre de laquelle les différentes initiatives— à l’instar du G-5, du processus de Nouakchott et de la CEDEAO—sont appelées à jouer un rôle plus proéminent. La présence de Barkhane renforce ces initiatives.
La situation au Mali affecte la région entière. Les récentes attaques en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso illustrent la fluidité des groupes terroristes et l’interdépendance des pays dans la lutte contre le terrorisme. Face à cette menace régionale, il nous faut nous employer à promouvoir une coordination plus efficace et s’inscrire davantage dans une logique de synergies et de mutualisation des ressources.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je ne saurais conclure sans vous confier que je demeure optimiste, même si mon optimisme est mesuré, voir prudent.
Il convient, en effet, de souligner qu'il n’y a pas d’alternative à la paix. Le statut quo actuel, de ni guerre, ni paix ne favorise que les ennemis de la paix. La présence d'une forte délégation conduite par le Premier Ministre nous conforte dans l'idée que le plus dur est derrière nous, même si nous ne devrons pas oublier que le temps est notre meilleur ennemi.
Il est clair aujourd'hui que les maliens dans leur ensemble, à commencer par les plus sceptiques, s'approprient de plus en plus de l'Accord. Il y a un an, les populations de Kidal manifestaient contre sa signature. Aujourd'hui les mêmes populations défilent dans les rues de Kidal, Gao et Tombouctou pour exiger sa mise en œuvre avec diligence.
De même, toutes les populations maliennes attendent avec impatience et beaucoup d’espoir le nouveau mandat que votre Conseil va assigner à la MINUSMA.
Je vous remercie de votre aimable attention.