“Il faut aujourd’hui un véritable changement de paradigme dans la définition des politiques économiques et sociales en renforçant le lien intime entre croissance et emploi”
Présent à Bamako en tant que partenaire du Salon international de l’emploi et de la formation (Siefor), notre compatriote Dramane Haïdara, directeur du Bureau sous-régional du Bureau international du Travail (Bit) donne ses impressions sur la portée et les retombées éventuelles de cet événement dont le coup d’envoi de la 6ème édition a été donné, hier jeudi, à l’hôtel Radisson.
AUJOURD’HUI : Quel est le sens que vous donnez à ce salon 2016 de Bamako ?
Dramane Haïdara : Le Salon est une excellente occasion de mettre en relation entreprises, travailleurs et demandeurs d’emploi, ainsi que les acteurs publics et privés du marché du travail. A ce titre, il agit comme un facilitateur de l’intermédiation sur le marché du travail dans un cadre ouvert et plutôt convivial. Des rencontres professionnelles se font et qui peuvent déboucher sur l’emploi pour les demandeurs et sur le recrutement de compétences et de talents pour les entreprises. Le Salon est aussi un lieu de débats spontanés et pour certains, organisés, qui sont plus que jamais nécessaires au Mali pour trouver les meilleures solutions possibles aux questions d’emploi.
Il faut enfin ajouter que le thème de ce forum centré sur l’emploi rural et la formation professionnelle est particulièrement pertinent. Bien qu’il n’existe pas de données récentes, on estime que l’emploi rural représente l’ordre de 80% de l’emploi total, alors que le secteur primaire contribue à moins de 40% à la création de richesses. Dans ces conditions, la question de l’élévation de la productivité est un enjeu majeur qui passe naturellement par l’amélioration de la productivité de la main-d’œuvre.
Les politiques d’emploi dans nos Etats, ont-elles besoin d’une harmonisation ou faudrait-il aller vers des stratégies propres à chaque Etat ?
Les politiques de l’emploi sont par nature d’abord nationales. Elles doivent répondre aux caractéristiques économiques et sociales propres à chaque pays. Elles sont élaborées dans un environnement institutionnel et politique qui est également propre à chaque pays. Elles doivent également associer à leur élaboration et leur mise en œuvre les partenaires sociaux et la société civile, lesquels diffèrent d’un pays à l’autre.
Pour autant, les pays sahéliens ont de nombreux traits communs et il existe des espaces régionaux de coopération, telles l’Umeoa et la Cedeao. Il est très certainement nécessaire de mettre à profit leur existence pour mieux partager en matière d’emploi les connaissances et disséminer les bonnes pratiques susceptibles d’être répliquées. D’ailleurs, cela se fait pour partie comme le montrent les efforts de l’Uemoa pour la promotion d’Observatoires de l’emploi et de la formation professionnelle, mais il faut probablement aller plus loin encore. Des coopérations devraient être développées, par exemple en matière de migrations de main-d’œuvre.
Chaque politique de l’emploi doit se construire en fonction des contextes nationaux et des priorités formulées dans le cadre d’un processus de dialogue social. C’est pourquoi, la phase de diagnostic est importante afin d’identifier les problèmes spécifiques en termes de création d’emplois, à partir d’une analyse globale intégrant la question des politiques macroéconomiques et sectorielles, des cadres législatifs et réglementaires, de la protection sociale et de l’environnement des Pme.
Et c’est à partir de ce diagnostic que les décideurs politiques vont prioriser les politiques à mettre en œuvre et se fixer des objectifs à atteindre. Dans ce cadre, chaque pays aura une politique nationale de l’emploi spécifique. Toutefois, l’Oit travaille depuis de longues années aux côtés de ses membres pour disséminer les bonnes pratiques et partager avec eux ce que l’on sait de ce qui marche ou non en matière de politique de l’emploi. On sait qu’une politique nationale de l’emploi est plus pertinente et à plus de chance de succès lorsqu’elle est construite dans un cadre de dialogue social.
On sait aussi que la promotion d’un modèle de croissance économique favorable à l’emploi est essentiel pour faire face au défi de l’emploi des jeunes et que dans ce cadre il faut mieux coordonner le système éducatif et de formation professionnelle avec les besoins en perpétuelle évolution du marché du travail. Mais dans le même temps, des groupes vulnérables ont plus de difficultés à accéder à l’emploi décent et il est nécessaire de mettre en place des politiques spécifiques ciblant ces groupes (femmes, jeunes, populations rurales, etc.)
Quelle stratégie pour une meilleure politique de l’emploi rural avec un partenariat public privé dans nos pays ?
Toute politique de l’emploi rurale pour un pays comme le Mali nécessite à la fois de promouvoir l’accroissement de la productivité agricole et de diversifier l’économie rurale, à travers le développement de chaines de valeurs favorisant la création d’emplois non agricole. Dans les deux cas, l’introduction de technologies adaptées est essentielle tout comme l’accès à des outils de microfinance et aux marchés afin de favoriser les petits investissements productifs en milieu rural. Les partenariats publics-privés ont fait leur preuve afin d’apporter des réponses pertinentes à ces besoins et promouvoir la création d’emplois en milieu rural.
Les Partenaires techniques et financiers (Ptf) sont assez exigeants et le secteur informel peine à se frayer un chemin. Ce salon est- il un cadre approprié pour apporter une solution à cette équation ?
Dans les pays d’Afrique sub-saharienne, et au Mali en particulier, la très grande majorité des travailleurs et des unités économiques opèrent dans l’économie informelle, avec tous les problèmes que cela pose en termes de déficits de travail décent, d’exclusion d’accès à la micro-finance et aux marchés publics, et de faible productivité et niveaux de formation. Les Membres de l’Oit, en juin 2015, ont adopté une nouvelle recommandation – n° 204 – donnant un ensemble de principes directeurs et un cadre intégré de politiques afin de faciliter la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle.
Cette transition est une condition nécessaire d’un développement inclusif et de la réalisation du programme pour l’emploi décent en Afrique. La formalisation est d’ailleurs un des nouveaux objectifs du développement durable pour 2030. Un tel salon doit permettre d’entendre les besoins des Pme informelles afin de mieux comprendre ce qui les empêche de se formaliser et y apporter des solutions concrètes en termes de fiscalité adaptée, de facilité d’enregistrement, de besoin de financement et de protection sociale de ceux qui y travaillent. Il est nécessaire de mettre en place de telles plateformes de dialogue et d’échange.
Ce SIEFOR 2016 trouve le Mali et la sous-région dans une situation socio-politique et sécuritaire toute particulière. Quel impact cette situation peut avoir sur le monde de l’emploi rural ?
La situation socio-politique et les conditions de sécurité dégradées ont d’abord un impact sur les populations les plus fragiles. Elles provoquent très certainement un ralentissement de la production agricole que les conditions météorologiques peuvent, selon le cas, atténuer ou accentuer. Elles rendent difficiles la circulation des produits et contribuent à un plus grand isolement des populations concernées. Elles sont de ce fait un facteur d’aggravation de la pauvreté et d’un affaiblissement de la cohésion sociale.
En parlant de l’emploi, les femmes sont incontournables et pourtant rien ne leur appartient, ni terre, ni autres instruments, que faut-il pour changer la donne ?
Nonobstant le constat que les femmes rurales rencontrent de nombreuses difficultés pour accéder aux moyens de production (terre, capital, technologies, ..), elles jouent un rôle important dans les familles et les communautés. Le plus souvent ce sont les femmes qui ont la responsabilité de l’agriculture de subsistance et participent largement dans les cultures de rente. Elles représentent une large proportion de la main d’œuvre agricole. On estime à près de 50% la part des femmes dans la main d’œuvre agricole économiquement active.
Je pense que cette situation doit, et peut changer. Sans être exhaustif, il me semble que certaines mesures peuvent y concourir.
Aujourd’hui, que faut-il faire pour sortir de l’inadéquation en terme de formation/emploi ?
Il faut travailler sur l’offre de formation pour faire en sorte que celle-ci soit mieux adaptée aux besoins du marché du travail, aux compétences recherchées par les entreprises existantes, ainsi qu’aux possibilités d’emplois nouveaux. Sur ce dernier point, il faut développer les fonctions de veille du marché du travail en les adossant à des institutions adaptées et réactives.
Il faut également probablement reconsidérer le fonctionnement des centres de formation professionnelle (structures, locaux, statuts des personnels enseignants, financement).
Le Bureau international du travail (Bit) a certainement des attentes pour ce rendez-vous, dites-nous lesquelles ?
Dans ce genre de manifestation, le Bit est d’abord à l’écoute des partenaires nationaux et de ses mandants tripartites. Les rencontres directes avec certaines des nombreuses personnes qui participent au salon constituent des témoignages précieux qui nourrissent nos réflexions.
L’appui du Bit au salon s’inscrit dans le cadre de ses activités de renforcement des capacités d’intermédiation de ses partenaires nationaux. Sa participation est également susceptible de déboucher sur d’autres appuis techniques.
Quel est votre message aux acteurs de l’emploi en général et ceux de l’emploi rural en particulier ?
Il faut aujourd’hui un véritable changement de paradigme dans la définition des politiques économiques et sociales en renforçant le lien intime entre croissance et emploi.
Pour que la croissance économique soit propice à la création d’emplois et la réduction de la pauvreté, elle doit être profitable au plus grand nombre et il importe, lors de l’élaboration des politiques, de ne pas laisser à l’écart, comme ce fut parfois le cas, certains secteurs comme l’agriculture. A cet égard, améliorer la productivité des petits exploitants indépendants est un moyen d’action essentiel. Cela suppose toute une série d’interventions, à savoir la recherche et développement, la mise à disposition de moyens de production agricoles et un meilleur accès au crédit, aux transports et aux marchés. Les coopératives agricoles peuvent apporter de précieuses contributions à cet effet.
Réalisé par A.B. HAÏDARA