Depuis trois mois, l’ambassade de Chine rejette les demandes de visa des opérateurs économiques maliens et l’affaire commence à sentir le roussi.
Une dizaine de blessés, une vingtaine d’interpellation et des centaines de motos saisies. Tel est le lourd bilan subi par le Syndicat National des Commerçants détaillants (SYNACODEM) et ses alliés à la suite d’un sit-in tenu, mardi 7 juin 2016, devant l’ambassade de la Chine au Mali. Le sit-in avait pour protester contre le refus des autorités chinoises de donner, depuis plus de trois mois, des visas de séjour aux commerçants détaillants maliens. Ces derniers, durement frappés dans leurs affaires, veulent faire lever l’exigence, posée par l’ambassade de Chine, de produire une lettre d’invitation officielle pour bénéficier d’un visa en Chine. D’ailleurs, la lettre d’invitation ne suffit pas: elle doit obtenir l’aval de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Mali (CCIM) pour produire effet. Les manifestants n’obtiennent pas gain de cause: ils sont chargés par deux véhicules bondés d’agents de police qui usent de gaz lacrymogène et de matraques. Entre autres organisateurs de la marche, on compte la Coordination des Groupements et Associations des Commerçants Détaillants (CAGCD), la Fédération Nationale des Commerçants Détaillants, le Collectif des Marchés du district de Bamako, le Collectif des Acteurs des Marchés du District de Bamako, l’Association pour la Défense des Intérêts des Soumissionnaires et Affiliés aux Marchés Publics (ADISA-MP), l’Association des Commerçants Détaillants de Ferrailles et Matériaux de construction, les associations »Mali Kounko », « DIAMAKA HAKE », « KURUKAN FUGA », »TROP C’EST TROP », »YEREWOLO TON » et, bien sûr, les syndicalistes du SYNACODEM.
Les raisons d’une privation
Lors d’une conférence de presse tenue au siège du SYNACODEM, Damba Tidiani Kanadji, le 2ème vice-président, après avoir dénoncé les agressions policières, a souligné que la fermeture du marché chinois aux opérateurs économiques maliens a pour but de permettre aux commerçants chinois d’envahir le marché malien et de prendre le contrôle de l’économie malienne. « Nous exigeons donc la réciprocité dans les conditions d’octroi des visas et la levée de l’exigence d’une lettre d’invitation d’invitation avalisée par la CCIM », clame Kanadji. Selon lui, le seul argument avancé par la Chine pour refuser le visa est la menace terroriste alors que celle-ci plane sur tous les pays. De surcroît, note Kanadji, « le Mali est le seul pays victime de cette mesure dans la sous-région ». L’orateur s’étrangle de rage de voir la Chine piétiner les Maliens au moment où elle signe de faramineux contrats au Mali. « La Chine veut simplement nous imposer de nous ravitailler chez les opérateurs économiques chinois qui sont en voie d’installation chez nous; elle veut nous empêcher d’aller acheter nos produits direcment en Chine », jure Kanadji révèle que 90% des commerçants maliens s’approvisionnent en Chine, et que c’est la deuxième fois que la Chine tente d’imposer des mesures de restriction aux commerçants maliens. « En 2007, les Chinois avaient demandé que tout commerçant désirant se rendre en Chine consigne 3 millions de FCFA dans une banque et se procure un billet d’avion auprès d’une agence imposée par les Chinois. Cette tentative a échoué. Cette fois, les Chinois reviennent à la charge en exigeant des lettres d’invitation de leurs fournisseurs en Chine, lesquels doivent également obtenir l’accord des autorités chinoises. Pire, les Chinois ne veulent pas que la lettre d’invitation soit envoyée par courriel, mais fournie en copie dure avec un cachet original. Cela suppose que le fournisseur chinois poste la lettre d’invitation, ce qui engendre beaucoup de perte de temps, d’argent et d’énergie. Et encore, quand le visa est obtenu, il ne dure qu’un mois, une période trop courte pour faire ses achats. Que vous ayez fini vos affaires ou pas, vous devez quitter le sol chinois au bout d’un mois et revenir au Mali pour renouveler la lettre d’invitation. Cela n’est pas possible car les commerçants n’ont pas les moyens de débourser chaque fois un million de FCFA pour aller en Chine. », explique Kanadji. Il appelle les autorités maliennes à réagir.
Ismaïla coulibaly, président de l’association »Mali KOUNKO », signale, lui, que depuis le 15 février 2016, l’ambassade chinoise refuse de délivrer des visas aux commerçants maliens. « Les Chinois ne veulent pas que les commerçants maliens aillent chercher des marchandises en Chine et veulent favoriser les commerçants chinois désireux de venir vendre en gros et au détail les marchandises chinoises au Mali. Par exemple, les commerçant chinois transportent au Mali des tissus « bazin » en les faisant passer, en douane, pour des cartons de bonbons. C’est aux autorités maliennes de prendre leurs responsabilités pour mettre fin à cette injustice », s’emporte l’orateur.
Que feront les autorités maliennes?
Selon des sources que nous avons interrogées, la Chine, voyant son économie en mauvaise posture depuis 2014, a décidé une politique d’invasion économique des pays faibles d’Afrique et d’Asie. Et ce, au prix de pratiques anti-concurrentielles appuyées pare le gouvernement chinois lui-même. « La Chine avait tenté les mêmes choses au Sénégal mais l’ancien président, Abdoulaye Wade, les avait fait reculer en instituant la réciprocité dans la délivrance des visas. Au Congo-Brazzaville, les Chinois ont également reculé face à la colère des commerçants qui avaient décidé de s’en prendre aux commerçants chinois installés chez eux. Les Chinois ne respectent que le rapport des forces; ils n’ont pas d’état d’âme. », analyse une de nos sources qui a déjà effectué une centaine de séjours en Chine. Notre source croit dur comme fer que la Chine arrêtera ses tracasseries si le gouvernement malien réagit avec fermeté. Une autre source se demande si ces tracasseries ne découlent pas d’une entente entre l’ambassade de Chine au Mali et un conglomérat de commerçants chinois, à l’exclusion du gouvernement chinois.
Abdoulaye Koné
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