Autant des progrès ont été enregistrés dans le processus de paix, autant les défis restent multiples et immenses. Les populations, elles, ne voient presque toujours pas de retombées significatives sur le terrain. Coup de projecteur sur l’Accord pour la paix et la réconciliation, un an après sa signature !
Le 20 juin 2016, cela faisait un an que le gouvernement malien et les différents groupes armés ont parachevé la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali issu du processus d’Alger. Si cette date anniversaire arrive dans un contexte où le processus connait une relance avec notamment la signature d’un protocole d’entente sur les modalités de mise en place des autorités intérimaires dans les régions du Nord, il n’en demeure pas moins que les populations maliennes (surtout celles du Nord) ont toujours du mal à apprécier les avancées significatives sur le terrain. En effet, à jeter un regard sur le processus de mise en œuvre de l’Accord douze mois après sa signature, on convient de la multiplicité des défis, quand bien même quelques progrès ont été enregistrés.
Les avancées à noter
Du 20 juin 2015 (date de la signature de l’Accord) à nos jours, le processus de paix a engrangé un certain nombre de points positifs qui s’apprécient d’accord sur le plan sécuritaire. En effet, tous les observateurs s’accordent à reconnaître que depuis la signature du document, les différentes parties signataires (Gouvernement, Plateforme et CMA) ont respecté de façon scrupuleuse le cessez-le-feu. Même si on a parfois assisté à de vives tensions entre les combattants de la Plateforme et ceux de la CMA, celles-ci n’ont toutefois jamais dégénéré. Ce point constitue d’ailleurs l’avancée la plus significative que le processus ait enregistrée. A cela, il faut ajouter un certain nombre d’efforts que la partie gouvernementale a effectués sur le plan des réformes politiques et institutionnelles. Au nombre de ces reformes on retient (le chef de l’Etat les a d’ailleurs bien mentionnées dans son discours du 19 juin) la nomination et l’installation des gouverneurs des régions de Taoudéni et Ménaka pour lesquelles une enveloppe de 1 milliard huit cent millions de FCFA a été affectée pour la réhabilitation, la construction et l’équipement d’infrastructures de l’Administration générale; la promulgation de la loi instituant les autorités intérimaires, puis l’adoption du décret fixant les modalités de mise en place desdites autorités; l’amorce du processus de révision de la Constitution, à travers la mise en place du groupe de relecture et l’élaboration du chronogramme de travail, notamment pour prendre en charge les dispositions de l’Accord relatives à la mise en place de la 2ème chambre du Parlement, le Sénat; la création du cadre institutionnel de la Réforme du secteur de la sécurité (RSS) avec la nomination d’un Commissaire à la RSS ainsi que la relecture en cours du décret créant le Conseil national de la RSS. S’y ajoutent la prise en charge par le Gouvernement des combattants des mouvements signataires, en attendant le démarrage effectif du processus de DDR; l’identification des 24 sites de cantonnement à viabiliser et le début de la construction de 3 sites (Likrakar, Fafa, Inegar) et l’accord pour en construire cinq (5) autres supplémentaires; la réalisation en octobre 2015 de la première patrouille mixte (forces armées maliennes et mouvements signataires) ainsi que la remise des listes partielles des ex-combattants des mouvements signataires de l’Accord, en vue de la constitution des premières unités du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) et du démarrage des opérations de pré-cantonnement et de désarmement-démobilisation et réinsertion (DDR). Des efforts ont été aussi faits sur le plan du développement économique, social et culturel. Ils sont porté sur la mise en place et l’installation des Agences de développement régional (ADR) dans toutes les régions et le district de Bamako avec une dotation budgétaire conséquente sur l’exercice 2016; l’organisation de la Conférence de Paris du 22 octobre 2015 pour la mobilisation des fonds nécessaires à la mise en œuvre de l’Accord (avec 3,2 milliards d’euros d’annonces faites); la réalisation de la Mission d’évaluation conjointe sur le Nord du Mali (Miec-Nord/Mali); la rédaction de la Stratégie spécifique de développement des régions du Nord du Mali (SSD/RN), etc. Sur le plan de la justice, la réconciliation et les questions humanitaires, les actions les plus significatives entreprises par le gouvernement au cours des 12 derniers mois restent le démarrage effectif des travaux de la Commission vérité, justice et réconciliation (Cvjr); l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie et d’un plan d’actions de retour des réfugiés et des personnes déplacées internes. Ajoutez-y l’actualisation du Plan d’urgence et de relèvement pendant la période intérimaire 2016-2017; l’élaboration d’un avant-projet de document de politique sur la justice transitionnelle, assorti d’un Plan d’actions; l’élaboration du Plan national de mise en œuvre de la résolution 1325 de l’ONU, permettant de développer des stratégies de lutte contre les violences basées sur le genre et d’élargir la participation inclusive à la mise en œuvre de l’Accord, entre autres.
Les défis restent cependant immenses
Les points soulignés ci-dessus ne doivent cependant pas occulter les nombreux défis qui du reste plombent le processus de paix en cours. Est-il encore besoin de rappeler que la mise en œuvre de l’accord accuse du retard que les différents acteurs s’accordent à déplorer. Par ailleurs, si on peut espérer que les blocages nés autour de la mise en place des autorités intérimaires sont désormais levés, il reste que la situation sécuritaire sur le terrain s’est considérablement dégradée. Outre les attaques terroristes enregistrées au Nord, au Centre et même au Sud du pays, les forces maliennes et étrangères restent plus que jamais harcelées dans le Nord du pays. Cette situation qui fait de la Minusma l’une des missions les plus meurtrières de l’ONU (101 casques bleus tués en un an) reste tout aussi un vrai piège pour le processus de sortie de crise. De nombreux observateurs s’accordent à dire que la recrudescence de la violence dans les régions Nord est la conséquence logique non seulement de la lenteur accusée dans le processus, notamment la phase de cantonnement, mais aussi de l’inadéquation entre le mandat de la Minusma et la situation qui prévaut sur le terrain. Les raisons de cette situation d’insécurité sont aussi à rechercher dans le fait que des groupes armés, pourtant signataires de l’accord de paix, entretiendraient toujours de bons rapports avec les ennemis de la paix. Conséquence: l’Accord de paix est fréquemment mis à rude épreuve à travers des attaques ciblées, avec son cortège de morts d’hommes. Certaines sources chiffrent à 300 le nombre d’hommes qui ont trouvé la mort depuis la signature de l’Accord.
Nouvelle espérance
Face à ce bilan mitigé enregistré dans la mise en œuvre de l’Accord, des signaux sont là et qui, véritablement, sonnent comme un nouveau départ dans le processus. Le premier fait qui motive cette nouvelle espérance, c’est la signature, ce 20 juin, d’un document intitulé ‘’Entente’’ par l’ensemble des parties signataires de l’Accord. En effet, cette sorte de ‘’sous-accord’’ définit les modalités pratiques de la mise en œuvre des autorités intérimaires, du redéploiement des services déconcentrés de l’Etat ainsi que l’installation des chefs de circonscription administratives et du Mécanisme opérationnel de coordination. Ces points avaient d’autant plus constitué une pomme de discorde entre le Gouvernent et les mouvements armés que ces derniers avaient suspendu leur participation aux travaux du Comité de suivi et ceux de certaines sous-commissions techniques. L’autre signal qu’il convient de noter, c’est la nomination de Mamadou Diagouraga en qualité de Haut représentant du président de la République dans le processus de mise en œuvre de l’Accord. En pourvoyant ce poste resté vacant depuis la nomination de Modibo Keïta à la Primature, les autorités maliennes réaffirment leur volonté de relancer le processus de sortie de crise. Aussi, la présence à Bamako de certains leaders des groupes armés, comme Bilal Ag Achérif du Mnla et bien d’autres, ne devrait-il pas être un élément négligeable pour la suite du processus de paix. Il y a aussi à espérer que dans la perspective de son probable renouvellement à la fin de ce mois, le mandat de la Minusma sera renforcé afin que la mission onusienne puisse s’impliquer véritablement dans la lutte contre le terrorisme. Ce vœu, maintes fois émises par les autorités maliennes, devrait enfin être entendu par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour octroyer à la force de la Minusma une posture plus robuste et plus active.
Le temps du réalisme
Ce qu’il convient à présent de rappeler, c’est que, comme IBK l’a d’ailleurs souligné dans son discours, la dégradation de la situation sécuritaire ces derniers temps nous impose d’accélérer la cadence de mise en œuvre de l’Accord. Pour y parvenir, le gouvernement, la Plateforme et la CMA devront désormais faire preuve de réalisme, car ‘’la mise en œuvre de l’Accord sera non pas l’œuvre d’un homme ou d’un groupe d’hommes, mais une œuvre collective de construction d’une paix globale et définitive au Mali’’, a indiqué Ibrahim Boubacar Keïta. Il urge que les différentes parties entendent enfin le cri de détresse de ces Maliens qui fondent d’immenses espoirs sur l’Accord de paix pour voir la fin de leurs souffrances. Assez de temps perdu souvent sur des questions qui ne relève même pas du fond.
Bakary SOGODOGO