Comment exorciser les démons de la division chez les communautés du centre et du Nord du Mali ? Absent de la plupart de ces localités, l’Etat malien semble y sous traiter la sécurité, sur un terreau fertile aux règlements de compte et à l’amalgame. Un dilemme cornélien s’offre, ainsi donc, aux populations : rejoindre le Jihad d’Amadoun Koufa ou prendre les armes pour se défendre. Cette dernière option serait
le choix d’une certaine Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (Ansiprj).
Un mouvement politico-armé créé
contre l’armée qui « instrumentalise
les milices contre les peuls » ?
le leader autoproclamé du présumé
mouvement l’affirme. Mais au-delà de
lui personne d’autre ne confirme la création
de ce mouvement qui se crédite de
700 combattants, de milliers d’adhé-
rents.
les responsables de la direction de l’information
et des relations publiques de
l’armée(dirPa) sont formels : il n’y a pas
d’amalgames dans la lutte contre le djihadisme
au Mali et aucune communauté
n’est prise à partie par les militaires maliens
qui ont suivi des formations sur le
droit international humanitaire, souligne
notre interlocuteur de la dirPa. « C’est
vraiment léger comme accusation. Ce
n’est pas assez documenté : ni le moment,
ni le lieu ne sont précisés. Ce sont
des allégations lancées comme ça. il n’y
a aucune précision. nos hommes (les
Forces armées maliennes- FaMa) sont
formés au respect des droits de
l’homme », précise Souleymane dembélé,
le directeur de la dirPa.
oumar aldjana, le secrétaire général de
l’ansiprj, n’est pas de cet avis. dans la
presse internationale, il déclare: « le
premier ennemi sur le terrain est l’armée
malienne qui arme des milices
contre les pauvres civils peulhs. le gouvernement
entretient des exactions
contre nos communautés sous le couvert
d’une lutte contre le terrorisme».
absent dans plusieurs localités du nord
et du centre suite à la crise qui a éclaté
au Mali en 2012, l’etat malien semble
sous traiter la sécurité et les conflits
s’ethnicisent. en début juin, dans le
Gourma, des combats entre des Peulhs
et des touareg imghad ont fait 8 morts
du côté peulh. Ces conflits entre communautés,
rarissimes dans le passé, prenaient
fin sous l’arbre à palabre, mais
aujourd’hui ils sont réglés à coups de kalach.
l’absence de l’etat et par ricochet de la
justice fait, en effet, souffler un air de
‘’western’’ dans ces localités. toutes les
communautés sont sur le qui-vive et il
suffit d’une étincelle pour la grande dé-
flagration. les groupes terroristes, aqmi,
ansardine…, en plus du nord, implantent
leurs tentacules dans le centre du pays.
a Mopti, tenenkou, Macina…, les jeunes,
toutes communautés confondues, résistent
difficilement aux sirènes du djihadisme.
désœuvrés et écœurés des
injustices sociales, les jeunes sont endoctrinés
et enrôlés par amadoun Koufa
qui rêve de recréer « l’empire peul du
Macina » de son illustre homonyme
Sékou amadou dont la tombe fut profanée
par ses hommes il y a une année de
cela.
le chercheur dr Jézéquel qui prépare un
rapport intitulé “conflit local et radicalisme
religieux au centre du Mali”, explique
que la violence qui gagne cette
partie du Mali se traduit par la présence
« des noyaux jihadistes certes encore
mal structurés mais qui se développent,
en instrumentalisant les fortes frustrations
locales ». Selon lui, « le centre du
pays, grand oublié des négociations
inter-maliennes d’alger, voit se développer
des formes préoccupantes de violences
armées.»
et le chercheur d’ajouter que depuis la
crise de 2012, l’attention du gouvernement
malien est focalisée sur le nord du
pays, initialement le principal repaire
des groupes dits jihadistes, alors qu’aujourd’hui
dans le centre se développent
des groupes « de gens qui se professionnalisent
dans l’usage des armes. Pour
lui, il règne un très « fort discrédit » de
l’etat dans cette partie du pays et le besoin
de sécurité des populations fait le
lit des milices d’auto-défense et des organisations
favorables au jihad.
le gouvernement malien et l’accord de
paix font fit de ces menaces de repli
identitaire qui menacent le vivre ensemble
séculaire entre les communautés. et
si sur le papier la question de la repré-
sentativité et de l’inclusivité est tranchée
au sein du Comité de Suivi de l’accord(CSa),
Sbeyti ag akado, un leader de
la communauté Bella, qui se considère
comme « un membre exclu » du dit comité
de suivi de l’accord, dénonce la
non-représentativité de toutes les communautés
du centre et du nord dans l’organe
chargé de la mise en œuvre de
l’accord. «dans les faits cela n’est pas le
cas. toutes les communautés ne sont pas
représentées au sein du Comité de suivi
de l’accord », indique le leader communautaire.
Risque de balkanisation
une année après la signature de l’accord
de paix d’alger, l’insécurité a atteint son
paroxysme. les populations et les forces
armées présentes sur le terrain ont payé
un lourd tribut à l’insécurité. le dé-
compte macabre continue. au minimum,
de la signature de l’accord à aujourd’hui,
il y a eu 300 morts et 200 blessés.
la coexistence pacifique entre les diffé-
rentes communautés est mise à mal. le
chercheur malien Chirfi Moulaye met en
garde contre une balkanisation du pays.
«la propagation du communautarisme
culturel et son instrumentalisation devenue,
par la force des choses, un effet de
mode, constitue des dangers réels pour
un pays arc en ciel comme le nôtre. nos
populations, toutes souches confondues,
n’aspirent majoritairement qu’à la coexistence
pacifique, à la rencontre de
l’autre. », prévient-il.
de l’avis du chercheur, le phénomène
des replis identitaires est tentaculaire,
voire contagieux à grande échelle ; il
prend de plus en plus de proportions inquiétantes
et risquerait d’exposer le
pays a des bouleversements, des soubresauts
préjudiciables au maintien, à la
consolidation de l’unité nationale, de la
cohésion générale. «Cela pourrait
conduire à une explosion sociale qui dé-
boucherait sur un démembrement progressif
de l’etat, voire son effondrement
systématique si nos autorités politiques,
administratives, civiles, ne prenaient pas
à bras le corps la portée des menaces
endogènes et exogènes qui se profilent
à l’horizon. les communautés, tant sé-
dentaires que nomades, souffrent des
agissements de ‘‘ mains invisibles’’, des
égarements qui ne peuvent qu’accentuer
la mésentente entre elles, les déchirures
béantes, les blessures de trop en soumettant
les populations à de rudes
épreuves qu’elles endurent perplexes,
impuissantes. toutes sortes de lobbyings,
de plans de déstabilisation, sont orchestrés
ça et là, à dessein, afin de semer la
zizanie, de raviver le feu de la haine, de
la violence, de la division», analyse
Chirfi Moulaye.
Madiassa Kaba Diakité