Ecrivain malien, Moussa Konaté est auteur de nombreux ouvrages (Fils du chaos ; Mali, ils ont assassiné l’espoir ; Chronique d’une journée de répression ; L’or du Diable, Le Cercle au Féminin (tous publiés chez L’Harmattan). Malgré les intentions louables d’âmes généreuses de prouver le contraire ou, à tout le moins de relativiser le fait, une évidence s’impose : l’Afrique va mal. On peut se perdre en conjectures, se répandre en imprécations ou d’emmurer dans un noir pessimisme, la persistance des guerres- tribales ou non- des régimes plus ou moins dictatoriaux, des épidémies, de la misère et de toutes les misères, est une réalité qu’on ne peut contester. Sur ce vaste continent où rien ne semble jamais devoir aller, si quelqu’un est mal à l’aise, c’est bien l’écrivain africain.
En effet, en examinant la littérature africaine, on se rend compte qu’elle épouse l’histoire contemporaine de l’Afrique : les erreurs et les illusions qui jalonnent le parcours de l’Afrique contemporaine sont aussi celles de ses écrivains.
A la période coloniale correspond une littérature de combat, exaltant les valeurs culturelles profondes de l’Afrique. A lire les ouvrages d’alors, on croirait que tout le mal de l’Afrique provenait exclusivement de la colonisation et de l’esclavage et que l’indépendance se présentait comme le retour au royaume d’enfance. Face à l’Occident cupide et inhumain se dressait l’Afrique éternelle dans ses valeurs de solidarité et de mesure.
Des œuvres sont nées qui, certes, ont contribué à modeler la conscience de millions de citoyens africains, mais dont la faiblesse fut de s’être inscrite dans les limites de l’instant.
Les années 60 virent l’indépendance d’un grand nombre de pays africains ; paradoxalement, ce moment historique coïncide avec un silence pesant des écrivains. Comme si, brusquement, les écrivains se rendaient compte que l’après- indépendance existait. Il suffit de quelques années de régimes dictatoriaux, de famines et de guerres pour que, de nouveau, les écrivains retrouvent leur véhémence de naguère.
Sous leur plume, au colonisateur et à l’esclavagiste se substituèrent les hommes politiques. Et, naturellement, la victime demeurait la même : le peuple africain qui ne demande qu’à vivre comme ses ancêtres, dans un monde qui conserve encore les valeurs humaines.
Depuis, les écrivains africains semblent chercher vainement leur raison d’être. Certes, par moments apparait un ouvrage qui rappelle l’agitation des années d’avant, mais il est incontestable que les écrivains africains, une fois passée la période glorieuse de la «libération» ont peu à peu perdu la sympathie qu’ils avaient pu provoquer dans une certaine opinion. Certes, le temps est à la «démocratisation», à «l’ouverture sur le monde», l’écrivain africain n’en demeure pas moins aphone en regard de ses années d’exaltation.
Les romantiques français ont mis à la mode la notion de poète-phare de l’humanité et leur message ne pouvait que retenir l’attention d’écrivains issus d’un peuple torturé. Puis sont venues toutes les idéologies libératrices, égalitaristes. L’écrivain africain-il parait l’ignorer- n’a été au contact avec le monde que par le truchement de l’Occident ; ses méthodes d’analyse et sa compréhension sont ceux de l’Occident. Les erreurs et les illusions de l’écrivain africain sont aussi celles des idéologies auxquelles il s’est abreuvé.
Combien d’entre eux qui prétendaient connaître et défendre « leur peuple « savaient-ils ce que pesait «leur peuple» ? Qui a donné mandat à l’écrivain d’être la conscience de son peuple ? Se croire investi d’une mission par une autorité indéfinie et indéfinissable fut sans doute la première erreur de l’écrivain africain, car, en l’occurrence, on se donne une mission, mais il n’y a de mission imposée à personne. Cette conception du rôle de l’écrivain a causé du tort aux écrivains africains dans la mesure où celui qui prenait la plume se croyait obliger de délivrer un message, de se poser en prophète. D’où une littérature répétitive, manquant souvent de spontanéité, de conviction.
Le manichéisme dans lequel est tombé l’écrivain africain (le peuple est bon ; les autres sont corrompus) était donc prévisible aussi le doute qui s’ensuit et qui n’ose pas s’avouer.
Si l’écrivain peut être considéré comme un phare, c’est moins parce qu’il est chargé d’une mission que parce qu’il a la capacité de se mettre au-dessus de la melée, donc de l’instant. L’écrivain africain, longtemps confiné dans le silence, descendant d’esclaves et de colonisés, pouvait difficilement échapper à la passion. C’est pourquoi, convaincu que le monde n’est qu’évidences, il ne s’est jamais posé les véritables questions. Et parmi, celles-ci : pourquoi cela nous est-il arrivé ? Ou peut-être, la peur d’entendre la vérité l’a-t-il poussé dans une fuite en avant.
L’écrivain africain n’est pas une race à part même si son histoire est singulière. Le premier devoir qui s’impose à lui est, pour ainsi dire, un devoir de liberté. Nul ne l’oblige à choisir ses thèmes : il n’y a rien de déshonorant à parler de l’amour, de la nature, à douter, à dire son désaccord avec l’opinion commune.
Que l’on sente sur sa tête le poids du monde, il n’y a là rien de condamnable ni de chimérique. L’essentiel est d’être sincère. Ensuite, s’impose à l’écrivain africain un devoir de lucidité. L’Afrique est certes une terre meurtrie, mais les Africains ne sont pas des anges. Ils doivent avoir certainement leur part de responsabilité dans les malheurs qui semblent avoir élu domicile chez eux.
De même, le peuple sans visage, sans défaut, sans responsabilité ne peut exister que dans des consciences qui ne veulent pas savoir. Un peuple, c’est des individus, avec leurs qualités et leurs défauts .Les peuples d’Afrique ne font pas exception. Il s’agit là d’une évidence qu’il faut admettre si on veut être efficace.
Enfin, il y a un devoir de courage : oser reconnaître son erreur et affronter l’opinion commune au risque de le marginaliser. Car il est bien plus aisé et moins dangereux de dire la vérité aux autres qu’à soi-même et aux siens. Les écrivains africains d’une façon générale, ont préféré taire les vérités gênantes.
En fait, fruit de son environnement, l’écrivain africain est comme tous ses autres compatriotes : la peur de l’avenir l’empêche de rompre le cordon ombilical. Il le faut pourtant s’il se donne pour mission d’aider les autres .Le seul bienfait qu’il puisse apporter aux autres, c’est écrire selon son cœur. D’ailleurs, qu’est ce que l’écrivain peut-il offrir de plus noble ?
Moussa KONATE