Le 18 juin, un jeune peul de 27 ans a annoncé la création de l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ). Un autre front qui ne peut que compliquer la tâche à nos forces armées et de sécurité qui sont d’ailleurs la première cible de cette milice.
Revendiquant 700 combattants, Oumar Aljannah a déclaré que son mouvement armé vise à répondre aux «massacres commis par l’armée malienne et des milices contre la communauté peule». Même si le gouvernement semble minimiser cette «naissance», il est clair que cela va compliquer la résolution de l’équation de la crise sécuritaire du Mali. Une équation déjà compliquée à cause de la multiplicité de ses inconnus.
Depuis la fin de l’Opération Serval, les forces armées et de sécurité du Mali ainsi que les populations du centre de notre pays font face à un Front de libération du Macina d’un fantomatique Amadou Koufa.
Aujourd’hui, cette tâche s’est aggravée avec l’apparition de l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ). Ce mouvement résulte de la mauvaise gestion de la riposte contre le Front de Libération du Macina. Ne se revendiquant «ni jihadiste ni indépendantiste», Oumar Aljannah a pris les armes pour «défendre les civils peuls injustement attaqués». Et il assure sur des médias incendiaires avoir rassemblé près de 700 combattants pour cette cause.
Certainement, pour montrer sa «bonne foi», il aurait rejoint la Plateforme pour ne pas rester en marge du processus de paix et de réconciliation. Et pourtant, contrairement à la Plateforme, sa cible reste l’armée malienne coupable d’une «répression féroce» contre la communauté peule dans sa lutte contre le réseau de criminels d’Amadou Koufa.
Des accusations que, naturellement le gouvernement nie en bloc. «Il y a beaucoup de désinformation» sur ses supposées exactions a répliqué le ministre de la Réconciliation, M. Zahabi Ould Sidi Mohamed, interrogé par la presse nationale quatre jours après la déclaration de naissance d’ANSIPRJ.
Il est vrai que dans cette région, centre du Mali, les conflits communautaires ont toujours existé et font régulièrement des victimes. Et des bavures ne sont pas malheureusement à écarter de la part des forces armées maliennes (FAMA) qui ont lancé ses derniers mois de vastes opérations contre les réseaux terroristes qui écument la zone.
Mais, de là a créer un mouvement armé pour combattre l’armée nationale, il y a un pas qui a été franchi à la surprise de nombreux observateurs.
Une légitimité loin d’être acquise
La création de cette milice d’auto-défense va compliquer la lutte contre le terrorisme au Mali d’autant plus que c’est un autre ennemi qui va occuper les forces armées et de sécurité du pays déjà engagées sur plusieurs fronts. Et de nombreux observateurs parient que, ne pouvant pas engager des combats directs, cette milice ne pourra que procéder à une guerre asymétrique, c’est-à-dire des embuscades et des attentats contre les forces de sécurité.
Les FAMA doivent anticiper et isoler «l’ennemi» dans une zone précise afin d’avoir la main mise sur la situation en contrôlant toutes les voies d’accès.
Toutefois, il faut dire que l’Alliance d’Oumar Aldjannah a vu le jour avec un handicap congénital : le manque de légitimité et de crédibilité ! Elle doit d’abord se battre pour avoir la légitimité de représenter les peulhs qui, pour le moment, refusent majoritairement de s’identifier à un mouvement armé.
«Prendre les armes n’est jamais la solution à un problème sociopolitique ou identitaire. Face aux exactions dont nos frères et sœurs sont victimes dans la zone de Douentza, Ténenkou, Youwarou…, nous avons tiré la sonnette d’alarme. Après une période d’indifférence, le gouvernement a positivement réagi en manifestant sa détermination à faire la lumière sur la situation. C’est la meilleure approche à mes yeux», souligne une grande personnalité malienne de Tabital Pulaaku dont nous taisons le nom pour des raisons de sécurité. Il ajoute, «une personne ou une communauté ne peut pas prendre des armes pour représenter tous les peuls du Mali».
Dans la communauté peuhle, on se pose beaucoup de questions sur ce jeune enseignant et son alliance. Qui est-il ? Comment a-t-il pu réunir autant d’hommes et de moyens en si peu de temps ? Qui financent ces jeunes rebelles, leur donnent des armes et contribuent à leur propagande sur les médias dits internationaux ? Des questions qui cachent à peine le malaise lié à cette initiative; de la méfiance.
«Nous avons demandé au gouvernement de mettre fin aux exactions contre notre communauté. Mais, nous n’avons jamais conseillé à nos enfants de prendre les armes contre notre pays. C’est un combat qui ne nous honore pas», lance une notabilité peuhle à Bamako.
«Tout ce que dit Oumar Aldjannah est faux. Il a d’autres motivations personnelles que de défendre les peuhls. ANSIPRJ est comme le MNLA. Elle ne représente ni les peuls ni une autre ethnie. Elle veut juste créer la panique au sein de la population pour profiter de la confusion ou des dividendes de la paix», est convaincu Samba Sankaré, un cadre peuhl.
Certains de nos interlocuteurs n’hésitent pas à nous rappeler que le père d’Oumar Aldjannah est tamashek… Il n’est donc pas mieux indiqué à prendre les armes pour défendre ses oncles contre leur patrie.
Et ils sont nombreux les observateurs qui pensent que, en ciblant l’armée Oumar expose son ethnie qu’il veut bien protéger.
Une vraie enquête sur les présumées exactions
En tout cas, comme le dit le doyen Abdourhamane Dicko, «la toile s’est enflammée au Mali à la suite de la déclaration de création de cette alliance». Comme beaucoup d’observateurs, cet expert exhorte le gouvernement à s’interroger réellement sur les reproches faits à l’armée. Et cela d’autant plus que, depuis plusieurs mois, de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer et condamner ces exactions.
«Une milice n’est pas aujourd’hui nécessaire pour défendre qui que soit. Mais, les personnes ne peuvent pas non plus continuer à mourir inutilement sans qu’une réaction adéquate soit apportée», défend M. Dicko.
D’une façon générale, il est temps que l’Etat tire les enseignements des différentes crises sécuritaires et identitaires auxquelles le Mali est confronté depuis son indépendance. Des conflits qui naissent généralement de l’impunité et de l’excès d’autorité alimentant les révoltes et les rébellions.
Quelles que soient les tares qui peuvent affaiblir l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice, «aucune action ne doit être minimisée dans le contexte actuel du Mali, surtout que la rébellion de 2012 était partie de jeunes que personne ne voyait venir», rappelle cet observateur des crises communautaires et identitaires dans le Sahel.
Stratégiquement, les forces armées et de sécurité du Mali sont en mesure d’écraser un petit mouvement de 700 combattants. Cependant, avertit Abdourhamane Dicko, «l’armée ne peut pas prédire les dégâts liés à l’asymétrie d’action de 700 combattants convaincus, mais surtout bien entretenus».
Surtout que le contexte général est présentement favorable à tous les types de trafics, au recrutement de combattants à plusieurs milliers de francs CFA, aux tractations de recrutement de combattants pour le processus de DDR.
Des raisons suffisantes à pousser «les Maliens à créer une synergie autour de leur beau pays débarrassé des accusations d’exactions, de manque de confiance entre composantes sociales et entre elles et l’Etat».
Dans la vie d’une nation, l’injustice, l’inégalité et l’impunité ne peuvent profiter qu’aux ennemis de la paix, de la stabilité, de la République laïque.
Comme le dit si pertinemment M. Dicko, «l’Etat et ses représentations doivent donner l’image d’être là pour tous les citoyens et citoyennes. C’est à ce seul prix que les frustrations ne conduiront pas à une révolte armée».
Equité et justice pour retrouver la crédibilité requise aux yeux des populations
Il est donc nécessaire, pour faucher l’herbe sous les pieds des fondateurs d’ANSIPRJ, que des enquêtes soient menées sur les présumées exactions de l’armée sur les peuls. Il ne s’agit pas de les balayer d’un revers de la main.
Le gouvernement doit faire toute la lumière sur la situation pour savoir s’il y a eu des exactions, qui sont les coupables et quelles sont les sanctions qui ont été prises. Cela est l’un des principes clés de l’Etat de droit. Le peuple veut tout savoir sur ces présumées exactions.
Il est donc nécessaire, pour faucher l’herbe sous les pieds des fondateurs d’ANSIPRJ, que des enquêtes soient menées sur les présumées exactions de l’armée sur les peuls. Il ne s’agit pas de les balayer d’un revers de la main.
L’Etat doit faire toute la lumière sur la situation pour savoir s’il y a eu des exactions, qui sont les coupables et quelles sont les sanctions qui ont été prises. Cela est l’un des principes clés de l’Etat de droit.
Le peuple veut tout savoir sur ces présumées exactions et il a le droit de savoir. Ce qui n’est pas possible tant que l’Etat ne s’assume pas pour exercer ses missions régaliennes.
Cela devient très urgent d’autant plus que tous les plans machiavéliques qui visent à déstabiliser notre pays depuis des décennies découlent de la faillite de l’Etat.
Comme l’écrivait la semaine dernière un jeune confrère sur Maliweb, les autorités politiques doivent aujourd’hui comprendre que «ce pays ne peut plus être dirigé sur la base de la culture de l’injustice, du favoritisme et de la corruption. L’Etat doit accepter ce fait-là et retourner auprès de ses citoyens pour vraiment assouvir leur soif de justice, de sécurité et de bonne gouvernance».
C’est une piste crédible pour résoudre l’équation sécuritaire à laquelle nous faisons impuissamment face depuis des décennies !
Moussa Bolly