Le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Mali, Mahamat Saleh Annadif, du Tchad, occupe ce poste depuis janvier 2016.
Fort d’une vaste expérience internationale, M. Annadif était auparavant Ministre des affaires étrangères du Tchad de 1997 à 2003, Chef de cabinet du Président tchadien de 2004 à 2006 et Secrétaire général de la Présidence de 2010 à 2012. Il a également occupé les fonctions de Représentant permanent de l’Union africaine auprès de la Commission européenne, de 2006 à 2010.
Outre le Mali, M. Annadif a participé à plusieurs processus de paix en Afrique, notamment au Niger, en République centrafricaine et au Soudan. De 2012 à 2014, il a ainsi été le Représentant spécial et Chef de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM).
Lors d’un récent passage au siège des Nations Unies, à New York, durant lequel il s’est entretenu avec les 15 membres du Conseil de sécurité sur l’évolution du processus de paix au Mali, M. Annadif a consacré un entretien au Centre d’actualités de l’ONU.
A cette occasion, il est revenu sur les origines de l’instabilité actuelle dans le pays, les difficultés rencontrées par les parties maliennes dans la mise en uvre de l’accord de paix signé en 2015 et les obstacles auxquels fait face la Mission intégrée multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilisation dans le pays (MINUSMA), dont M. Annadif est le chef, dans le cadre son soutien au processus de paix.
Centre d’actualités de l’ONU : Pouvez-vous nous donner un aperçu du conflit au Mali et notamment des forces en présence ?
Mahamat Saleh Annadif : On ne peut pas véritablement parler de conflit. Le Mali traverse une situation qui n’est ni la guerre, ni la paix. Pourquoi ? Parce qu’en 2012, à la suite de ce qui s’est produit en Libye, beaucoup de Maliens qui vivaient en Libye ont traversé la frontière pour venir dans le Nord du Mali avec armes et bagages. La majorité d’entre eux faisaient partie des éléments de protection de Kadhafi [Mouammar Kadhafi, l’ancien chef de la Libye, assassiné en octobre 2011 suite au renversement de son régime] et disposaient d’énormément d’armes. Ils sont entrés dans le Nord du Mali parce que la majorité d’entre eux sont des ressortissants de cette zone.
Leur arrivée a coïncidé avec un affaiblissement du pouvoir central malien. Pire encore, elle a coïncidé avec un coup d’Etat qui a été perpétré au Mali en mars 2012 [le 22 mars, le Président malien Amadou Toumani Touré a été renversé par un putsch. Après une transition, Ibrahim Boubacar Keïta a été élu Président en novembre 2013, à l’issue d’une élection].
Cet affaiblissement de l’Etat malien a fait que ceux qui étaient arrivés avec armes et bagages au Nord du Mali, et qui étaient par ailleurs en majorité d’anciens membres de précédentes rébellions Touaregs dans la région, ont sans doute estimé qu’il s’agissait d’une occasion de gagner la guerre. Ils ont peut-être pensé : « Jusqu’ici on a fait des rébellions pour faire des revendications ; pourquoi ne pas conquérir le Mali ? ». Et ils ont commencé. [Les Touaregs sont des habitants du Sahara central répartis à travers l’Algérie, la Libye, le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Initialement nomades, leur sédentarisation s’est accélérée depuis la seconde moitié du 20ème siècle.]
Malheureusement, dans cette aventure, beaucoup d’extrémistes, de djihadistes et de terroristes se sont mêlés à l’opération. Cela a fait qu’en l’espace de quatre à cinq mois, ils ont pu conquérir pratiquement les principales régions du Nord du Mali, à savoir Kidal, Tombouctou et Gao. Parmi les combattants on trouvait donc un mélange de djihadistes, de terroristes et puis de Maliens qui revendiquaient un droit de regard en tant que population du Nord, en tant que Maliens.
Quand ils ont tenté de menacer le pouvoir central, il y a eu l’opération Serval de la France au Mali en janvier 2013 [une opération militaire lancée par l’armée française pour aider les troupes maliennes à repousser l’offensive venue du nord en direction de la capitale, Bamako]. Cette intervention a été appuyée par les Tchadiens et d’autres troupes africaines et l’insurrection a été repoussée vers le Nord. [L’opération Serval, qui a pris fin en juillet 2014, s’inscrivait dans le cadre de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), une force multinationale sous conduite africaine autorisée par la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 20 décembre 2012.]
En les repoussant, on s’est trouvé face à deux forces : l’une, qui reconnait l’intégrité, la laïcité et l’unité du Mali, mais d’un Mali dans lequel elle revendique un certains nombres de droits ; et l’autre, composée des différents terroristes, aventuriers et narcotrafiquants qui s’étaient mêlés à l’insurrection et qui sont rentrés dans les montagnes d’Ifoghas [l’un des principaux massif montagneux du Sahara, situé dans le Nord-Est du Mali et le Sud de l’Algérie]. On s’est donc retrouvé avec deux forces, l’une avec des revendications nationales et l’autre avec des revendications extrémistes.
Et à partir de cette différence, nous sommes parvenus à négocier avec les groupes qui se réclamaient d’une opposition armée nationale l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, que l’on appelle aussi Accord issu du processus d’Alger. Il a d’abord été signé par deux parties, le 15 mai 2015, avant d’être finalisé avec les trois parties, le 20 juin 2015
Centre d’actualités de l’ONU : Qui sont les signataires et que prévoit cet accord ?
Mahamat Saleh Annadif : Les signataires de cet accord sont un ensemble de mouvements organisés sous formes de deux grands pôles.
Le premier pôle s’appelle la Coordination des mouvements de l’Azawad, la CMA, qui regroupe le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et le Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA). Le second pôle regroupe, sous l’appellation de Plateforme, divers autres mouvements, dont le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), le MAA-Plateforme, etc. Et le troisième partenaire de l’accord, évidemment, c’est le gouvernement malien. Donc ce sont les trois signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali.
Centre d’actualités de l’ONU : Où en est aujourd’hui la mise en uvre de cet accord et que peut faire l’ONU pour accélérer ce processus ?
Mahamat Saleh Annadif : L’accord prévoit des mécanismes de suivi, dont principalement le Comité de suivi de l’accord, le CSA, qui se réunit une fois par mois. Depuis la signature de cet accord, ce Comité a eu à se réunir neuf fois. Quand l’accord a été signé, un certain nombre d’objectifs ont été fixés.
Le premier objectif est le cessez-le-feu. Depuis que l’accord a été signé, le cessez-le-feu entre les mouvements et le gouvernement a été respecté.
Deuxièmement, au moment même où l’accord a été signé, il existait des conflits entre les mouvements de la Plateforme et ceux de la CMA. Depuis lors, il y a eu une série de rencontres assez médiatisées entre la Plateforme et la CMA, appelées pourparlers d’Anéfis [du nom de cette commune malienne de la région de Kidal, où les rencontres ont eu lieu en octobre 2015]. Suite à ces pourparlers, à l’heure actuelle, les mouvements ont mis fin au conflit entre eux.
Mais le constat est que la mise en uvre de l’accord rencontre beaucoup de difficultés. Je ne veux pas dire des blocages, mais une certaine lenteur. Pourquoi cette lenteur ? Parce qu’une fois l’accord signé, le gouvernement s’est précipité pour dire que les éléments qui concernent les patrouilles, les cantonnements, l’intégration et la démobilisation – en somme, tous les éléments liés à ce qui concerne la sécurité et la défense – sont prioritaires. En revanche, les mouvements, eux, disent : « Non, les conflits répétitifs qui ont eu lieu au Mali ont pour base essentielle un conflit politique, donc avançons plutôt sur le plan de la réforme institutionnelle, sur les questions politiques avant d’avancer sur les questions militaires et sécuritaires ».
Ces tiraillements font que, même si nous disposons de pratiquement tous les textes législatifs et réglementaires sur lesquels doivent se baser les réformes, en pratique, nous n’avons pas pu mettre en uvre les réformes institutionnelles prévues dans l’accord et exigées par les mouvements signataires.
La bonne nouvelle c’est que le 14 juin, les signataires se sont retrouvés et sont tombés d’accord sur ce que l’on appelle le protocole d’entente, qui fixe un calendrier pour la mise en place d’autorités intérimaires. Ces dernières auront pour mission principales de gérer pendant une période transitoire de 18 à 24 mois tout ce qui a trait aux provinces ou régions du Nord, à savoir la libre administration. Parce que les populations du Nord disent que ce qui a créé de la frustration et causé des problèmes à l’origine est le fait que les populations ne se gèrent pas elles-mêmes, mais sont gérées par d’autres personnes contre lesquelles elles éprouvent une certaine crainte et ont des récriminations. En attendant d’en arriver à la phase des élections générales dans tout le pays, l’accord a prévu une période transitoire pendant laquelle il y aura une libre administration dans les régions du Nord. On espère que le calendrier qui a été fixé puisse être respecté. Et là, nous verrons réellement un début concret de la mise en uvre de l’accord.
Centre d’actualités de l’ONU : Vous êtes le chef de la MINUSMA. Que fait la Mission aujourd’hui pour accompagner le pays sur la voie de la paix ?
Mahamat Saleh Annadif : La MINUSMA est avant tout une Mission de paix. Une Mission de paix est basée sur un certain nombre de principes. Elle est là-bas parce que les Maliens l’ont demandé. Elle doit être impartiale, à savoir être à égale distance des groupes armés et du gouvernement.
Nous estimons que si l’on veut Comme son nom l’indique, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali a pour mission principale d’accompagner les signataires : premièrement, pour garantir la pérennité du cessez-le-feu ; deuxièmement, pour accompagner la mise en uvre de l’accord ; troisièmement, pour protéger les populations civiles, parce que le gouvernement n’est pas présent dans tout le territoire malien ; quatrièmement, pour faciliter l’accès aux acteurs humanitaires dans la zone de conflit ; cinquièmement, pour veiller à ce que les droits de l’homme soient également respectés ; et sixièmement, pour faire en sorte d’utiliser les bons offices tout en protégeant le personnel des Nations Unies et des autres agences de l’ONU au Mali.
La MINUSMA accomplit ces missions. Malheureusement, alors que les missions classiques des Nations Unies accompagnent les parties une fois qu’un accord a été signé, il y a au Mali un troisième élément qui n’est pas prévu dans l’accord : les terroristes ont refusé de signer l’accord. Ils sont en dehors de la légalité. Ils veulent s’opposer en essayant d’imposer leur point de vue. Ils se sont juré de faire échouer l’accord. Par conséquent, voyant que la MINUSMA est là pour la mise en uvre de l’accord, ils visent la MINUSMA, d’où les pertes en vies humaines au sein de la Mission dont vous entendez parler pratiquement quotidiennement, pour ne pas dire plus.
Centre d’actualités de l’ONU : La MINUSMA est en effet la Mission la plus mortelle de l’ONU, quelles sont les mesures spécifiques prises par la mission pour faire face à ce climat sécuritaire tendu ?
Mahamat Saleh Annadif : A partir du moment où nous avons compris que nous étions devenus une cibles privilégiée pour les terroristes, un certain nombre de mesures ont commencé à être prise, notamment pour être plus proactif. Comme on dit : prévenir plutôt que guérir. Mais pour accomplir cette Mission, il est important que notre mandat précise certaines règles d’engagement. C’est pour cela que nous sommes ici.
Nous estimons que si l’on veut que la MINUSMA accomplisse sa mission, en plus de la stabilisation et des bons offices, pour aider à faire aboutir l’accord de paix, elle doit également faire face à cette menace terroriste. Même si elle ne doit pas lutter contre le terrorisme, il faudrait qu’elle puisse au moins avoir le feu vert pour arrêter les suspects et pour anticiper les menaces. Pour cela, il faudrait qu’elle ait plus de véhicules blindés, qu’elle ait plus d’avions pour la couverture aérienne et qu’elle ait de plus de moyens de renseignement pour disposer du maximum d’informations sur l’ennemi. C’est ce que nous sommes en train de demander au Conseil de sécurité.