Les dernières trouvailles du régime seraient peut-être de livrer le pays aux porte-parole ethniques, ceux-là qui font de l’appartenance à une ethnie, un programme de promotion sociale et politique. Dans un pays comme le Mali où l’identification ethnique est le plus souvent artificielle, se poser en promoteurs des identités spécifiques, tient de l’imposture. Une de plus. Analyse.
C’est un truisme de dire que du fait de l’Accord d’Alger, le conflit Touareg continue d’infecter le Mali, sous nos pieds tout se dérobent, les communautés se dressent les unes contre les autres, l’Etat ou ce qui ressemble à sa mue, détourne le regard. Du fait de son absence organisée dans les territoires et les terroirs, tous les orgueils communautaires sont chatouillés, les esprits chauvins se réveillent, les dirigeants du jour n’anticipent rien, ce qui favorise la bête irrédentiste qui se cache derrière tous les prétextes possibles et suit sa marche inexorable, menaçant d’embrasser l’ensemble du pays. Le Mali se sent menacé dans ses fondements.
Le Mali, ce pays de brassage dont les racines profondes nous proviennent des empires du Ghana, du Mandé et du Songhaï etc., ne s’est jamais porté aussi mal.
Au fil des siècles l’imbrication des différentes traditions ont forgé une culture nationale unique en Afrique de l’Ouest.
La construction politique la plus déterminante dans l’édification de ce destin national a été la charte de Kurukan fuga qui elle-même a conduit à la production pour l’essentiel, des manuscrits de Tombouctou bien plus tard. En effet, l’historiographie du Mali nous donne à penser que l’élément fondateur de la nation malienne actuelle est la charte du Mandé, passée désormais à la postérité sous le nom de Charte de Kurukan Fuga.
La République du Mali a hérité d’un espace géographique et historique vieux de plusieurs siècles, qui a abrité des Etats organisés qui ont à leur tour su créer des réseaux de relations et de brassage humain, à l’origine d’un humanisme fécond. L’unité culturelle de cet espace fut symbolisée par la charte de Kurukan fuga, du nom de la clairière au nord de la ville de Kà-ba, actuelle ville de Kangaba où Soundiata Keita scella le pacte qui donna à l’empire du Mali, une charte pour une « paix perpétuelle». Les effets de ce Pacte continuent de structurer culturellement l’actuel espace de l’empire du Mali, plus de sept cents ans après !
Les principales dispositions de la charte du Mandé, ont été d’un grand intérêt politique pour notre pays, au-delà notre Continent dans le cadre du raffermissement et de la construction interne de nos systèmes politiques précoloniaux en particulier dans la dévolution du pouvoir, l’organisation de la cité et les relations intra-africaines, dans la résolution de nos problèmes, conflits et stratégies de développement. Son appropriation constitue une aide précieuse à l’ancrage de la démocratie moderne dans notre pays.
Il est aisé de constater au regard du contexte, que le pouvoir IBK est entrain de ruiner ce bel héritage historique de notre nation seulement en trois ans d’exercice, il n’y a qu’à regarder comment le centre du pays s’abime dans des conflits inter et/ou intra-communautaires. Le président IBK n’a pas de projet, pas de vision. La vision conduisant à une architecture capable de la matérialiser n’existant pas, le pays manque donc d’architecture sécuritaire adéquate comme réponse à la crise en cours.
Ainsi, sous nos yeux, la Nation malienne se délite, les régions se replient, à l’intérieur de chaque région, des groupes se forment et se recroquevillent, les ethnies et les communautés se cabrent face à l’Etat. Le Mali semble se détourner de son histoire faite de brassage, l’un des meilleurs que l’Afrique de l’Ouest n’ait jamais connu.
Les racines ethniques et communautaires repoussent plus que jamais, des racines, devenues adventives dans l’Etat menacent d’étrangler la génération future. Une longue liste de préjugés se réveille et sépare de plus en plus les Maliens. L’esprit de l’entrepreneuriat ethnique s’installe lentement, avec plus d’assurance, les terroirs s’organisent, on ne sait vraiment pour quelle bataille.
Plutôt que de nous voir en Nation léguée par sept cents ans d’histoire, les porte-parole ethniques se posent de plus en plus en promoteurs des identités spécifiques. Ils se regardent à l’aune de mosaïques de groupes aux caractères immuables.
Il est temps que tout le monde comprenne que nous assistons en ce moment à un combat dont l’enjeu est la redéfinition de l’unité nationale. Pour cela, la solution commence par l’abandon du fétichisme qui entoure l’Accord d’Alger 2015.
La seule solution qui vaille dans la durée est la réforme de l’Etat au Mali. A l’instar de Kurukan fuga, nous avons l’obligation d’organiser les assises nationales du Mali afin de définir la vision d’avenir du pays. Sans ce rassemblement, toute solution prise pour l’ensemble du pays, en fonction de la résolution du conflit touareg finira par s’effondrement de la nation.
Il ne fait aucun doute que le regain de l’insécurité dans le pays est à la mesure du temps que les dirigeants actuels ont a mis a pillé les ressources de l’armée et des forces de sécurité, à livrer à la mort sans raison les jeunes soldats sans préparation, les agents de l’administration territoriale et des policiers sans défense.
A cet égard, le discours sur la détérioration de la situation sécuritaire et de la lutte contre le terrorisme, servi au Maliens comme une raison de se rassembler autour du Président IBK, sert d’opération gouvernementale de blanchiment de la mauvaise gouvernance, de détournements de toutes sortes.
Stopper l’enthousiasme ethnique !
Face à l’ampleur des problèmes du pays, la stratégie basée sur les réconciliations entre communautés tribales ou ethniques, est un pis-aller.
Il a été déjà souligné dans cette chronique, pourquoi la rébellion Touareg est aussi une rébellion contre la démocratie. L’éveil social que la démocratie a introduit dans le corpus social, modifie les rapports sociaux. L’esclavage en milieu touareg est de plus en plus dénoncé, les conditions des femmes aussi.
Ce progrès social prend les couleurs de mutations subversives qui contrarient les plans de carrière des potentats établis. Ce faisant, il favorise l’émergence d’une dynamique nationale par l’intégration de cadres dits d’origine inferieure dans la communauté nationale.
Ces émergences subversives visibles dans toutes nos sociétés sont très mal vécues dans certaines communautés. N’en déplaise aux porte-parole ethniques dans ces régions du Mali, la crise actuelle est aussi une lutte entre le progrès social et l’obscurantisme, entre l’intégration nationale et le repli identitaire conduit par des artisans des « identités meurtrières *».
En face, la réponse n’est pas dans une régionalisation escamotée ou mal définie qui conduira à des conflits tribaux aux conséquences dramatiques.
En tout état de cause l’urgence est d’arrêter et de juger conforment à la constitution du Mali, tous les porte-parole ethniques.
Dans un pays où l’identification ethnique est le plus souvent artificielle, l’émergence des porte-parole ethniques est un encouragement aux minorités, à toutes les minorités à se voir comme victimes et de vivre d’alibi. Ce qui est la plus grave culture tribale et patrimoniale.
La seule façon infaillible de ruiner notre pays, serait de lui permettre de devenir un enchevêtrement d’ethnies querelleuses, Bamanan, Bobo, Maure, Minianka, Peulh, Senoufo, Songhoï, Soninké, Touareg etc. toutes décidées à préserver leur identité séparée pour paraphraser Theodore Roosevelt (il fut président des Etats–Unis et Prix Nobel de la paix en 1906).
Il faut ici et maintenant stopper cet enthousiasme ethnique naissant que le pouvoir IBK laisse prospérer pour des raisons de calculs politiciens. L’essor des calculs des porte-parole ethniques qu’on intègre allègrement semble-t-il au processus de réconciliation biaisée, est de sa seule responsabilité, puisque ce mouvement est, au fond une protestation ouverte ou déguisée contre l’Accord d’Alger 2015 et ses implications.
En résumé, il faut convenir que Kidal ruine le reste du Mali ! N’abîmons pas davantage notre pays pour Kidal, laissons la faire de la résistance, mais donnons-nous les moyens de rebâtir un Etat fort, juste et propre pour l’ensemble du Mali.
Rappelons-nous l’hymne de l’empire du Wassoulou du 19e siècle, Afrique de l’Ouest sous la direction de l’Almamy Samory Touré : « Si tu ne peux organiser, diriger et défendre le pays de tes pères, fais appel aux hommes plus valeureux ; si tu ne peux dire la vérité en tout lieu et en tout temps, fais appel aux hommes plus courageux. Si tu ne peux être impartial, cède le trône aux hommes justes. Si tu ne peux protéger le peuple et braver l’ennemi, donnes ton sabre de guerre aux femmes, elles t’indiqueront le chemin de l’honneur...»
Souleymane Koné