Le 30 mai 2012, à l’issue du Conseil des ministres, le gouvernement malien avait annoncé son intention de saisir la Cour pénale internationale (CPI). Ce qui fut confirmé par une saisine officielle de l’État qui intervient le 18 juillet de la même année à travers un courrier adressé par le ministre de la Justice de l’époque, Malick Coulibaly, à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Il s’agissait « enquêter sur les crimes les plus graves commis depuis janvier 2012 ».
Mais depuis l’arrivée du régime actuel, le dossier semble être au point mort, s’il n’est pas purement et simplement abandonné par les nouvelles autorités. Au contraire, celles-ci ont libéré des assassins arrêtés et emprisonnés et levé les mandats d’arrêt lancés contre des rebelles et terroristes. Aujourd’hui, IBK partage le plat avec ces gens censés être à La Haye.
De son côté, la CPI semble trainer le pas, n’ayant entrepris aucune action d’envergure à l’exception de la récente inculpation de Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi, plus connu sous le nom d’Abou Tourab. Où en est le dossier ?
Le 18 juillet, le Mali avait saisi la Cour pénale internationale pour enquêter sur les crimes commis dans le pays. Dans un courrier adressé par le ministre de la Justice de la Transition, Malick Coulibaly, à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, le gouvernement en appelait à l'article 14 du statut de la CPI pour « enquêter sur les crimes les plus graves commis depuis janvier 2012 », « dans la mesure où les juridictions maliennes sont dans l'impossibilité de poursuivre ou juger les auteurs ».
Les faits prouvent que la CPI avait tout à fait accédé à la requête puisque elle-même s’était prononcée sur la situation qui prévalait, tel que nous le démontre le rappel de la procédure dans un rapport produit par la Cour sur la situation au Mali. Que dit ce document ?
Rappel de la procédure
Le Bureau du Procureur analyse la situation au Mali depuis l’explosion de la violence au nord le 17 janvier 2012 ou aux alentours de cette date.
Le 24 avril 2012, le Bureau a émis une déclaration publique rappelant que le Mali était un État partie au Statut de Rome et que la Cour était compétente pour juger d’éventuels crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crime de génocide qui pourraient être commis sur le territoire du Mali ou par certains de ses ressortissants à partir du 1er juillet
2002.
Le 30 mai 2012, le Conseil des ministres du Mali a décidé publiquement de déférer à la CPI les crimes commis depuis le mois de janvier 2012 par le MNLA, AQMI, Ansar Dine ainsi que d’autres groupes armés dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou.
Le Conseil a ajouté que cette situation avait entraîné le retrait des services de l’administration de la justice de ces localités, ce qui rendait impossible le traitement de ces affaires par les juridictions nationales compétentes.
Le 1er juillet 2012, le Bureau a publié une déclaration indiquant que le fait de diriger des attaques contre des tombeaux de saints musulmans dans la ville de Tombouctou et de les endommager délibérément pourrait constituer un crime de guerre en vertu du Statut de Rome.
Le 5 juillet 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies la résolution 2056, dans laquelle il est souligné que les attaques menées contre des bâtiments à caractère religieux ou des monuments historiques peuvent constituer une violation du droit international au regard du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949 et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Le 7 juillet 2012, lors d’un sommet qui s’est tenu à Ouagadougou, au Burkina Faso, le groupe de contact de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour le Mali a demandé à ce que la CPI enquête sur les crimes de guerre commis par les rebelles dans le nord de ce pays, en se référant plus précisément à la destruction de monuments historiques à Tombouctou et à la détention arbitraire de personnes.
Le Groupe de contact a exhorté la CPI « à ouvrir les enquêtes qui s’imposaient afin d’identifier les auteurs de ces crimes de guerre et d’entamer les poursuites nécessaires à leur encontre».
Le 18 juillet 2012, le Gouvernement malien a déféré la «situation au Mali depuis le mois de janvier 2012» à la CPI.
Le Bureau a effectué deux missions au Mali, en août et en octobre 2012, pour vérifier les renseignements en sa possession.
Les Crimes allégués
Dans le rapport susmentionné, le Bureau du Procureur de la CPI présente un aperçu des crimes qui auraient été commis au Mali depuis janvier 2012.
La majorité des crimes allégués ont été commis dans les régions de Gao et de Tombouctou, et dans une moindre mesure dans celle de Kidal, donc nord du Mali.
En outre, certains crimes se seraient produits à Bamako et Sévaré, donc sud du pays, dans le cadre de conflits au sein de l’armée malienne.
Des groupes armés auraient perpétré des crimes dans le contexte d’un conflit armé non international qui a éclaté le 17 janvier 2012.
Lors de la première phase de ce conflit armé (du 17 janvier au 1er avril 2012), le nombre de meurtres atteint son plus haut niveau en janvier 2012 avec l’exécution présumée de 70 à 153 détenus à Aguelhok.
Des pillages et des viols (jusqu’à 90 cas de viol ou de tentative de viol) ont été pour la plupart signalés fin mars/début avril 2012 lorsque des groupes armés ont pris le contrôle des régions du nord.
Par la suite, de graves châtiments ont été infligés et des édifices religieux de Tombouctou ont été détruits.
Par ailleurs, des actes de torture et des disparitions forcées ont été signalés dans le cadre du coup d’État militaire qui s’est produit autour du 21 et du 22 mars 2012 et de la tentative d’y faire échec qui a lieu le 30 avril et le 1er mai 2012.
Les crimes en cause commis dans le cadre d’un conflit armé sont pour la plupart attribués à des groupes armés tels que le MNLA, Ansar Dine, AQMI, le MUJAO et diverses milices.
Les crimes en cause commis dans le sud du Mali dans le cadre d’affrontements au sein de l’armée malienne sont attribués à des membres ou à des partisans de l’ (ex-)junte.
Au vu de tout cela et de plusieurs autres cas avérés développés dans le rapport, le Bureau en vient à la Conclusion suivante : « Les renseignements disponibles fournissent une base raisonnable permettant de croire que des crimes de guerre ont été commis dans le cadre de la situation au Mali depuis janvier 2012, à savoir: le meurtre constitutif d’un crime de guerre visé à l’article 8-2-c-i; les mutilations, les traitements cruels et la torture visés à l’article 8-2-c-i; les condamnations Prononcées et les exécutions effectuées en dehors de toute procédure régulière constitutives d’un crime de guerre visé à l’article 8-2-c-i ; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens protégés, constitutif d’un crime de guerre visé à l’article 8-2-e-iv; le pillage visé à l’article 8-2-e-v; et le viol visé à l’article 8-2-e-v ; et le viol constitutif d’un crime de guerre visé à l’article 8-2-e-vi. Cette évaluation n’est en aucun cas contraignante aux fins de toute enquête future ou de la détermination des charges.
Étant donné qu’aucune poursuite nationale n’a été engagée au Mali ou dans tout autre État à l’encontre des personnes qui semblent porter la responsabilité la plus lourde pour les crimes les plus graves commis dans ce pays, le Bureau a conclu que les affaires éventuelles qui découleraient de son enquête dans le cadre de cette situation seraient recevables. En outre, de telles affaires semblent suffisamment graves pour que la Cour y donne suite.
Le Procureur a décidé d’ouvrir une enquête dans le cadre de la situation au Mali depuis janvier 2012 étant donné qu’il n’y a aucune raison sérieuse de penser qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de le faire ».
Parole de Fatou Bensouda
D’ailleurs, après cette saisine de la CPI par l’Etat malien, la Procureure Bensouda a effectué une visite au Mali. A l’occasion, elle s’est suffisamment prononcée sur la question.
« Depuis le début du conflit armé qui a éclaté en janvier 2012, les habitants du nord du Mali sont soumis aux grands troubles qui agitent leur région », avait-t-elle déclaré.
Et d’affirmer avec confiance : « Divers groupes armés ont semé la terreur et infligé des souffrances à la population par tout un éventail d’actes d’une extrême violence à tous les stades du conflit. Je suis parvenue à la conclusion que certains de ces actes de brutalité et de destruction pourraient constituer des crimes de guerre au regard du Statut de Rome ».
En effet, depuis le renvoi de la situation au Mali par l’État malien, le Bureau du Procureur est habilité à enquêter et à engager des poursuites concernant tout crime relevant de la compétence de la Cour, commis sur le territoire malien depuis le mois de janvier 2012. Il a identifié, au cours de son examen préliminaire, d’éventuelles affaires suffisamment graves pour qu’il y donne suite.
Mme Bensouda a estimé qu’il existe une base raisonnable pour croire que les crimes suivants ont été commis : le meurtre; les mutilations, les traitements cruels et la torture ; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens protégés ; les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué ; le pillage ; et le viol.
« Mon Bureau mettra tout en œuvre pour mener une enquête approfondie et impartiale et rendra justice aux victimes maliennes en enquêtant sur les personnes portant la plus lourde part de responsabilité dans les crimes présumés », avait promis la Procureure.
Qui avait conclu en ces termes : « La confusion bat son plein au nord du Mali et les populations sont exposées à des risques accrus de violence et de souffrance », a indiqué le Procureur.
« La justice peut jouer son rôle en soutenant les efforts communs de la CEDEAO, de l’Union africaine et de la communauté internationale dans son ensemble pour mettre un terme à la violence et rétablir la paix dans la région. Des organisations régionales et internationales clés ont reconnu l’importance de la justice dans la résolution de la crise qui secoue le Mali. Les crimes internationaux commis au Mali ont profondément heurté la conscience humaine ».
La comédie Abou Tourab
Depuis ce séjour de Fatou Bensouda, c’est le black-out sur le dossier jusqu’à une date récente quand la CPI trouve en Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi dit Abou Tourab, un bouc émissaire. En effet, la Cour a annoncé le 1er juin que ce touareg malien sera jugé à partir du 22 août.
Livré le 26 septembre 2015 par le Niger, où il était détenu, ce djihadiste du groupe armé Ansar Eddine devrait plaider coupable de crime de guerre pour la destruction de neuf mausolées et de la porte de la mosquée Sidi Yahia à Tombouctou, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.
Longtemps fonctionnaire au ministère de l’éducation, Ahmed Al-Mahdi avait rejoint Tombouctou, sa région natale, dès la prise de la ville par les groupes djihadistes, avant de la fuir en janvier 2013 face à la progression des forces françaises de l’opération « Serval ».
Mais en octobre 2014, il avait été blessé lors de son arrestation au Niger par la force Barkhane, à 30 kilomètres de la frontière nigéro-algérienne et à bord d’un convoi transportant plus d’une tonne d’armement du Sud libyen vers le Mali.
Le Niger l’avait remis à la CPI en septembre 2015. En janvier, l’Emirat du Sahara, une branche d’AQMI, a exigé la libération de combattants détenus au Mali et celle d’Al-Faqi Al-Mahdi en échange de la religieuse suisse Béatrice Stockly, enlevée dans la nuit du 7 au 8 janvier au Mali pour la seconde fois.
Donc, pour le moment, c’est le seul dossier de crime sorti des tiroirs de la CPI même si dans une récente interview accordée à l’Ortm, Fatou Bensouda a rassuré que les enquêtes suivent leur cours normal malgré plusieurs difficultés liées à l’insécurité.
Au sud, on trinque à la santé des rebelles
Le paradoxe, c’est que pendant que ce dossier dort à La Haye, au Mali, IBK nargue le peuple en cédant tout aux rebelles, en trinquant avec les terroristes, en buvant à la santé des djihadistes. Avec tous, il a d’abord signé le pire accord de l’histoire du Mali, l’Accord du 20 juin 2015. Auparavant, il les avait libérés pour qu’ils puissent se mouvoir à volonté.
En effet, par une après-midi d’octobre 2013, IBK levait les mandats d’arrêt lancés le 8 février contre plusieurs responsables des groupes armés, dont le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), à l’origine de l’offensive ayant eu pour conséquence la prise de contrôle du Nord-Mali par les djihadistes.
«Les faits qui leur sont reprochés sont, entre autres: terrorisme, sédition, crimes portant atteinte à la sûreté de l’Etat, à l’intégrité du territoire national par la guerre, emploi illégal de la force armée, dévastation et pillage publics, crimes et délits à caractère racial, régionaliste et religieux, trafic international de drogue».
Ce sont 26 personnes qui étaient concernées par ces mandats d’arrêt, dont Bilal Ag Achérif, Secrétaire général du Mnla ; Iyad Ag Ghaly, chef d’Ançar Dine ; Oumar Ould Hamaha et Sidi Mohamed Ould Boumama, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), ainsi que Chérif Ould Attaher, membre du Mujao. Et dans cette liste, figure également Alghabasse Ag Intalla, le chef du Mouvement islamique de l’Azawad (Mia), né d’une scission avec le groupe djihadiste de Iyad Ag Ghaly.
Aujourd’hui, les hôtels huppés de Bamako et le palais de Koulouba sont les lieux de repos et de restauration de tous ces criminels qui ne verront sans doute jamais La Haye.
Sékou Tamboura
Source: L'Aube