Le président du Comité d’experts pour la révision de la Constitution explique, dans cet entretien, les enjeux de cette révision constitutionnelle, sa méthode de travail pour aboutir à un projet de texte fondamental qui répond aux aspirations du peuple malien
Lorsque vous avez été contacté pour présider ce groupe d’experts, à quoi avez-vous pensé en cet instant précis ?
Me Mamadou I. Konaté : J’ai d’abord pensé à mon père (feu Ismail Konaté). Il y a quelques années, j’ai eu une discussion avec lui et il m’a dit que l’une des choses qu’il apprécierait serait de participer, en tant que membre, au sein d’une Cour constitutionnelle. Lorsqu’on m’a sollicité pour présider ce comité, alors que je ne le soupçonnais pas du tout, j’ai pensé à mon père. J’ai pensé à tous les plaisirs qu’il aurait eus s’il était là.
Vous êtes un avocat très sollicité. Avez-vous le temps matériel de diriger un travail aussi difficile et complexe qu’est la révision d’une Constitution?
Me Mamadou I. Konaté : Je suis à Bamako pendant les six mois que durera cette mission. Après ma nomination, j’ai seulement demandé que l’on me donne une dizaine de jours pour que je puisse exécuter l’ensemble des engagements que j’avais notamment sur le plan international. Je suis avocat et je suis très sollicité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Mali. Je suis par ailleurs arbitre. J’avais pris des arbitrages déjà, notamment un arbitrage qui implique un pays de l’Afrique centrale sur des sommes et des enjeux assez importants. J’avais aussi une mission de l’Union internationale des avocats, de la Chambre de commerce internationale et de l’OHADA. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai animé une conférence à Abidjan dans le cadre de l’OHADA. Aujourd’hui, j’ai totalement fini avec mes engagements internationaux. Je suis maintenant au Mali et impliqué dans ce travail. Et pour rappeler tout simplement que la patrie n’a pas de prix. Que nous sommes donc obligés de nous consacrer à cette patrie, à l’engagement que nous avons pris vis-à-vis de cette patrie. Si Dieu le veut, nous comptons mener cette mission jusqu’au bout.
En tant que juriste privatiste, êtes-vous la personne indiquée pour diriger une équipe de révision de la Constitution?
Mamadou l. Konaté : C’est vrai que je suis juriste privatiste. Mais avant d’être privatiste, à la base, on a fait du droit général. On a fait du droit public. Et particulièrement, en ce qui me concerne, j’ai dû accumuler une bonne dose de droit constitutionnel et de connaissances des institutions politiques parce que tout simplement c’est une passion. Pour autant, je ne suis pas un spécialiste de la Constitution. C’est pour cela, au sein de ce comité, il y a des experts. Moi, je suis chargé de coordonner, d’organiser et d’assurer la réussite du fonctionnement de ce comité. Donc, le rôle du président n’est pas d’être le premier expert.
Le Comité comprend dix experts. Quels sont leurs profils ? Et qui fait quoi ?
Mamadou I. Konaté : Il y a un peu de tout là-dedans. Il y a essentiellement des juristes publicistes, spécialistes des questions constitutionnelles. Au sein de ce comité, il y a trois ou quatre personnes qui ont participé aux deux dernières révisions constitutionnelles qui n’ont pas abouti. Il y a aussi des hauts fonctionnaires de l’Etat qui ont assumé des fonctions ministérielles et qui ont une parfaite connaissance de l’Etat du point de vue organisation, fonctionnement et régulation des institutions. C’est cette multidisciplinarité du comité qui fait aussi sa richesse et qui fait que les dix experts, les deux rapporteurs, le personnel d’appui et moi-même, nous sommes aujourd’hui à même de prendre la mission que nous a confiée l’Etat pour la mener jusqu’au bout.
Quelle est votre méthodologie pour réussir votre mission ?
Mamadou I. Konaté : Notre mission consiste, dans un premier temps, à passer en revue le dispositif complet de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger pour y extraire l’ensemble des dispositions qui peuvent avoir une connotation constitutionnelle ou qui peuvent avoir un impact sur la Constitution. Deuxièmement, c’est de prendre en charge les deux révisions constitutionnelles qui n’ont pas abouti pour en tirer la substance de ce qui a été fait pour, éventuellement, intégrer dans le cadre de la Constitution. Dans un troisième temps, c’est de rechercher toute la cohérence, toute l’harmonie en intégrant à la Constitution les dispositions de l’Accord, ainsi que les dispositions proposées lors des deux réformes constitutionnelles avortées. Nous allons essayer, dans une démarche comme celle-ci, de donner une Constitution standard, moderne et adaptée au Mali et à son environnement.
Quelles sont les personnes concernées par les écoutes du Comité ?
Mamadou I. Konaté : Nous allons écouter tout le monde. Toutes les personnes qui ont quelque chose à apporter à cette révision de la Constitution. Nous allons, d’abord, écouter l’ensemble des personnalités qui ont eu des missions importantes au sein de l’Etat. Ensuite, nous allons écouter les forces vives. Qu’elles soient politiques, de la société civile, des communautés, de la société de culte, de la religion, de la société militaire, de la presse. Toutes les personnes qui composent aujourd’hui le Mali, dans sa substance, seront écoutées et entendues. Au-delà de ces écoutes que nous allons commencer très rapidement, il y a lieu d’aller au contact de toutes les expériences qui sont réussies en matière de Constitution. Et en plus de tout cela, c’est de donner la plus grande transparence au travail que nous faisons depuis le début pour donner justement l’occasion aux Maliens qui ne sont pas à Bamako ou qui n’ont pas accès au Comité de pouvoir nous faire des offres par le biais de l’Internet. Nous allons créer un site web qui sera dédié à ces personnes, plus particulièrement aux Maliens de l’extérieur pour qu’ils puissent participer au processus de cette révision constitutionnelle.
Les groupes armés signataires de l’Accord sont-ils concernés par les écoutes du Comité ?
Mamadou I. Konaté : A partir du moment où ce sont des Maliens, ils seront écoutés et entendus. Il n’y a pas de raison aujourd’hui, dans un contexte où on est en train d’aller à la paix, que toutes les composantes de la nation ne soient pas entendues ; que toutes les personnes qui sont attachées au Mali ne soient pas écoutées.
Vous avez un délai de six mois pour conclure vos travaux. Est-ce que c’est un délai raisonnable?
Mamadou I. Konaté : Il est tout a fait raisonnable quand on regarde les délais qui ont été proposés ailleurs. Je pense notamment à la Côte d’Ivoire où le délai était d’un mois. Donc, le délai de six mois est suffisant pour nous pour deux raisons. Premièrement, il ne faut pas s’enliser dans un débat éternel pour une réforme constitutionnelle qui est prise en main par des experts et non par des politiques. Deuxièmement, cette procédure de réforme constitutionnelle intervient après deux autres qui ont été avortées. Le fruit de tout cela peut nous permettre aujourd’hui de tirer la substance du travail qui a été admirablement accompli. C’est l’occasion pour moi de saluer toutes ces personnes qui ont aidé à la réforme constitutionnelle deux fois et que ça n’a pas abouti.
Certains pensent qu’avec ce Comité, on est en train de réviser la Constitution à huis clos. Que répondez-vous ?
Mamadou I. Konaté : La Constitution ne peut pas être révisée à huis clos. C’est l’affaire de 16 millions de Maliens. D’aucuns peuvent remettre en cause le fait que le gouvernement ait opté pour la désignation d’un comité d’experts, il faut dire tout simplement que nous sommes un comité d’experts et non une constituante. Donc, ce n’est pas toutes les composantes sociales de la Nation malienne qui sont représentées comme si on est en train de faire renaître un État. En 1991, c’est une constituante qui a été mise en place et qui était composée de la société civile et de la société politique. Et cela a été fait dans un contexte post révolution. Aujourd’hui, on est dans un pays qui opte pour la paix. Il s’agit donc de faire un travail technique et de le remettre au gouvernement qui lui donnera toute la connotation politique.
A ce jour qu’est-ce que le Comité a fait concrètement ?
Mamadou I. Konaté : On est en place depuis trois semaines. On a fait les premières réunions pendant lesquelles on est allé très vite dans les travaux intérieurs. Pour moi, les travaux intérieurs, c’est d’abord de prendre suffisamment conscience de l’importance de l’étendue de la mission et de lui donner une certaine connotation. La note d’orientation est aujourd’hui adoptée. Nous avons aussi adopté la note méthodologique. Également nous avons mis en place une commission qui est en train de détailler l’Accord et les incidences par rapport à la Constitution. Il y a aussi une autre commission technique qui a été mise en place. Elle va réfléchir sur l’élaboration de tous les grands principes de révision constitutionnelle sur lesquels nous allons, nous aussi, faire une réflexion en vue de posséder des concepts. Il y a un dispositif qui a été mis en place pour aller au contact des Maliens, de toutes les institutions, de toutes les personnes ressources. Au-delà de tout cela, nous avons également réparti les tâches entre nous. Dans une semaine, tout le travail théorique va être définitivement adopté lors d’un séminaire interne. La question de la laïcité, la problématique de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse sont des éléments sur lesquels nous allons débattre. Nous allons donc commencer très bientôt le processus des écoutes qui va prendre environ 45 jours à deux mois. A la différence des autres commissions, nous n’avons pas l’intention de nous déplacer à l’intérieur du pays pour des questions qui ne se terminent pas. Nous n’avons pas non plus besoin d’aller à l’extérieur. Nous allons essayer de concevoir une Constitution qui parte du Mali et des Maliens et qui soit le reflet de l’environnement malien. On ne se référera à d’autres qu’en cas de besoin, en complément de ce que nous aurons arrêté. Pour une fois, on ne va pas réfléchir à partir de Montesquieu pour faire la Constitution du Mali. On va réfléchir au Mali, aux Maliens, à l’environnement malien, aux 25 ans de la démocratie au Mali pour essayer de tirer les enseignements et de faire une Constitution qui soit la plus adaptée, la plus adaptable, la plus à même de refléter les aspirations du peuple malien.
Votre mot de la fin.
Mamadou I. Konaté : Nous avons besoin de la presse tout au long de cette mission de manière à ce que nous puissions rendre compte régulièrement du travail que nous sommes en train de faire et surtout des difficultés que nous pouvons rencontrer. J’ai souhaité donner ma première interview à L’Essor parce que c’est le journal du peuple.
Propos recueillis
par M. KEITA