La corruption et la délinquance financière, comportements répréhensibles et attentatoires au crédit de l’Etat s’analysent en de multiples infractions dont la concussion, la corruption, le faux et l’usage de faux, la contrefaçon et l’usage d’effets du Trésor, l’atteinte aux biens publics, l’abus de biens sociaux, la fraude fiscale, la fraude douanière, l’abus de confiance et l’escroquerie. En vue de prévenir ou de réduire la mauvaise gestion des derniers publics et les comportements répréhensibles et par conséquent de veiller à l’assainissement et à la maîtrise de la gestion des ressources publiques, à l’assainissement et à la maîtrise de la gestion des ressources publiques, l’Etat a mis en place un système de contrôle revêtant plusieurs formes. Il y a le contrôle administratif et financier (DNCF) et la Direction Nationale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DNTCP) par les services de contrôle de l’Administration comme le contrôle parlementaire a priori, par le vote de la loi des Finances et, a posteriori, par le vote de la loi règlement relatif à l’exécution du Budget. Ce contrôle est également assuré par les Commissions de contrôle de l’Assemblée Nationale. Nous avons aussi le contrôle juridictionnel qui est exercé a posteriori par la Section des Comptes de la Cour Suprême.
Etat des lieux en 1992
Dans le but d’assainir les finances publiques et d’assurer une meilleure gestion des ressources matérielles, humaines et financières de l’Etat, les organes chargés du contrôle de l’Administration avaient été structurés comme suit:
-le Contrôle Général d’Etat: rattaché directement au Président de la République, il était chargé du contrôle de l’ensemble des services publics et autres structures faisant appel au budget d’Etat.
– les inspections des départements ministériels (Intérieur – Santé et Action Sociale-
Finances – Services Diplomatiques et Consulaires – Armées et services), chargées du contrôle du fonctionnement et des pratiques administratives de l’ensemble des structures relevant des Ministères de rattachement. L’Inspection des Finances était également chargée du contrôle de la gestion des ressources financières de l’ensemble des services publics.
Ces organes de contrôle, bien qu’ayant donné quelques résultats, n’ont pas répondu à toutes les attentes. En effet, les inspections ministérielles effectuaient les missions de vérification à l’initiative et pour le compte du Ministre dont elles relevaient et auquel il revenait de donner la suite à réserver aux missions, quelle qu’ait été la pertinence des recommandations. Ces inspections étaient apparues très vite comme des” garages” pour les hauts fonctionnaires de l’Etat relevés de leurs fonctions. Le Contrôle Général d’Etat était perçu, à tort ou à raison, comme un instrument politique entre les mains du Chef de l’Etat chargé de réunir des preuves contre de adversaires politiques. Rares étaient les suites réservées aux rapports de contrôle et d’inspection et aucune coordination des activités des services de contrôle n’était assurée, d’où les nombreux chevauchements et duplications. On notait aussi la faiblesse des moyens matériels, humains et financiers étaient, notamment les locaux, moyens de déplacement et frais de mission. Les rapports de contrôle et d’inspection produits étaient confidentiels et ne faisaient par l’objet de publication, l’impunité consacrée par le Code des Marchés Publics qui, pour les cas d’infractions, renvoyait au règlement financier. Cependant, aucune sanction n’était prévue dans ce règlement et dans le Code Pénal.
Ces différents facteurs ont contribué à démotiver les agents de contrôle. La section des Comptes de la Cour Suprême était caractérisée par la faiblesse des moyens matériels, humains et financiers, mis à sa disposition. Les Commissions parlementaires, de leur côté, n’étaient pas bien outillées en personnel et en moyens pour bien exercer leurs missions. Aussi, tirant les leçons de l’exercice des services de contrôle de l’Administration et des premières tentatives de lutte contrôle la corruption et la délinquance financière, d’une part, de la quasi inexistence de l’Etat au cours des cinq premières années de la 3ème République, d’autre part, le Président de la République a, dans le cadre de la stratégie de cette lutte créé sous son autorité la Commission ad hoc chargée de l’Etude des rapports de contrôle de l’Administration qui sera remplacée par la Cellule d’Appui aux Structures de Contrôle de l’Administration (CASCA). Le président a invité le Gouvernement à engager la réforme des services de contrôle de l’Administration et à procéder à la relecture du Code Pénal, du Code de Procédure Pénale ainsi que du Code des Marchés Publics. Tout en initiant l’exécution d’une mission de la Banque mondiale pour appuyer le Programme Anti- corruption au Mali.
En outre, les acteurs impliqués dans la lutte (Magistrats, Officiers de Police Judiciaire,
Contrôleurs, Inspecteurs) ont bénéficié de formation intense tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Mali.
La Commission ad hoc Chargée de l’Etude des Rapports de Contrôle de l’Administration
L’idée de la création de la Commission ad hoc chargée de l’étude des rapports de
contrôle de l’Administration a été lancée le 07 octobre 1999 à l’occasion de l’installation officielle du Président et des Membres de la Cour Suprême. En cette circonstance, stigmatisant la corruption, le Président de la République déclarait:
«.. .La culture de la démocratie s’accommode mal de la culture de l’impunité. Toutes nos institutions quelles qu’elles soient, en raison de l’importance de l’enjeu, doivent se doter de moyens adéquats et d’outils performants pour juguler le phénomène de la corruption et toutes ses manifestations. Les actions engagées ces derniers jours seront poursuivies. Nous changerons autant de fois que cela sera nécessaire le personnel en qui nous placerons notre confiance. Certaines aboutiront probablement devant la justice; toutes les passations de service feront l’objet d’un suivi particulier par une commission régulière, installée à cet effet au niveau de nos services. Cette commission réexaminera en trois mois à compter du 15 octobre prochain tous les rapports du Contrôle Général d’Etat depuis 1992, vérifiera auprès de tous les départements l’exécution des recommandations et engagera les poursuites nécessaires. Nous publierons avant la fin de cette semaine, la liste complète de tous les rapports établis par le contrôle Général d’Etat depuis 1992 et rendrons public, après un compte rendu, de chacun des rapports». Créée par décret no99-0324/P-RM du 08 octobre 1999, sous t’autorité du Président de la République, la Commission ad hoc chargée de l’Etude des Rapports de Contrôle de l’Administration était un organe consultatif. Elle a eu pour mission d’assister le Président de la République dans l’étude et la suite à réserver aux rapports de contrôle produits par le Contrôle Général d’Etat et les Inspections des Départements Ministériels.
Elle se composait d’un président assisté d’une équipe pluridisciplinaire de sept (07) membres. Au cours de la période d’octobre 1999 à juin 2000, elle a étudié 700 rapports sur lesquels 80 ont été transmis aux autorités judiciaires et a émis 04 sortes d’avis:
– l’exécution d’investigations complémentaires par l’organe de contrôle ou le département de tutelle, lorsque le rapport étudié présente des insuffisances sur certains points essentiels sans l’éclaircissement desquels la commission ne pouvait émettre d’avis;
– le redressement d’irrégularités sous peine de poursuites judiciaires et/ou de sanctions administratives, chaque fois que des fonds publics ont servi, au sein du même service, à couvrir provisoirement des dépenses autres que celles auxquelles ils étaient destinés, sous réserve de régularisation;
-Le redressement purement administratif, lorsqu’il ne ressort du rapport de contrôle que des irrégularités d’ordre législatif ou réglementaire qui n’ont sous-tendu aucune anomalie relevée dans la gestion des ressources financières et qui ne proviennent pas non plus de fautes commises par les responsables des structures contrôlées;
– la transmission du rapport aux autorités judiciaires, lorsqu’il ressort du rapport des faits relatifs, généralement, à la gestion des ressources financières et appelant des enquêtes et éventuellement des poursuites relevant EXCLUSIVEMENT de la compétence de l’autorité judiciaire.
La cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration.
L’une des conséquences de la réforme du cadre institutionnel a été la pérennisation, au niveau de la Présidence de la République, de la Commission ad hoc chargée de l’Etude des rapports de contrôle de l’Administration qui s’est traduite par la création de la Cellule d’Appui aux Structures de Contrôle de l’Administration (CASCA) suivant décret n° 590/PRM du 28/11/2000 modifié par le décret n°OI-224/P-RM du 28 mai 2001. De sa création à décembre 2001, la cellule d’appui a étudié 59 rapports (06 rapports de l’Inspection des Finances et 53 rapports du Contrôle Général d’Etat/Contrôle Général des Services Publics) dont neuf ont été transmis aux autorités judiciaires. Comme la Commission ad hoc, la cellule d’Appui a émis 04 sortes d’avis.
– l’exécution d’investigations complémentaires par l’organe de contrôle ou le département de tutelle;
– le redressement d’irrégularités sous peine de poursuites judiciaires et/ou de sanctions administratives;
– le redressement purement administratif;
– la transmission du rapport aux autorités judiciaires compétentes.
Les synthèses des rapports examinés par la Commission Ad’hoc chargée de l’Etude des rapports de contrôle de l’Administration et la Cellule d’Appui aux Structures de Contrôle de l’Administration ont fait l’objet de publication, sous des formes non nominatives. Et cela dans des «Bulletins d’Information», 4 pour la commission ad hoc respectivement en novembre 1999, décembre 1999, janvier 2000 et juin 2000 et 1 pour la CSCA en décembre 2001). Ce qui a permis de briser le mur de silence qui entourait les résultats des missions de vérification et a également contribué à rehausser le crédit de l’Etat auprès des populations qui sont de plus en plus convaincues que les hautes autorités sont décidées à combattre la mauvaise gestion des ressources publiques.
La reforme des organes de contrôle de l’administration
Il est à rappeler que jusqu’en 1999, les organes de contrôle de l’Administration étaient constitués du Contrôle Général d’Etat, rattaché au Président de la République et d’Inspections ministérielles (Santé et Action Sociale – Intérieur – Années et services- Finances – Services Diplomatiques et Consulaires – Services judiciaires), dont les caractéristiques ont été évoquées dans «l’état des lieux». Tirant les leçons de l’expérience de ces structures, le Gouvernement a été invité à engager la réforme des organes de contrôle de l’Administration. Cette reforme a abouti en 2000 à une consolidation et une amélioration du cadre institutionnel par une profonde refondation de ces organes notamment avec la création du Contrôle Général des Services Publics, en lieu et place du Contrôle Général d’Etat et son rattachement à la Primature. Il y a eu également la création de nouvelles inspections de départements ministériels dans les Affaires Sociales, Sécurité et Protection Civile. Dans les Domaines de l’Etat et Affaires Foncières on notait la transmission des rapports des inspections par les Ministres de tutelle au Premier Ministre et au Président de la République.
Pour une plus grande responsabilisation, les différents organes de contrôle de l’Administration sont tenus, entre autres, à l’issue de chaque mission, de communiquer une copie du rapport aux agents et aux responsables des structures contrôlées qui seront invités à présenter, par écrit, leurs réponses aux observations.
Et pour un plus grand professionnalisme, il y a eu une amélioration des conditions de travail, notamment une forte revalorisation des indemnités et primes accordées aux agents de contrôle.
La relecture du code pénal et du code de procédure pénale
L’examen des rapports de contrôle produits de 1992 à 2001 a révélé, entre autres faits, que l’étendue, la complexité et la diversité des affaires relatives à la corruption et à la délinquance financière, n’avaient pas été totalement cernées par le législateur.
Suite à la relecture du Code Pénal, plusieurs infractions nouvelles ont été prises en compte par la loi n°01-079du 20 août 2001 portant Code Pénal. Les dispositions suivantes prévoient et répriment certains comportements caractérisant des faits de corruption et de délinquance financière.
On peut citer entre autres, les articles: 86 à 97 : relatifs aux faux monnayages, à la contrefaçon, à la détention et à l’usage de fausse monnaie.
Les articles 98 à 101 : relatifs à la contre façon et à l’usage frauduleux de timbres et marques;
102-105 : relatifs aux faux en écriture et à l’usage de faux;
106 à 107 : relatifs aux atteintes aux biens publics;
108 : relatif à la concussion;
110 à 111 : relatifs à la prise illégale d’intérêt;
112 à 119 : relatifs au délit de favoritisme;
120 à 123 : relatifs à la corruption des fonctionnaires et autres agents;
298 à 299 : relatifs au blanchiment d’argent;
301 à 302 : relatifs au délit d’initié.
Par ailleurs, la loi n°01-080du 20 août 2001 portant Code de procédure pénale, dans ses articles 609 à 612, donne compétence à trois juridictions pour connaître des affaires de corruption et de délinquance financière.
Il s’agit du Tribunal de 1ère instance de Kayes, du Tribunal de 1ère instance de la Commune III du District de Bamako et du Tribunal de 1ère instance de Mopti.
Il est institué auprès de chacune de ces juridictions un Parquet spécialisé dirigé par le Procureur de la République du Tribunal, qui a sous son autorité : un corps de magistrats du parquet spécialisés dans la poursuite des infractions économiques et financières ; une brigade économique et financière composée d’Officiers de police judiciaire et d’agents des services économiques et financiers mis à la disposition du Ministre de la Justice par leur département de tutelle. Il y a eu aussi des cabinets d’instruction spécialisés dans l’information de faits commis dans les mêmes matières.
La compétence territoriale de ces juridictions, dans la poursuite et l’instruction des infractions économiques et financières, couvre l’ensemble du ressort de la Cour d’Appel de leur siège. Cette nouvelle organisation de ces juridictions ne leur confère aucun caractère «exceptionnel». Elle met l’accent, au plan de la formation, sur la spécialisation des magistrats en charge de ces affaires dont la nature est complexe. L’instruction et le jugement obéissent aux règles du Droit Commun.
Exécution d’une mission de la Banque Mondiale visant à renforcer le programme anti- corruption au mali.
La mission a été exécutée à la demande de Monsieur le Président de la République, suite à un échange de lettres entre le chef de l’Etat et le Président du Groupe de la Banque mondiale James D. WQOLFENSOHN. Echange qui a suivi la visite au Mali en 1997 de Monsieur Robert MC NAMARA, ancien Président de la Banque mondiale et co- Président honoraire de la Coalition Mondiale pour l’Afrique. Le mandat et la composition de la commission ont été établis en décembre 1998. Le rapport de mission produit a été rendu public le 4 avril 2002.
Les résultats et les enseignements de la lutte contre la corruption et la délinquance financière
La transmission de près de 90 rapports aux autorités judiciaires compétentes. Toutes ces affaires font aujourd’hui l’objet d’enquêtes préliminaires ou d’instruction.
Une somme de 335.540.000 FCFA est déposée au greffe du Tribunal de la Commune III du District de Bamako, à titre de cautionnement, dans le cadre des mises en liberté provisoire, pour 304.206.000FCFA ou de remboursement des sommes détournées ou dissipées pour 31.334.000 FCFA.
L’extériorisation, à travers la mise en place de la Commission ad hoc chargée de l’Etude des Rapports de contrôle de l’Administration remplacée par la cellule d’Appui aux Structures de contrôle de l’Administration, de la volonté du Président de la République d’asseoir une gestion rigoureuse des finances publiques. En effet, il se dégage de l’analyse des rapports produits par les organes de contrôle de l’Administration au cours de la période 1992-1999, des irrégularités dans la gestion des ressources financières de l’ordre de 6,5 milliards FCFA par an. Le bris, à travers la publication des synthèses des rapports de contrôle dans des «bulletins d’information », du mur de silence qui entourait les résultats des missions de vérification, la mobilisation des agents de contrôle.
On note aussi la prise de conscience du fait que le phénomène de la corruption peut être combattu, vaincu, assujetti et surtout que les coupables, qui qu’ils soient et de quelque bord qu’ils viennent, peuvent être punis. Les gens ont été convaincu qu’au delà des procédures et des sanctions judiciaires, les actes posés conduisent, lentement certes, mais sûrement, d’une part, à la fondation d’un nouvel agent de l’Etat, d’un nouveau citoyen doté d’une nouvelle mentalité, d’un sens élevé du bien public et faisant preuve d’une rigueur à toute épreuve dans la gestion des ressources publiques et, d’autres part, à la relance de l’économie nationale. A titre d’illustration, les mandats des administrateurs sont renouvelés, les sessions des conseils d’administration des Etablissements Publics sont tenues régulièrement, les avis d’appel d’offres font l’objet de publication.
CONCLUSION
La lutte contre la corruption et la délinquance financière est une lutte de longue haleine. Les résultats décrits ci-dessus devraient être consolidés et, au Mali, la lutte pourrait reposer sur entre autres les actions suivantes:
– le renforcement, en moyens matériels, humains et financiers, des services de contrôle de l’administration;
– la formation, l’information et l’éducation du public sur le rôle de la société civile dans cette lutte (exemple: ateliers de restitution, enquête de perception de la corruption en vue d’intégrer les observations du public dans la politique du Gouvernement), dans la perspective de la création d’une coalition de la société civile;
– le renforcement des moyens de lutte contre la corruption et de l’institution judiciaire (services d’enquêtes, cours et tribunaux), le soutien des médias et l’élaboration des codes éthiques (les agents doivent, en plus des qualités générales du fonctionnaire, répondre à des exigences particulières: compétence, dignité, impartialité, diligence, dévouement, loyauté) ;
– une rémunération améliorée:
– la réforme de l’Administration par :
l’amélioration des méthodes de travail et des procédures pour réduire les délais,
l’augmentation de l’efficacité du contrôle hiérarchique pour permettre aux responsables de vérifier et contrôler le travail de leurs subordonnés,
la mise en place d’un système d’évaluation surprise sur les lieux due travail.
Dieudonné Tembely
tembely@journalinfosept.com
Source : Commission politique de l’ADEMA-PASJ