A la suite de la crise malienne, la question de la bande saharo-sahélienne est revenue sur le devant de la scène africaine. Africa4 remonte le fil chronologique de l'histoire des populations nomades de la zone.
La carte des populations Touaregs en 1962 #4
Alors que la guerre d’Algérie s’achève, et que s’ouvre la période de liquidation du régime colonial entre le cessez-le feu du 19 mars 1962 et l’indépendance du 5 juillet 1962… la question Touareg au cœur du Sahara reste plus que jamais présente à l’esprit de Foccart.
Car, depuis l’échec de l’OCRS (Organisation commune des régions sahariennes), créée en 1957 pour « isoler » la question du Sahara de la guerre d’Algérie, la France a cherché à construire une politique saharienne sans jamais parvenir à lui faire prendre corps. Après les constructions institutionnelles éphémères (OCRS), restent la question directe des populations Touaregs, à l’heure de la création de la nouvelle puissance régionale qu’est l’Algérie. Car dès les négociations secrètes préliminaires de 1961, le FLN a obtenu que la question du Sahara ne soit pas dissociée de celle de l’indépendance de l’Algérie – contrairement à ce qu’espérait initialement la France.
De sorte qu’au printemps 1962, la question des Touaregs d’Algérie est bien présente à l’esprit de Foccart. Quel enjeu représentent-ils, aux portes d’Etats africains du « pré carré » devenus indépendants depuis deux ans ? …dans un contexte toutefois plus délicat qu’il n’y paraît : si le Niger a été maintenu dans le giron d’Houphouët-Boigny grâce à Hamani Diori, le Mali de Modibo Keïta, après l’expérience avortée de la Fédération du Mali, cherche à se démarquer dans le concert des partenaires africains de la France.
Dans ce contexte, Foccart mandate une enquête. Elle aboutit entre les mains de l’un de ses plus fidèles collaborateurs : Jacques Mouradian (1910-1992). Sous le pseudonyme d’Alphonse Gouilly ou Oulof-Amréniens, il est l’auteur d’ouvrages sur l’islam en Afrique occidentale dans les années 1950. Spécialiste du monde afro-musulman et de l’espace saharo-sahélien,il en est un des meilleurs connaisseurs au sein de l’administration française. Une note est rendue à Foccart le 11 avril 1962, assortie – c’est la pièce principale – d’une carte des populations Touaregs à travers les frontières sahariennes (voir infra.).
De manière générale, comme beaucoup d’administrateurs, militaires ou intellectuels français, cette note du 11 avril 1962 participe d’un certain regard sur les populations Touaregs qui a tendance à détacher ces populations nomades des pouvoirs étatiques nés des indépendances aussi bien au Nord (Algérie) qu’au Sud (Mali, Niger). « Rebelle par essence, en dépit de ses origines berbères à toute domination de ce groupe et plus encore à celle des Arabes du Nord. Elle est également rebelle à toute domination des Noirs du Sud, parmi lesquels les Touaregs recrutaient jadis leurs esclaves. » Mais un effort de réalisme anime Mouradian.
Premier constant : « Le problème Touareg ne vaut pas d’être surestimé tel qu’il se présente dans le contexte ethnique, géographique et politique du Sahara algérien. » Mouradian estime à 20 % seulement des populations Touaregs celles intéressées par l’indépendance algérienne, soit environ 13 000 futurs citoyens algériens contre 300 000 citoyens Nigériens et 180 000 citoyens Maliens au sein des populations Touaregs.
Deuxième constat : c’est vers le Sud (Mali, Niger), pour des raisons économiques et pastorales, que s’oriente principalement la gestion des populations Touaregs. « En tout état de cause, il n’y a pas lieu d’escompter la moindre résistance active des Touaregs du Hoggar à l’emprise algérienne, pas plus que les 180 000 Touaregs du Mali ne se sont réellement opposés à celle des administrateurs et fonctionnaires noirs du Gouvernement de Bamako. Ce problème paraît donc devoir se régler de lui-même par les voies d’un glissement progressif et discret des Kel Hoggar vers le Sud, où se trouvent déjà les 8/10e de ce cheptel qui constitue leur seule richesse. Seul vaut d’être différencié le cas des Ajjars (5 000 au Sahara algérien) dont le centre de gravité se trouve en Libye […]. », poursuit-il.
Loin de considérer que la question Touareg réside dans l’indépendance algérienne, sont pointés deux enjeux à court terme : les relations avec les pouvoirs maliens et nigériens et les connexions avec la Libye. Il convient de rappeler qu’à cette date, le colonel Kadhafi ne s’est pas encore emparé du pouvoir pas plus que le FLN n’a mis en œuvre sa stratégie au Sahara. Reste que c’est bel et bien au Mali qu’un an plus tard, en 1963, éclatera la première rébellion Touareg post-indépendance…