Le terroriste algérien Mokhtar Belmokhtar, charismatique chef d’Al Qaïda au Maghreb islamique, qui résiste à toutes les opérations armées menées dans le Sahara
« Il n’a qu’un œil, mais il voit tout. » C’est ainsi que les transporteurs, ces camionneurs qui sillonnent sans relâche le plus grand désert du monde pour livrer des marchandises, parlent de Mokhtar Belmokhtar, l’insaisissable chef du groupe terroriste le plus structuré de la région Afrique du Nord-Sahara-Sahel, Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).
L’héritier de Ben Laden
En dehors de sa légende, ce sont en réalité surtout ses jambes qui le sauvent. Ses déplacements clandestins et très prudents couvrent un territoire de 15 millions de kilomètres carrés, soit une fois et demi celle de l’Europe, déambulant sous les drones des services secrets planétaires à travers des réseaux étroits et des alliances tribales entre l’Algérie au Nord et le Burkina Faso au Sud, la Mauritanie et le Soudan à l’Est, en passant par le Niger, le Tchad et la Libye. C’est dans ce dernier pays sans aucune autorité centrale depuis la chute de Kaddhafi en 2011 qu’il aurait été touché par un bombardement américain à Adjabiya, à la mi-juin. « C’est très probable mais ce n’est pas certain », avait annoncé Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense français au sujet de la mort du chef jihadiste. Information démentie le lendemain 6000 kilomètres plus à l’Ouest, à Nouakchott, par Al Akhbar, site d’information mauritanien aux réseaux intrigants qui donne régulièrement des nouvelles d’AQMI, revendications d’attentats et nouvelles du front.
Mais que faisait Belmokhtar à l’est de la Libye, soit à 2500 kilomètres de ses bases ? Il est allé resserrer les rangs devant l’avancée de l’Etat Islamique (Daech), qui recrute sur les restes des anciens groupes terroristes comme Al Qaïda. Resté fidèle à la centrale de Ben Laden depuis le ralliement de son groupe (le GSPC, groupe salafiste pour la prédication et le combat) en 2006, Belmokhtar a toujours été hostile à la présence de l’Etat islamique au Sahel et au Maghreb. C’est après avoir dénoncé publiquement le ralliement d’autres factions de sa région, celle d’ Al Mourabitoune et du MUJAO à Abou Bakr Al Baghdadi, calife autoproclamé de Daesh, qu’il tente de ressouder un front commun, notamment avec son ancien ennemi, le chef de son ancien groupe, le GSPC, l’Algérien Abdelmalek Droukdel. C’est cette réunion entre factions opposées à Daesh qu’a visé l’armée américaine début juin en Libye.
Daesh vs Al Qaïda, la guerre dans la guerre
Comme un cancer métastatique, les groupes terroristes ont cette faculté de se scinder rapidement en sous-groupes qui vont supplanter la tumeur primaire et la maison mère. C’est le cas d’ailleurs d’Al Qaïda, « la base », créée en 1987 sur une scission du “Maktab Al Khadamat”, Bureau des Services, dirigé par Ben Laden et fondé pour lutter contre les Soviétiques en Afghanistan avec le soutien des USA. Tout comme c’est d’une scission d’Al Qaïda en Syrie que va émerger le Front Al Nosra, soutenu par la France, et d’Al Nosra que va émerger Daesh, Etat Islamique au Moyen-Orient.
C’est le cas aussi d’AQMI, groupe de Belmokhtar dans les territoires sahélo-sahariens, issu de la restructuration du GSPC algérien (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) après son allégeance à Al Qaïda, le GSPC étant lui-même une dissidence du GIA algérien (Groupe Islamique Armé), responsable de massacres de civils dans les années 90, que Belmokhtar n’a pas apprécié. AQMI elle-même se scinde pour former le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) en 2011, son chef, le Mauritanien Hamada Ould Mohamed Kheirou, reprochant à AQMI de compter trop d’Algériens, et commet d’ailleurs son premier attentat sous la bannière du MUJAO en Algérie, à Tamanrasset.
Tout remonte après le 11 septembre 2001 et les attentats à New-York attribués à Al Qaïda. La centrale devient alors toute puissante et adoube sans les créer directement des filiales franchisées un peu partout. AQMI bien sûr, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, mais aussi Al Qaida en Irak, Al Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), Al Qaida au Yémen, voire Al Qaida au Luxembourg ou en Seine Saint-Denis. Une multinationale qui sera pourtant vite dépassée par Al Nosra en Syrie, elle-même dépassée par l’EI, l’Etat Islamique, alias Daesh. Ironie de l’histoire dans ces processus de recomposition permanents des groupes radicaux, AQMI apparait aujourd’hui comme une bande de gentils, ne s’attaquant qu’aux forces armées, locales ou occidentales, contrairement aux armées de Daesh, qui s’en prennent aux civils, aux chiens et aux statues.
Le voile pour les hommes
Mais qui est Mokhtar Belmokhtar ? Un quadragénaire que tous les services secrets du monde traquent, même si à Interpol seuls l’Algérie et le Canada ont lancé un avis de recherche spécifique. Sa tête mise à prix à 23 millions de dollars par les Etats-Unis. “Laâwer”, le borgne, Mokhtar, « l’Elu » en Arabe, mais aussi Khaled Abou Al Abbas de son nom de guerre, a autant de surnoms que d’opérations à son actif, les plus célèbres étant les enlèvements d’étrangers et l’attaque de Tiguentourine, site gazier algérien, en 2013.
C’est à Ghardaïa, dans le Sud algérien, ville classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, que nait Belmokhtar en 1972, benjamin d’une fratrie de 8 enfants dont tous ont eu le baccalauréat sauf lui, sujet par ailleurs d’un portrait assez complet de Lemine Ould M. Salem, journaliste et auteur de l’ouvrage “Le Ben Laden du Sahara”, paru en 2014. Fait particulier, “le Djinn” (le démon) est ainsi surnommé pour avoir survécu une dizaine de fois dans des opérations menées par les armées de la région, donné régulièrement pour mort un peu partout. Même le pourtant très averti président tchadien Idriss Déby s’est fait avoir en avril 2013, annonçant l’émir du désert abattu dans des combats au Nord Mali. Deux mois plus tard, Belmokhtar réapparaissait pour mener une nouvelle attaque… au Niger. Changeant, à l’image du désert où il évolue et des nombreux pseudonymes qu’il possède, Belmokhtar déroule sa stratégie, créant d’autres groupes comme des start-up pour se faire racheter en bourse, il aurait ainsi monté en parallèle de l’AQMI d’autres entreprises, Al Baqoune Ala Dem, les Signataires par le Sang, en 2012, et un autre, Al Moulathamoun, littéralement « les voilés. »
Car dans cette nébuleuse sableuse où tout se transmute rapidement, l’entrée de Daesh dans l’espace sahélo-saharien pourrait changer toute la donne. A ce titre, puisque il n’y a pas de morale en (géo)politique, il conviendrait de s’appuyer sur AQMI pour contrer Daesh en Libye, porte d’entrée vers l’Afrique du Nord, Centrale et de l’Ouest. Scandaleux ? Pas plus que les Américains qui se sont appuyés sur Al Qaïda pour battre les Soviétiques ou les Français qui ont soutenu Al Nosra pour abattre Bachar Al Assad. C’est la question : pourquoi bombarder Belmokhtar et les groupes hostiles à Daesh au lieu de laisser les deux mouvements s’entretuer ?