Sollicitées par toutes les catégories sociales, ces femmes triment pour gagner de quoi vivre dignement
L’autonomisation des femmes revêt des nuances infinies. Le sage n’enseigne-t-il pas « qu’il n’y a pas de sot métier ? ». Aujourd’hui les milliers de Bamakoises démunies s’adonnent à toutes sortes d’activités génératrices de revenus. Certaines fabriquent du savon, transforment les fruits, le fonio, le riz. D’autres lavent le linge sale d’innombrables familles à la main. Les jeunes saisonnières ont rapidement perçu l’intérêt de se faire de l’argent en faisant le linge des autres. Actuellement ces lavandières traditionnelles ne manquent d’occupation, car les amateurs pour ce métier ne sont pas très nombreux. Elles lavent soit sur les berges du fleuve Djoliba, soit à la maison. Les clients paient le service rendu en fin de journée quand « ces mains utiles » viennent rendre les habits propres. Par ailleurs plusieurs épouses négocient un contrat hebdomadaire dont les montants cumulés sont parfois acquittés à la fin du mois.
A Badalabougou, sur la rive droite du fleuve Niger, les chansonnettes des lavandières, qui s’échinent sur les baignoires, bercent l’ouïe des promeneurs. Elles se donnent du cœur à la tâche. Quelques unes penchées sur leurs bassines portent au dos leur bébé dont, de temps à temps, les pleurs fusent dans la chaleur étouffante qui submerge la capitale. Les infatigables laveuses chantent plus fort afin de couvrir les plaintes de leurs enfants.
La saisonnière Aminata Traoré, la vingtaine vient de la région de Koulikoro. Concentrée sur son travail, elle fredonne une chanson de Salif Keïta dédiée aux femmes. Elle est lavandière depuis cinq ans. Chaque matin de bonne heure, Aminata collecte le linge sale dans les maisons de son quartier.
EN GROUPE. Ensuite elle rejoint ses congénères sur les berges du fleuve. Elle a accepté, un vendredi aux environs de 11 heures, de consacrer un peu de son temps à répondre à nos questions. « Je suis de Koulikoro. Mais depuis quelques années, je passe une bonne partie de la saison sèche à Bamako pour pratiquer ce métier. J’en tire des revenus substantiels », a-t-elle expliqué. Le service de cette dame est sollicité par toutes les catégories sociales et professionnelles de la capitale : les épouses, les maris, les femmes célibataires et même les jeunes filles fainéantes ; tous font appel aux lavandières. Aminata lave le complet pour adulte (chemise et pantalon) à 75 Fcfa et pour enfant à 50 Fcfa. Elle passe une ou deux fois par semaine au domicile de certains clients pour laver le linge sale sur place. Le contrat mensuel peut lui rapporter entre 10000 et 15000 Fcfa ou plus, selon la quantité de linge à laver. Au départ, la native de Koulikoro est devenue lavandière par nécessité. Les difficultés de survivre à Bamako et la pauvreté l’ont obligée à tenter sa chance dans ce créneau. C’est très fatigant de consacrer sa matinée à la lessive et Aminata reconnaît qu’elle a du pain sur la planche. Mais elle tire son épingle du jeu, mange à sa faim et économise assez d’argent pour faire le bonheur de ses parents à son retour auprès d’eux, à l’approche de la saison des pluies.
Ce jour nous assistons à l’arrivée de Djeneba au bord du fleuve Niger. Elle vient grossir le lot de ses consœurs lavandières. Elle dépose à ses pieds la baignoire pleine de linge sale qu’elle portait sur la tête. Elle détache son enfant et le fait asseoir à l’ombre d’une pirogue amarrée sur la berge. Le travail commence après avoir trié le linge. Elle utilise une planche à lessive. Le bruit du frottement des habits et des draps mouillés contre les dents de l’instrument se mêle aux refrains de la chanson qui soutient et adoucit l’effort physique. Djénèba n’a que quelques mois d’expérience. «Je n’arrivais plus à me faire engager comme aide ménagère, parce que je suis fille-mère. Une tante m’a suggéré de devenir lavandière», nous a
-t-elle confié.
L’ancienne aide ménagère pendant plusieurs années à Bamako n’était pas à l’aise dans les foyers d’accueil. Elle n’a jamais fait un mois dans une maison sans être renvoyée. Lasse de ces licenciements répétitifs, elle est aujourd’hui lavandière. Ce travail éreinte et dégrade les mains. La brave Djénéba confirme ces désagréments à travers ce témoignage poignant :« regarde mes mains. Touche-les. J’ai des plaies un peu partout sur les doigts. Constamment, j’ai des douleurs de dos. Chaque soir je me fais masser par quelqu’un». Malgré toutes ces difficultés, Djénèba se réjouit de ne pas vivre au crochet de quelqu’un. Elle arrive à prendre en charge ses dépenses et celles de son bébé de deux ans. Le père de son enfant a fui ses responsabilités.
L’union fait la force. A Badalabougou, dans une concession située à quelques enjambées du fleuve Niger, un groupe de lavandières vivent en location. Ces originaires de Nara ont débuté dans la capitale comme saisonnières dans les familles. Chacune d’elle garde le mauvais souvenir d’une patronne de maison insupportable. Au cours de rencontres nocturnes de ces ressortissantes du même village, l’idée a germé de se regrouper dans un appartement loué et de devenir lavandières. Qu’il pleuve ou qu’il vente, elles font du porte-à-porte à la recherche de linge sale à laver. « Les prix varient selon la taille et si les habits seront empesés ou pas», a souligné Assan Sinenta. Elle a expliqué que l’ensemble trois pièces des hommes lavé et amidonné coûtera 200 Fcfa. Les autres deux pièces sont lavées à 150 Fcfa. Les lavandières prennent en charge l’amidon, le bleu, le savon. Les vêtements pour adulte à tremper dans l’amidon sont lavés à 100 Fcfa. Ce sera 50 Fcfa pour une tenue d’enfant. Le jean pour enfant est lavé à 25 Fcfa. L’adulte payera 50 Fcfa. Tandis que la serviette pour enfant est lavée à 50 Fcfa, celle de l’adulte coûte 100 Fcfa.
L’exception confirme la règle. La lavandière Oumou affirme que laver des habits contre de l’argent n’est pas souvent rentable. Et pourtant elle gagne entre 2500 et 3500 Fcfa par jour. L’argent ne fait pas le bonheur, soutient Oumou. Elle a expliqué que les lavandières sont souvent la cible de personnes malintentionnées qui hantent les berges du fleuve. Elle se plaint, par ailleurs, des mauvais clients. Ils s’arrangent toujours pour ne jamais régler entièrement le prix convenu pour la lessive. Oumou tire la sonnette d’alarme pour mettre en garde ses sœurs. « Nos clients ne sont pas tous de bons payeurs. Beaucoup ne paient qu’une partie du tarif convenu et promettent d’acquitter le reste après. D’autres refusent de payer ou nient nous devoir de l’argent », révèle-t-elle.
A ce souci, s’ajoutent les pertes d’habits. « Plusieurs vêtements sont égarés par confusion au moment du ramassage ou de la remise du linge aux propriétaires. La planche à laver endommage certains linges ou le courant d’eau les emporte à des moments d’inattention de la lavandière. Seuls quelques clients compréhensifs tolèrent ces pertes. Le gros du lot exige réparation. Nous sommes contraintes de rembourser le prix d’un habit neuf en compensation d’un vieux chiffon « , a-t-elle déploré.
Ainsi va la vie. Quand il faut gagner sa vie à la sueur de son front.
A. D. SISSOKO
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