Un accord de paix, appelé aussi accord d’Alger a été signé le 15 mai entre le Gouvernement du Mali et certains groupes rebelles du nord-Mali. Dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord de paix, certaines situations ne peuvent être gérées sans un aménagement législatif et constitutionnel. Ces contraintes juridiques et politiques ont conduit le Président de la République à envisager la révision de la constitution dans le but notamment « de prendre en compte les clauses de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ; de valoriser les acquis des précédentes tentatives de révision constitutionnelle ; de corriger les insuffisances de la constitution » (Conseil des Ministres du 18 mai 2016).
Par décret n°2016-0334/P-RM du 18 mai 2016, le Président de la République, dans cette perspective, a ainsi créé un comité d’experts pour la révision de la constitution.
Celui-ci est composé d’un Président, de deux rapporteurs et de dix experts permanents ; le comité pouvant aussi faire appel à des personnes ressources. Dans un délai déterminé, le comité d’experts devra présenter au Président de la République, dans un rapport officiel, des propositions de réformes qu’il pourrait exploiter à sa guise dans le cadre de son projet de révision de la constitution.
Sous le régime du Président Amadou Toumani TOURE un comité d’experts avait été également crée conduit par le professeur Daba DIAWARA, on peut même affirmer que la pratique de création de comité d’experts est courante en Afrique. Pour autant peut-on conclure à la régularité d’une telle méthodologie ?
Au moment où le comité d’experts s’apprête à démarrer ces travaux, nous avons cru devoir apporter notre modeste contribution à cette étape de la procédure. Cette première contribution s’articulera sur la question fondamentale de l’opportunité de la création de ce comité d’experts ; est –elle conforme à la doctrine ? Pour la circonstance quelques extraits doctrinaires permettent d’en douter.
Toute la doctrine convient que cette disposition de la constitution, relative à la révision, consacre bien la faculté pour le Président de la République d’initier des réformes constitutionnelles. Toutefois elle rejette aussi en bloc toute possibilité de délégation de cette compétence de révision de la constitution à un tiers ou à un organe. Le Professeur Pierre PACTET, entre autres, a ainsi noté qu’: « une autorité investie d’une compétence qui en délègue l’exercice en dehors des cas prévus par la constitution commet une irrégularité flagrante » (Institutions politiques et droit constitutionnel, Masson, Paris, 13e édition, 1994, P76).
La violation de procédure étant un détournement de pouvoir, les réformes envisagées apparaissent dès lors douteuses quant à leur sincérité et à leur capacité de consolider la démocratie et la paix sociale au Mali. Le Professeur Maurice DUVERGER n’a-t-il pas indiqué que : « dans un combat politique comme dans tous les combats complexes, chacun agit suivant un plan préconçu, plus ou moins élaboré, où il prévoit non seulement ses propres attaques, mais les ripostes de l’adversaire et les moyens d’y faire face » (Introduction à la politique, Gallimard, Paris, 1964, P241).
C’est plutôt le respect de la constitution qui aurait pu cultiver la cohésion sociale. Il revient en droit à l’Accord d’Alger de se conformer aux fondamentaux de la constitution ; Le contraire signifierait la capitulation de la majorité des citoyens devant l’infime minorité du fait de celle du Gouvernement en place.
Réviser la constitution, c’est adapter celle-ci aux réalités vivantes, mais « le bon sens et la sagesse politique exigent de ménager toujours une possibilité d’adaptation aux circonstances et aux besoins de la société » (Charles CADOUX, droit constitutionnel et institutions politiques, Cujas, Paris, 4e édition, 1995, P189).
Le Professeur Francis DELPEREE a également souligné que « réviser un ensemble de dispositions, c’est le modifier, l’aménager, le corriger. Mais l’opération révisionniste ne peut aller jusqu’à en altérer profondément le style, la structure ou l’esprit. Il n’empêche que le texte de base subsiste de toute façon pour une part. C’est par voie d’ajouts, abrogations partielles, de reformes de détails qu’il est retouché » (les données constitutionnelles, Maison LARCIERsa, Bruxelles ; tome1, 1987, P95).
Le professeur Pierre PACTET renchérit en rappelant que « la révision de la constitution ne doit pas être menée de telle sorte que le régime soit remis en cause » (Op-cit P75). Or, au regard de l’éventail des réformes en vue dans ce processus politique, on peut constater à aisance qu’il ne s’agit réellement pas de révision de la constitution : « si la révision de la constitution porte sur un très grand nombre de dispositions et a fortiori si elle est totale, on peut pratiquement en venir à l‘élaboration d’une nouvelle constitution et on a pu parler à son sujet de fraude à la constitution », a fait remarquer le Professeur Pierre PACTET (Op.cit., P76).
Il est important de rappeler que dans la logique constitutionnelle, la modification particulière de certaines dispositions de la constitution, comme le statut du chef de l’Etat ou la forme républicaine de l’Etat par exemples, pourrait provoquer à elles seules le changement du régime politique adopté. La constitution actuelle du Mali comporte 122 articles.
Le rapport du comité d’experts, mis en place en 2008 par le pouvoir précédent, avait rappelé que : « l’institution du seul Sénat commande la révision, entre autres, des articles 40, 41, 42, 43, et 50 en conséquence ».Cette insertion entrainerait toujours les mêmes modifications constitutionnelles cette fois aussi et qui viendraient encore s’ajouter à celles commandées par la prise en charge de l’Accord d’Alger. L’importance des révisions en vue sur la constitution de 1992 démontre bien le caractère constituant de l’opération de révision en cours.
La question est d’importance capitale. L’objectif de la présente analyse est de rappeler à chaque malien les défis posés par cette révision de la constitution en cours. Ce sont l’Unité nationale et le fonctionnement de l’Etat qui sont menacés. L’Etat de droit est un corollaire de la démocratie et il est le garant de la paix. A ce titre, il est à préserver et cela exige la vigilance de tous les citoyens.
A chaque fois qu’il est question de la constitution de 1992, c’est un devoir pour tous les maliens de penser aux martyrs du 26 mars 1991. S’il faut revisiter la constitution, il est important de s’assurer que cette opération soit faite dans le strict respect des principes et des règles en matière constitutionnelle. S’agissant de la forme, les critiques portent sur l’institution d’un comité d’experts pour la révision de la constitution.
La constitution est une loi spéciale. A cet effet « la loi spéciale voit son élaboration entourée de formes plus solennelles que celles requises pour l’adoption d’une loi ordinaire ». (F. Delperee, Op-CIT, p74. Le Président de la République n’a pas compétence d’élaborer une constitution encore moins à déléguer cette compétence à un tiers ou à un organe : « Les formules qui consistent à user de l’initiative de révision pour confier à des tiers ou à des organes non prévus par le texte initial le soin d’élaborer une nouvelle constitution, quitte à la faire ratifier ensuite par le peuple sont inconstitutionnelles » (P.PACTET, Op-cit, P76). Cette implication d’experts dans le domaine constitutionnel ne peut donner un caractère légal à la révision de la constitution, encore moins la légitimation à celle-là.
Le referendum qui s’en suit aussi, aux dires du Professeur Charles CADOUX, « n’a que l’apparence démocratique. Il sert simplement à faire ratifier par le peuple, un texte à l’élaboration duquel celui-ci n’a pris aucune part » (droit constitutionnel et institutions politiques, Cujas, Paris ; 4eédition, 1995, P187). Poursuivant, le Professeur CADOUX a avancé que « la meilleure formule pour élaborer une constitution, c’est-à-dire y apporter des modifications substantielles, est celle de l’Assemblée Constituante élue, suivie de referendum. » (Op.cit. ; P187). Sans doute lourde, longue et couteuse, cette procédure est incontestablement la plus proche de l’idéal démocratique (processus d’élaboration de la constitution Tunisienne).
Elle conviendrait mieux, du fait de son caractère démocratique, pour une sortie rapide de crises graves portant notamment sur des questions constitutionnelles. Elle implique directement les acteurs politiques et les parties au conflit dans la fixation des règles fondamentales du pays de façon durable. Quant au fond, la révision de la constitution envisagée vise bien des modifications portant sur la forme de l’Etat, l’organisation du pouvoir et des règles essentielles du jeu politique.
Aux termes de la constitution, ces différents points, constitutifs de la forme républicaine de l’Etat qui « ne peut faire l’objet d’aucune révision de la constitution » (article 121 de la constitution) ; on ne peut dès lors que s’acheminer vers l’élaboration d’une nouvelle constitution. L’Accord d’Alger dessine bien un Etat autonomique ou régional qui, selon le Professeur Bertrand PAUVERT est la formule qui « peut-être qualifiée d’intermédiaire entre l’Etat unitaire et la logique fédérative » (droit constitutionnel, studyrama, Levallois-Perret, 2009 P67).
Mais la question relative à la transformation de la forme de l’Etat ne peut-être traitée et résolue que par le seul peuple qui élit une Assemblée à cet effet. Ces représentants extraordinaires du peuple s’attèleront ensuite à rédiger un avant projet dans une constitution nouvelle qui pourrait-être soumise en définitive aux citoyens en référendum constituant. Cette procédure implique visiblement dès au début les citoyens dans la gestion des affaires publiques.
Et comme le souligne le Professeur Jacques CADART, le pouvoir du peuple est présenté couramment comme le premier des pouvoirs. Il affirme que « le pouvoir appartient tout entier au peuple et les pouvoirs constitués n’agissant qu’en son nom, n’en sont que l’expression » (institutions politiques et droit constitutionnel, Economica, Paris, 3eédition, 1990 P9011).
Le Président de la République ainsi que les députés ne sont que des pouvoirs institués, donc limités de droit dans leurs actions de tous les jours. Dans ces conditions, ils ne pourraient régulièrement réviser la constitution qu’en se référant à la procédure étalée dans la constitution en vigueur.
Le document issu d’une telle consultation est appelé en droit constitutionnel une charte octroyée qui draine inévitablement le pays dans des instabilités constitutionnelle et politique courantes.
Il est impérieux d’avoir à l’esprit que la constitution du 25 février 1992 est avant tout un symbole avant d’être une loi. Elle incarne les combats héroïques menés par le peuple malien contre la dictature. Elle mérite à ce titre tout le respect. La signature de l’Accord d’Alger n’a pas mis fin aux hostilités au nord-Mali.
Ce sont toujours nos braves forces militaires et les soldats de la paix des Nations Unis qui tombent sous les balles de nos ennemies. Faisons en sorte que notre constitution au moins ne tombe pas aussi. Son respect, et celui des procédures et règles qu’elle consacre, demeure l’unique voie de la sortie de crise.
Me Alfousseyni KANTE Huissier de Justice D.E.S.S en Droit Economique International Militant FARE Commune IV du District de Bamako