«La morale publique est le complément naturel de toutes les lois ; elle est, à elle seule, tout un code», Napoléon Bonaparte. L’estime de soi est une des choses la plus importante dans l’action publique. Plus que les lois, sinon autant qu’elles, elle permet à celui qui en a d’instaurer l’autorité de la fonction incarnée. Pour ce faire, lorsqu’une autorité est amenée à se prononcer sur une question, es qualité, ses propos doivent couvrir toute la dignité de ladite fonction.
Accusé de haute trahison, le 27 décembre 2013, par le pouvoir IBK, ATT a été innocenté le 26 février 2015 par un rapport de la Commission ad’hoc parlementaire chargée de l’examen de la mise en accusation de l’ancien président devant la Haute cour de justice. Le rapport de la Commission ad’ hoc parlementaire, rendu public le 26 février 2015, a conclu qu’il n’y a ni de preuves matérielles, ni d’autres éléments d’appréciation sur l’ancien président de la République pour ce qui est des accusations portées contre lui.
Mais le président de notre Assemblée nationale refuse systématiquement de soumettre à la discussion ce rapport en plénière. Plusieurs fois repoussé, l’examen du dossier prévu pour le 30 juin 2016 vient d’être reporté, pour une date indéterminée. La reprogrammation du dossier pour la prochaine session extraordinaire est, semble-t-il, attendue. Peut-on vraiment le croire ? En tout état de cause, dans le pays, les appels au retour d’ATT n’ont cessé de monter en puissance en 2015 pour atteindre leur point émergent au mois de mai 2016, date de la grande marche de l’opposition républicaine et démocratique. À cet égard, le 21 mai 2016, pourrait être qualifié à juste titre de journée d’action nationale pour ATT. Ce jour, l’opposition malienne a mobilisé plus de 50.000 personnes pour dénoncer globalement la mauvaise gouvernance du président IBK. Les marcheurs ont aussi fermement exigé du gouvernement, entre autres, le «retour du président ATT pour une vraie réconciliation nationale…».
De son côté, dans la même journée, la majorité présidentielle, sous le couvert d’un mouvement se disant «Rassemblement pour la Paix et la Réconciliation au Mali (An Ka Ben)», a organisé un Forum baptisé «Paix et réconciliation». Cette rencontre était censée être un grand meeting pour la «paix et la réconciliation», impliquant, semble-t-il, tous les partisans des différents régimes pour qu’ils se donnent la main. Là aussi, on a remarqué que, pour donner un semblant de crédibilité à leur rencontre, en fait une contre-marche dans une salle fermée, le nom d’ATT a été utilisé et le prétexte trouvé a été celui de la demande de son retour au Mali. On peut tout dire sur ce meeting, mais l’utilisation du nom d’ATT pour appâter certains Maliens, assez crédules, prouve que la question du retour au Mali du «Soldat de la démocratie» fait recette. C’est là, une première en Afrique, qu’un homme ayant perdu le pouvoir à la suite d’un putsch soit ainsi acclamé et son retour au pays réclamé par la grande majorité de ses compatriotes.
Dans cette démarche des populations maliennes, tout observateur peut aisément déceler le rejet de la gouvernance en cours, sinon la réparation d’une injustice faite à un homme qui a façonné de son emprunte l’histoire de notre pays durant ce quart de siècle. Sa popularité n’en est sortie que plus grande, lorsque le sentiment d’injustice à son égard se révèle être une évidence.
De la popularité au Mali, le président Modibo Keïta père de l’indépendance l’a payée de sa vie, il fut assassiné dans sa prison parce que sa libération était réclamée par les étudiants et élèves en grève. De la popularité, le président Amadou Toumani Touré est en train d’en payer le prix fort par son éloignement forcé de son pays, son éventuel retour étant vécu comme une réelle menace pour le pouvoir en place. Figurez-vous que des siècles plus tôt, le fondateur de l’empire du Mali, Soundiata Keïta, avant son retour triomphal, avait été exilé du Mandé, du fait de sa popularité auprès des populations de l’époque. De Soundiata Keïta à Amadou Toumani Touré, en passant par Modibo Keïta, le Grand, est un tort auprès de certains dirigeants de notre pays. À croire que certains de nos dirigeants ont un problème avec les hommes qui incarnent les aspirations des peuples. Dans un pays où le mensonge et la dissimilation n’ont jamais été autant célébrés, la parole donnée, la signature, la main sur le cœur, les références coraniques n’ont pour but que de gruger systématiquement.
Les Maliens sont aujourd’hui nombreux à s’excuser de ce qu’on leur a fait dire ou faire, y compris certains auteurs du putsch sur le compte du président ATT. Il y a là de quoi faire pâlir de jalousie n’importe quel dirigeant issu du même putsch. Il reste qu’ATT récolte les fruits de ses réalisations au pouvoir, et surtout paradoxalement, les dividendes de la mauvaise gouvernance et le manque de vision dans la gestion du pays. Non seulement les nombreux chantiers de développement initiés par le «Soldat de la démocratie» sont les seuls visibles dans le pays et les seuls à occuper le régime actuel, mais c’est également un fait que du lieu de son exil à Dakar, l’homme, dont le retour est réclamé, couvre de son ombre toutes les décisions majeures du pays depuis son départ du pouvoir, devenant ainsi l’absent le plus présent dans la gestion du Mali.
Rien dans tout cela ne constitue des raisons pour empêcher un citoyen malien, et surtout un ancien président de la République, de regagner son pays. Dans son comportement actuel sur ce dossier, le pouvoir IBK doit prendre au sérieux l’opinion de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, président du parti des Fare-An Ka Wuli, disant que la question du retour d’ATT ne relève pas du registre politique, encore moins de considération politicienne, mais qu’elle est une question institutionnelle, c’est-à-dire, du sort fait à un ancien président de la République.
Il a été déjà souligné dans cette même chronique que l’adversité politique n’autorise pas tout, notre pays ne peut continuer à s’humilier et à se dévaloriser aux yeux du reste du monde par la façon dont le gouvernement traite le président Amadou Toumani Touré. Des engagements ont été devant la Cédéao, ils doivent être honorés dans les meilleurs délais. En effet, cette organisation régionale s’était engagée à éloigner du Mali le président ATT pour faciliter la transition, après sa démission. Trois ans après la mise en place des institutions issues des élections de 2013, quel argument a-t-on de le maintenir en dehors de son pays ? Sa cote de popularité qui ne cesse de monter est, semble-t-il, vécue comme une menace dans le cercle du pouvoir IBK. Et quoi encore ? Il fallait interpréter la sortie du président IBK à Baguinéda comme un gage donné à la communauté internationale sur le retour d’ATT à la veille du Sommet de la Cédéao à Dakar.
Les Maliens aussi avaient cru voir dans cette déclaration la fin de l’acharnement contre ATT. Cette déclaration du président intervenant suite au mouvement social massif de revendication pour le retour de l’homme qui a donné naissance à notre démocratie depuis le 26 mars 1991. En effet, exprimant sa reconnaissance à l’ancien président de la République, le président IBK rassurait ses compatriotes et la communauté internationale en des termes sans équivoque : «Je n’ai pas fait partir ATT et ne le bloque pas à Dakar non plus. Un pays n’est grand que dans la grandeur ; la grandeur, c’est la mémoire de ce qui s’est passé, c’est la célébration de ceux qui ont mérité à tel ou tel moment de la Patrie malienne. Et là, le président ATT a mérité de la Patrie malienne, je lui en sais gré et j’ai tenu à le dire, je n’ai aucun problème avec ATT. On se reverra très bientôt» (Le Républicain du 31 mai 2016 et Le Soft du 02 au 07 juin 2016).
Fallait-il croire à une ruse ou à une duplicité derrière ces mots ?
En tout cas, cette déclaration donnait à penser que le dossier allait être examiné ce 30 juin, en plénière par l’Assemblée nationale et qu’ainsi, le dossier serait vidé parce qu’étant en vérité vide de contenu. Mais le report de l’examen du rapport de la Commission ad’hoc du Parlement, bloquant de nouveau le dossier, pose de graves questions sur la morale publique dans la gestion de notre pays. Napoléon Bonaparte disait que «la morale publique est le complément naturel de toutes les lois ; elle est, à elle seule, tout un code». En effet, les paroles ne servent à rien, si elles sont trahies par les actes de leur auteur. C’est dire que ce qui est en jeu, en ce moment, c’est l’autorité de la parole présidentielle. Il est temps de faire de manière que le pays se sorte du règne où le Mali dégage un parfum méphitique, physiquement et moralement ; un pays devenu comme une facétie. Il y a longtemps que le pouvoir IBK a fait de la question d’ATT un fonds de commerce soit en le présentant comme la source de tous les maux du Mali, soit en faisant croire que son maintien à Dakar est un gage de stabilité du pays. Dans les deux cas, il lui est devenu difficile de gérer ce fonds de commerce.
L’exutoire ATT n’a pas fait recette, dans la mesure où les Maliens de bonne foi vivent l’exil de l’ancien président comme une honte pour notre pays, parce que sa seule présence au Sénégal contre son gré est l’illustration de la faillite de la morale publique et celle de l’esprit démocratique des institutions dans notre pays.
Souleymane KONE