Le face-à-face aurait facilement pu trouver sa place dans les annales judiciaires du Mali : d’un côté du prétoire le général Amadou Haya Sanogo, ex-chef de la junte militaire de 2012, et de l’autre Daniel Tessougué, l’ancien emblématique procureur général de la cour d’appel de Bamako. Celui-là même qui, avec le juge d’instruction Yahaya Karembé, avait bravé les mises en garde et les consignes de prudence de sa hiérarchie pour obtenir l’arrestation le 27 novembre 2013 du puissant général Sanogo, tombeur en mars 2012 du président Amadou Toumani Touré (« ATT »).
On pensait alors que le plus difficile venait d’être surmonté avec l’inculpation formelle de l’ex-putschiste pour « meurtres et assassinats, complicité de meurtres et assassinats », suivie de son incarcération d’abord dans un camp de la gendarmerie nationale à Bamako, avant son transfert loin de la capitale malienne.
Aux frontières du judiciaire et du politique
Près de trente-trois mois après la chute de celui qui aimait se présenter comme « le sauveur du Mali », nul ne peut dire avec précision quand et où son procès pourrait se tenir. « Au plan procédural, le dossier est prêt à être jugé. Il ne manque qu’à le programmer », a assuré, sous couvert de l’anonymat, un haut magistrat malien. Le juge en charge du dossier, Yahaya Karembé, a accompli les principaux actes d’instruction avec l’audition des protagonistes, la confrontation entre les accusés, l’exhumation des corps des bérets rouges du charnier de Diago, à une vingtaine de kilomètres de Bamako.
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Dans une affaire judiciaire classique, il ne resterait plus qu’à clôturer l’information et à renvoyer les prévenus aux assises. Toutefois, dès le départ, il est apparu que l’affaire Sanogo se situait aux frontières du judiciaire et du politique. Comme l’atteste d’ailleurs la décision de l’exécutif de le détenir à Sélingué, à près de 120 kilomètres de Bamako, dans la sous-préfecture de Yanfolila, alors que le code de procédure pénale malien précise que l’inculpé doit être placé en détention par le juge dans le siège de la juridiction d’instruction. Il doit être à sa disposition et accessible à ses avocats.
L’agenda des magistrats en charge du dossier n’épouse pas forcément celui du président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »), qui n’est pas pressé de voir le général Sanogo face à ses juges. Il s’agit bien d’éviter de s’exposer à un procès politiquement risqué dans un contexte actuel marqué par la persistance de la crise du Nord et des tensions internes à la majorité présidentielle.
Le grand déballage
A Bamako, on craint en effet que l’ex-chef de la junte, réputé être une grande gueule, ne transforme le prétoire en tribune pour faire le grand déballage. Du fond de sa cellule, il avait déjà menacé à de nombreuses reprises de « tout balancer ». Que peut exactement révéler le général Sanogo ? On évoque surtout des contacts préélectoraux entre la junte militaire et des candidats à la présidentielle de juillet 2013. Devenu ministre de l’administration territoriale, le général Moussa Sinko Coulibaly, grand ordonnateur de la présidentielle, avait été directeur de cabinet du général Sanogo, président du Conseil national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE).
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De là à penser qu’il a joué les intermédiaires entre Sanogo et des présidentiables, il y a un petit pas allègrement franchi par certains milieux bamakois. Ils soulignent que l’ancien ministre de l’administration territoriale avait commis, peu après le premier tour, la maladresse de pronostiquer la victoire d’un « coup KO » du candidat IBK. L’actuel président avait finalement été élu au second tour face à son challenger Soumaïla Cissé, ancien président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et candidat de l’Union pour la République et la démocratie (URD).
Les rivalités internes à l’armée malienne
Le retard pris dans l’organisation du procès du général Sanogo arrange par ailleurs le pouvoir qui redoute qu’il rallume les rivalités internes à l’armée malienne. Les tensions entre les bérets rouges, proches de l’ancien président ATT, et les bérets verts, fer de lance du coup d’Etat qui l’a renversé, ont laissé des plaies que l’armée malienne continue de panser.
La cérémonie de réconciliation organisée sous la Transition n’a pas en effet totalement fait oublier dans les esprits l’attaque d’avril 2012 par les bérets rouges du camp militaire de Kati, quartier général de Sanogo, suivie quelques jours plus tard des représailles de ses partisans sur la caserne des commandos parachutistes dans le quartier de Djicoroni, à Bamako. C’est cet épisode sanglant qui vaut aujourd’hui au général Sanogo ses ennuis judiciaires et le prive de la jouissance de son statut d’ancien chef de l’Etat.
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Au total, dix-huit personnes parmi lesquelles l’ancien ministre de la défense, le général Yamoussa Camara, l’ancien chef d’état-major général des forces armées maliennes (FAM), le général Ibrahim Dahirou Dembélé, devraient un jour s’expliquer, notamment, sur l’exécution de vingt-et-un bérets rouges dont les corps ont été découverts dans un charnier à Diago, non loin de Kati.
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