Les évènements qui ont endeuillé la ville de Gao, mardi dernier, suscitent colère et indignation au sein de l’Opposition politique malienne. D’une seule voix, Soumaïla Cissé de l’Urd ; Tiébilé Dramé du Parena; Modibo Sidibé des Fare An Ka Wuli et Sadou Diallo du Pdes ont condamné fermement ces évènements tragiques qui auraient pu être évités si le président de la République avait écouté l’Opposition politique. Ensemble, ils ont (encore) appelé, samedi 16 juillet à la Maison de la presse, à la tenue des concertations nationales, seul cadre permettant l’appropriation du processus de paix par les populations.
Des jeunes de Gao ont organisé une marche pacifique le mardi 12 juillet 2016 pour manifester leur opposition à l’installation des autorités intérimaires et demander leur implication dans le processus de cantonnement des ex-combattants. Quoi de plus normal !, s’exclame l’opposition malienne. Sauf que cette protestation a vite tourné au drame. Bilan: 3 morts et 35 blessés, selon le maire de la ville de Gao, Sadou Diallo qui précise que 12 autres jeunes avaient été bastonnés dans la nuit du lundi à mardi. Depuis, les condamnations fusent de partout.
L’opposition politique, autant sidérée que la population de Gao, met le drame au compte du président de la République qui a qualifié les événements “de regrettables qu’on aurait pu éviter “. Réponse du berger à la bergère: «Oui Monsieur le Président de la République, si vous aviez écouté l’opposition on aurait pu éviter ce drame », clame le chef de file de l’opposition qui estime que notre pays doit à présent entamer une dynamique nouvelle, par un dialogue inter-malien visant à forger un consensus national autour de la restauration de la paix. Il sera le lieu, affirme-t-il, d’une appropriation nationale, d’une « Malianisation » du processus de paix et de réconciliation. Et il doit s’étendre à tous les acteurs Maliens de l’intérieur et de l’extérieur. «C’est pourquoi l’opposition réitère sa demande relative à la tenue de concertations nationales », a déclaré M. Cissé. Faut-il rappeler que les partis politiques de l’opposition, attachés à la cohésion nationale, ont lancé, sans succès, un appel pressant au Président de la République dès le début de son mandat pour qu’il réunisse toutes les forces vives de la nation dans le but de trouver une solution définitive à la crise du nord en général et à l’épineuse question de Kidal en particulier. Au lieu de faire sienne cette proposition, le gouvernement, à travers une immense machine de propagande mise en place à cet effet, a tenté d’accréditer dans l’opinion que cet accord restaurera/la paix et la stabilité dans tout le
pays. En réalité, selon Soumaïla Cissé, « si cet accord constituait un vrai et bon remède en l’état, les autorités maliennes allaient au moins fouler le sol de Kidal ne serait-ce que pour consacrer la symbolique de la présence de l’état malien sur l’ensemble du territoire national ».
Aujourd’hui, il est indispensable d’aller à cette conférence nationale, renchérit Tiébilé Dramé. « Ceux qui ont signé l’accord et qui demandent son application stricte doivent comprendre que les concertations nationales sont indispensables », a-t-il déclaré. Et d’ajouter que «quand les jeunes manifestent contre une clause de l’accord, cela donne à réfléchir ».
Le laxisme de l’Etat
Pour les partis de l’Opposition, la non pertinence de certains principes et engagements contenus dans l’accord et ses annexes, notamment ceux relatifs à l’instauration des autorités intérimaires dans les régions du Nord, a été évoquée avec inquiétude par la classe politique, la société civile et les élus du Nord. Mais, en guise de réponse, le gouvernement a préféré signer avec les groupes armés un document intitulé “Entente” qui précise les modalités pratiques pour la mise en place des autorités intérimaires. « Aucune consultation de la classe politique ni de la société civile n’a été menée en vue de les associer à l’élaboration du document de la dite “ENTENTE”, ni à sa tentative de mise en œuvre », déplore Soumaïla Cissé. Une triste réalité qui créé forcément un sentiment de frustration chez les populations.
Voilà qui explique, entre autres, le comportement des jeunes de Gao qui, après des années de résistances aux forces du mal, sont mis à l’écart du processus de paix. Pourtant, c’est cette jeunesse qui, en absence de l’Etat malien, protégeait la ville et les habitants de Gao pendant l’occupation, témoigne Sadou Diallo, maire de Gao. « Je les soutiendrais jusqu’à la fin de mes jours », a-t-il lancé. Pendant onze mois, se souvient le maire, «j’étais le gouverneur et le président de la république de Gao. J’ai fait beaucoup de choses avec cette jeunesse qui, au nom de la République et de la paix, a accepté d’être désarmée ».
« J’ai demandé à la population de donner les armes afin qu’on puisse les donner à l’Opération Serval. Au bout d’un mois et demi, on a pu récupérer plus de 3000 Kalachnikovs et 40 armes collectifs qui ont été tous remis Serval. Les opérations se sont déroulées sous l’œil vigilant de Didier Dacko, actuel chef d’état-major général des armées. Celui-ci peut témoigner cela », raconte Sadou Diallo. Le maire trouve incompréhensible que ces mêmes jeunes soient exclus du processus de cantonnement pour la simple raison qu’ils ne détiennent pas d’armes.
Revenant sur le bilan de la marche pacifique qui a viré au drame, Sadou explique qu’il n’y a jamais eu 4 morts à Gao. « 3 manifestants ont été tués : 2 dans les environs du marché Washington et 1 en face d’une station d’essence », a-t-il révélé. Et de poursuivre: « en ce qui concerne les blessés, il y a eu 35 blessés le jour de la marche. Mais avant (ndlr : dans la nuit du lundi à mardi), 12 jeunes avaient été arrêtés lors d’une réunion, avant d’être malmenés et bastonnés par les gendarmes. Parmi ces 12 personnes, 1 se trouve encore dans le coma. Donc, en tout, il y a 42 blessés ».
Autant Sadou Diallo regrette cette barbarie, autant il déplore le laxisme de l’Etat dans la mise en place des autorités intérimaires. Il clame que lui, en tant que maire, n’a rien compris dans ce processus. « On nous a rien expliqué. En tant que premier magistrat de cette ville, je ne sais pas ce qui va se passer. On dit qu’au lieu d’être maire, que je serai le président du conseil intérimaire ou je ne sais quoi … ». Quoi qu’il advienne, le maire se dit convaincu « qu’on ne peut pas faire la paix sans cette jeunesse de Gao ».
I B Dembélé