Le 14 juillet 2016, dans le Journal télévisé de 20h, le président Ibrahim Boubacar Kéita s’est adressé à la nation malienne suite aux manifestations des populations de Gao, particulièrement des jeunes. Un mouvement de protestation réprimé dans le sang le 12 juillet 2016 avec un bilan provisoire de 3 (selon le gouvernement) à 4 morts (sources indépendantes) et 35 blessés.
Dans cette adresse qualifiée de «laconique» par certains compatriotes, IBK a tenté de minimiser les manifestations de Gao en déclarant que «la mise en place des autorités intérimaires a été victime d’interprétations erronées» ! À son analyse, la révolte de la jeunesse de Gao est «une illustration manifeste d’une méconnaissance des aspects féconds du contenu de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. Ils nous commandent d’œuvrer encore davantage pour sa meilleure compréhension et son appropriation par l’ensemble des couches de notre peuple».
Il est vrai que la récupération politicienne a fait déborder la protestation de son contexte politique. Mais, force est aussi de reconnaître que si le président de la République est convaincu de ce qu’il dit, il est passé à côté d’une opportunité historique de faire taire la polémique sur les Autorités intermédiaires qui divisent tant. Ce message à la nation, visiblement improvisé, lui donnait l’occasion d’expliquer clairement aux Maliens cette disposition de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. Mais, en notre for intérieur, nous savons que Ladji Bourama n’est pas lui-même convaincu du message qu’il voulait porter. Notre intime conviction est que le pouvoir est en train d’être rattrapé par les concessions faites aux groupes rebelles dont les controversés leaders lui ont imposé leur volonté avec le soutien de la communauté dite internationale.
À notre avis, le problème ne se situe pas au niveau de la compréhension de l’Accord de paix, mais du rejet de certaines dispositions insensées comme les autorités intérimaires. Le gouverneur de région, le Directeur régional de la police et le Commandant de la gendarmerie ne sont que des boucs émissaires dans cette crise. Celui qui devait réellement démissionner, c’est le ministre de la Décentralisation et de la Réforme de l’Etat, Mohamed Ag Erlaf.
Celui-ci s’est battu bec et ongle pour faire passer cette loi au conseil des ministres et au Parlement. Il a presque balayé d’un revers de la main les nombreuses craintes exprimées par la classe politique, notamment les élus du septentrion, la société civile et les médias. Tout comme l’Assemblée nationale doit être dissoute, car ayant voté cette loi malgré les mises en garde de toutes parts. Même si c’est une disposition de l’Accord, le processus a été précipité. Alors que, comme le dit si bien un compatriote sur les réseaux sociaux, il aurait dû être «assez participatif» avec implication de toutes les populations du pays, de toutes les régions du pays. Et cela d’autant plus que cet accord implique toute une nation éprouvée, et non seulement les régions du nord du Mali.
L’idéal était que chaque Malien, de Kayes à Tessalit, se retrouve dans cet accord. À part Kidal, Tessalit et Ménaka, les autres régions du Mali ont l’impression d’avoir été sacrifiées sur l’autel de cette paix. Et la réalité de tous les jours est en train de leur donner raison. «Je pense qu’il sera très difficile d’assurer une acceptation et voire même une appropriation d’un texte parachuté d’Alger», déplore un bloggeur. On a mis la charrue avant les bœufs alors que l’adage nous enseigne que plus pressé que la musique, on danse mal. Le vin est tiré, il faut le boire. Boire le calice jusqu’à la lie !
Que reste du Mali ?
La révolte de Gao nous renvoie à une question que nous n’avons jamais cessé de nous poser devant la démission du pouvoir face aux rebelles et leurs alliés de la Communauté internationale : Que reste du Mali après la crise de 2012 ? Chacun a sans doute sa réponse en fonction de sa vision et de ses convictions ou de ses intérêts politiques et socio-économiques. Nous, notre conviction est que du Mali, il ne reste que sa population qui doit amèrement regretter d’avoir fait massivement confiance à un président qui, visiblement, est dépassé par la tournure des événements, par l’immensité des défis à relever. Sa «légendaire» rigueur et sa fermeté se sont finalement révélées comme des mythes qui se sont vite écroulés face à la réalité de l’exercice du pouvoir au haut sommet. C’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon compétent !
Le gouvernement nous semble inexistant et sa marge de manœuvre, par rapport à l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, est très très étroite. L’exécutif est aujourd’hui coincé entre les dispositions impopulaires (comme les Autorités intérimaires) de l’Accord et les attentes réelles des populations maliennes dans leur écrasante majorité. Est-ce qu’un président, même bon, aurait la possibilité de changer quoi que ce soit dans la situation dont IBK a hérité ? La question nous est souvent posée par le cercle de plus en plus restreint des partisans de Ladji Bourama.
Un bon président pouvait redresser le navire qui tangue dangereusement depuis janvier 2012. Un bon président dans le sens d’un vrai leader qui est convaincu qu’il doit son élection à la volonté de changement de son peuple et non à la mainmise d’une quelconque puissance coloniale ou néocolonialiste. Curieusement, depuis son élection, IBK se comporte comme si c’est la communauté internationale qui l’avait élu et non son peuple à une large majorité (77,66 %) en 2013.
Si en France, ce sont «les marchés financiers qui font la pluie et le beau temps, les alliances plus ou moins douteuses», ce sont pourtant les dirigeants de cette même France et le lobby des multinationales françaises qui décident souvent du choix des dirigeants dans les anciennes colonies. Toutefois, ni le RPM ni la France ne peuvent revendiquer le plébiscite dont Ibrahim Boubacar Kéita a bénéficié en 2013. C’est incontestablement le choix du peuple !
Pris en étau entre les «boucliers» contre le terrorisme et la communauté supposée internationale
Mais, aujourd’hui, le Mali et son président ont les mains liées par ceux qui dirigent et en même temps exploitent nos ressources, déguisés en boucliers contre le terrorisme dans le Sahel ou en «communauté internationale». Celle-là même qui a imposé au peuple malien les négociations d’Alger ayant abouti à la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, le 15 mai et le 20 juin 2015. Présentement, le gouvernement (bon ou mauvais) n’est plus en mesure de sortir ce Mali qui est complètement étouffé par les acteurs de l’ombre qui continuent à se délecter de notre infortune. Bien sûr que le Mali seul ne pouvait pas et ne peut pas faire face à la menace terroriste qui est transfrontalière voire internationale. L’ex-président Amadou Toumani Touré a toujours défendu cette réalité. Mais, ces adversaires internes et les pays voisins ne l’ont jamais pris au sérieux. Malgré la présence de la Minusma et de la force française Barkhane, la plus grave menace à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, en dehors de son caractère impopulaire, est la pression des réseaux terroristes face auxquels la communauté internationale est en train de démontrer toute son impuissance.
Elle est la seule à comprendre de nos jours que la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA n’a jamais voulu la paix. La preuve est que dans tous ces déclarations et communiqués de presse, il est question que des «dirigeants de l’Azawad», le «peuple de l’Azawad»… Mais, comme c’est cette même communauté internationale qui nous a imposé l’accord, elle ne sera jamais de bonne foi quoi qu’il arrive. Autant alors passer à autre chose en assumant nos responsabilités et en prenant notre destin en main ! C’est en cela que la révolte de Gao est importante à décrypter comme un appel aux Maliens à s’assumer enfin pour éviter que le navire ne chavire, parce que le capitaine ne le maîtrise plus. Les Maliens doivent pousser IBK à ouvrir les yeux et à comprendre que le meilleur allié d’un dirigeant politique est la confiance et l’estime de son peuple.
À Gao, Tombouctou, Bamako, et dans bien d’autres villes du Mali, les jeunes ont réussi leur démonstration de force. Mais le chemin de la résurrection de notre jeunesse voire de notre peuple risque d’être long et parsemé d’embuches. En effet, le pouvoir ne cesse de démontrer qu’il va utiliser les moyens qu’il faut pour que ceux qui font les critiques les plus virulentes à son égard aient leur part du gâteau et se taisent. Certaines présences dans le 5e gouvernement d’IBK et le 3e de Modibo Kéita attestent qu’il n’y a aucune conviction dans l’engagement de certains de nos camarades de lutte. N’empêche que nous devons nous battre avec plus de courage et d’ardeur pour notre patrie qui est aussi notre «destin».
Comme l’a écrit le doyen Sogoba, il revient à notre génération «de faire la gloire de ce pays», de faire de notre patrie «la plus enviée du monde». Dans une lutte, les incertitudes ne manquent pas, car, dans les rangs, ils sont nombreux ceux qui se battent surtout pour eux-mêmes. Mais le plus grand échec sera, si chacun baissait les bras en se disant que sa lutte à lui seul ne servirait à rien. Si cela devient une conviction pour chaque Malien, individuellement pris, il est clair que le contrôle de notre patrie, donc de notre destin, va nous échapper. La paix exige des sacrifices, mais pas tous les sacrifices. Surtout de façon unilatérale !
Moussa BOLLY