Ils ne se connaissaient guère. L’un était ingénieur des ponts et chaussées et l’autre, magistrat. Tous deux avaient été formés dans de prestigieuses universités étrangères. Rentrés au pays, le premier servait une entreprise privée et le second, l’Etat.
Alors que son entreprise venait de remporter un très important appel d’offres pour la construction d’une autoroute nationale, l’ingénieur dont le PDG avait négocié une magouille sous-terraine pour ladite attribution, s’est vu sommé par ce dernier de procéder à des réductions sur la qualité et la quantité des matériaux afin de faire le plus de marge possible. Il s’exécuta sans broncher et sans remord, car c’est ainsi qu’ont toujours été les choses depuis cinq ans qu’il est dans la boîte.
Quant au magistrat, il venait de faire libérer son énième malfrat et donner force de droit à quelqu’un qui ne le méritait pas, en ayant empoché au passage d’importants dessous de table. Lui non plus n’en avait aucun remord car c’est ainsi que font la plus part de ses collègues depuis tout ce temps qu’il est en fonction. D’ailleurs, les populations s’étaient habituées à cette justice du plus offrant. Pour l’un comme pour l’autre, tordre le cou à la déontologie était la seule voie pour se construire de grands châteaux, s’acheter de grosses voitures, inscrire les enfants dans des écoles de renom, etc.
Un après-midi donc, un coup de fil annonça à notre ingénieur que le véhicule dans lequel se trouvait sa famille en partance pour le village lors des vacances scolaires, venait d’être écrasé par un gros camion qui avait perdu le contrôle à cause de l’un des nombreux nids de poule sur la route bitumée que son entreprise avait construite et livrée le mois passé, et dont il était lui-même l’ingénieur en chef.
Le magistrat, lui, a été appelé par la police lui annonçant l’assassinat de son épouse et un de ses enfants par des braqueurs qui voulaient leur prendre le gros 4x4 dans lequel ils se trouvaient. Grâce à la promptitude d’un agent de police proche de l’action, l’un des braqueurs fut blessé par balle et arrêté. Son identité fut communiquée au juge. Il s’agissait d’un gangster qu’il avait fait relâcher contre de l’argent, il y avait moins d’un mois, pour manque de preuves alors que les faits étaient bel et bien établis.
Debout au-dessus des dépouilles mortelles de leurs bien-aimés, chacun des deux hommes se trouvaient plongé dans leurs pensées. A quoi pouvaient-ils bien songer ?
Chacun à notre niveau, mettons-nous à leur place et essayons de voir ce qui aurait pu leur faire éviter pareil drame. Car, pour tout vous dire, çà n’arrive pas qu’aux autres.
Par Abdoulaye Konaté