L’administration des régions du nord par des Autorités intérimaires (jusqu’à la phase de normalisation) constitue une des étapes importantes de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix. A Kidal et à Gao, les tentatives d’installations de ces autorités, rencontrent des difficultés. Une situation qui fait réagir analystes et observateurs de la scène politique nationale. Dans un entretien (exclusif) qu’il nous a accordé, Moussa Bendeka Diabaté, Consultant et non moins conseiller communal à la mairie de la commune III du district de Bamako, donne son avis. Entretien.
L’Officiel : M Diabaté, de violents incidents se sont déroulés, la semaine dernière à Gao où la jeunesse s’oppose vigoureusement à l’installation des Autorités intérimaires. Il y a eu des morts et plusieurs blessés. Selon vous cette détérioration de la situation était-elle prévisible ?
Tout à fait prévisible. Dans cette affaire, je m’en prends personnellement au président de la République qui ne me donne pas l’impression de quelqu’un qui a une vision. J’ai lancé au Mali un concept qu’on appelle la responsabilité sociétale des Entreprises et des organisations. Dans ce concept il y a un principe extrêmement important : la notion de partie prenante. Cela signifie que dans toute situation, la première des choses, c’est de savoir identifier ses partenaires dans cette affaire. Il faut les identifier, les écouter et prendre en compte leurs attentes. Dans cette crise du nord, on est entrain de vendre le poisson dans l’eau. D’abord les parties prenantes sont mal identifiées. Tout le monde sait qu’aujourd’hui, entre nous populations maliennes, il n y a pas de griefs ; Mais il y a une frange de la population qui a compris que pour être écouté il faut prendre les armes ; et ils viennent menacer les hommes politiques. Il faut reconnaître que la crise dans laquelle nous vivons n’est que la conséquence de la mauvaise gouvernance dans ce pays de l’indépendance à nos jours. On a toujours ignoré les parties prenantes, on a toujours ignoré la société civile, on a toujours ignoré les attentes des populations. Aujourd’hui, on est dans une situation où personne ne maîtrise quoi que ce soit. Et vraiment ce n’est plus une vision (en ce que je sache) ; c’est tout simplement le colmatage, on fait du copier collé, on bricole, on fait un envoyé vers etc. Donc aujourd’hui, il faut s’attendre au pire ; on vit une situation incertaine et personne n’a le monopole de ce qui se passe.
A votre avis, ces évènements de Gao qui commencent déjà à avoir des retentissements dans d’autres localités du pays, peuvent-ils mettre en difficulté l’application de l’accord pour la paix ?
Avant d’arriver à l’accord, prenons d’abord le concept de la décentralisation. Mais on a fait que du copier collé. Depuis le temps de Alpha. Ce sont eux qui sont à la base de la crise dans laquelle nous vivons. La décentralisation, d’abord, c’est un concept. C’est la meilleure solution pour maîtriser tous les facteurs de développement d’un pays ; mais ça été très mal fait. Parce que la décentralisation quand on nous l’a amenée, qu’est ce qu’on a fait en réalité? On est venu simplement nous dupliquer la décentralisation à l’occidental, dans un pays à 90% analphabètes. Donc les gens n’avaient pas compris au départ. Mais les autorités qui étaient là avaient, je suppose «une certaine pression» ; Ce qui fait qu’ils n’ont pas tenu compte de tous les aspects, notamment les facteurs socioculturels, les facteurs sociologiques, ethniques etc. De tout le temps les populations qui sont au nord ont vécu ensemble dans l’harmonie, dans la convivialité ; mais quand on est venu implémenté, forcé les gens à accepter le principe de la décentralisation, c’est ce qui est, de mon point de vue, à la base de toute cette crise.
Pour revenir maintenant à votre question, il faut dire que dans ces conditions l’application de l’accord de paix va être très, très difficile. Parce que (d’abord) il faut avoir un gouvernement visionnaire. Il faut qu’on ait une vision. Or, apparemment, on joue au pompier pyromane. Je vois mal comment ce gouvernement va s’en sortir avec tout ce qui a été posé comme actes. L’accord constitue un cadre. Tous les éléments qui sont dedans sont aussi très clairs. On ne peut pas donner le pouvoir à une partie du territoire et laisser le reste. Aujourd’hui c’est le nord demain ça va être le sud et après demain ça va être l’Ouest. Donc je suis très sceptique ; Je ne suis pas très sûr que ce gouvernement soit capable de gérer cette situation du Nord.
Ces évènements de Gao arrivent au moment où, dans la région de Kidal, le Général El hadji Gamou s’est aussi dressé contre les conditions d’installation de ces mêmes autorités intérimaires. Y a-t-il, selon vous, un risque que Gamou récupère la révolte de Gao ?
J’ai entendu dans les presses, ça et là, que Gamou a fait volte face. Il ne faut pas tout de suite le prendre en mal. Il faut d’abord chercher à comprendre pourquoi il prend une telle posture, après avoir passé 10 ou 15 ans entrain de se battre pour le gouvernement ; c’est que quelque part il a été ignoré, quelque part on ne lui a pas reconnu tout ce qu’il a fait dans la guerre. Or, la guerre c’est quoi, c’est donner sa vie. Tu peux mourir aujourd’hui comme demain. Donc quand Gamou prend une nouvelle posture, il ne faut pas le prendre en ennemi, il faut positiver la situation ; il faut essayer de rencontrer Gamou et lui demander pourquoi il est dans cette posture ; et il est la seule personne qui peut expliquer. Mais il ne faut pas faire un jugement de loin sur Gamou ; En tout cas, personnellement, je ne le connais pas. Toutes les informations que j’ai sur lui c’est sur la base de coupons de journaux.
Quels conseils donnez-vous aux autorités pour la bonne gestion de cette crise de Gao ?
La crise de Gao, c’est pas le gouvernement seul qui peut trouver la solution. D’abord, il faut être clair : forum, forum, on en a assez. On a fait assez de forum. Je m’en prends personnellement au Président de la République qui me donne l’impression de quelqu’un qui n’a aucune vision. Aujourd’hui, il ne peut pas gérer seul la crise du nord. La crise du nord c’est une crise qui concerne tous les maliens. Quand on devient président on doit se mettre au dessus de tout. ce qu’en tant que chef de l’Etat il doit faire, c’est d’identifier les gens qui peuvent lui apporter les solutions, mais pas le verbe, pas la littérature. Dès lors qu’il est devenu président de la République il se doit de quitter sa posture d’appartenance politique pour venir, cette fois, en vrai leader ; En ce moment, ce qu’il doit faire c’est appeler auprès de lui tous les gens qu’il croit capable de lui apporter des solutions. Prenons un pays comme le Mali. On est dans le trou. Toutes les institutions du pays ont à leur tête des retraités, les vices présidents sont des retraités. Ils n’ont pas de vision. Ils peuvent être, dans les salons, des conseillers pour le président ; mais pas à la tête des institutions où ils n’ont aucune vision. Ils ont fait leur temps ils n’ont jamais prouvé quelque chose. Je pense IBK doit sortir de ce carcan, voir clair dans les choses. Il doit quitter la posture d’appartenance politique et voir quels sont les gens qui peuvent lui apporter des solutions. Nous sommes assez nombreux, il y a assez de Maliens à l’intérieur comme à l’extérieur. Arrêtons donc de focaliser le développement du Mali sur le Nord ; le nord est un petit problème par rapport au Mali. Je m’en vais vous dire, en terme de statistiques, à la date où je vous parle, en tout cas pour ce qui concerne les chiffres de 2015, il y a 10 millions d’armes qui circulent dans le nord du Mali. En plus de cela, les différents gouvernements qui se sont succédés n’avaient que 1/3 du territoire national, les 2/3 sont laissés pour compte. Et parmi les 2/3 il y a la partie du nord. Ça veut dire que tout temps on n’avait jamais fait du nord un problème réel ; On a toujours «zappé». Conséquence ? Aujourd’hui on est en difficulté. Sinon, ces gens là, ces populations qui sont là bas, que ce soit les touaregs, les berbères, les sonrais, les tamasheqs etc ; Ce sont nos frères ; Moi j’ai là bas des amis, des cousins, des frères, des enfants ; mais il y a jamais eu de problème. il faut que les gens comprennent que la préoccupation de ces groupes qu’on appelle (rebelles), peut importe l’appellation, c’est du au fait qu’ils ont été brimés, ils ont été massacrés ; cette population aujourd’hui a besoin d’être connue, même si elle constitue une minoritaire. La population totale du nord du Mali fait 2 millions d’habitants. Sur les 2 millions d’habitants, les touaregs (les peaux rouges) ne font que 5% et sur ces 5% il y a peut être que 1% qui sont dans la rébellion. Comment ces 5% peuvent-ils ébranler tout un pays ? C’est qu’on n’a pas de dirigeants. Que ce soit Alpha, Dioncounda, ou IBK, ils sont les seuls comptables de cette situation. Parce que, quand ils sont venus aux affaires, on a vu que le pays a été divisé, le pays a été effrité, il n y a pas d’école, pas de sécurité, pas de santé.
Pour finir, je m’en vais vous donner deux concepts extrêmement importants : le développement, c’est la maîtrise de son environnement. Quelqu’un qui maîtrise son environnement se développe. Aujourd’hui, à Bamako nous on parle de riz, de lait, de sucre. Au nord, eux, ils n’ont pas de vie; Pourtant, ils sont Maliens comme nous. Il faut donc un gouvernement fort, visionnaire, il faut arrêter de faire la promotion des retraités et prendre des gens responsables qui ont une vision du Mali et qui veulent travailler pour ce pays et qu’on se donne la mains.
Propos recueillis par
Oumar Diamoye