Cette tradition est menacée par des transformations sociales qui se caractérisent par la réduction du nombre de praticiens et par la perte de sa fonction rituelle en faveur du divertissement et du profit
La société secrète des «Kôrêdugaw» est un rite de sagesse qui occupe une place centrale dans l’identité culturelle des communautés bambara, malinké, senufo et samogo. Les initiés revêtent des haillons ornés de colliers de fèves rouges et d’un grand nombre d’objets divers. Ils suscitent l’hilarité par leur comportement glouton, leur humour caustique et leur esprit, mais ils font aussi preuve d’une grande intelligence et de sagesse.
L’initiation au «Korè» est la phase destinée à construire, au niveau du sujet et du groupe, l’identité masculine. Partout où le «Korè» existe, un garçon doit “être tué au Korè,” faute de quoi, considéré comme appartenant au monde des femmes et des enfants non circoncis, il serait obligé de quitter le village. L’initiation au «Korè», même édulcorée, existe encore dans des villages majoritairement musulmans. Dans ces villages, on dit que le «Korè» est un culte (jo) et les masques, les objets forts (boliw) et les sacrifices ont souvent disparu. Le «Korè» n’est pas le stade ultime d’un véritable cursus initiatique comme le croyait Dominique Zahan. Tous les sept ans, une classe d’âge de garçons est “tuée au Korè“. Par ce pseudo-sacrifice, ils prouvent leur qualité d’hommes courageux (cè fariw), car, bien évidemment, personne ne les informe qu’il s’agit d’un simulacre. Lorsqu’ils ressuscitent sous une identité adulte, les initiés doivent renoncer aux privilèges de l’enfance. Avant d’être autorisés à rentrer au village en tant qu’hommes accomplis, ils vivent pendant une semaine en brousse, sous le contrôle de trois aînés qui leur font subir des brimades et des humiliations. Ils ne protestent jamais, car ils souhaitent ardemment être respecté comme des hommes à part entière, veulent prouver leur bravoure et savent qu’ils deviendront eux-mêmes des aînés. Pendant cette retraite en brousse, ils reçoivent une instruction dans les domaines de la médecine par les plantes, de la sexualité, du cycle de la vie et des obligations envers leurs aînés et ancêtres. Après l’initiation au «Korè», les initiés, maintenant hommes accomplis, peuvent choisir de s’affilier à d’autres sociétés d’initiation pour augmenter leur pouvoir.
Les initiés du «Korè» sont affectés à différentes classes ayant chacune leurs symboles et leurs masques. À la fin de la retraite en brousse, quand ils rentrent au village, certains portent les masques correspondant aux animaux qu’ils incarnent. On distingue ainsi les «Surukuw» (hyènes), les «Jaraw» (lions) et les «Sulaw» (singes).
La société éduque, forme et prépare les enfants à affronter les épreuves de la vie et à gérer des problèmes sociaux. Ses membres font aussi office de médiateurs sociaux et jouent des rôles fondamentaux dans les fêtes et à de nombreuses occasions. Les «Kôrêdugaw «sont aussi des herboristes et des thérapeutes traditionnels. Ils guérissent les maladies, conjurent le mauvais sort, traitent les femmes sans enfants et font des bénédictions. Incarnant la générosité, la tolérance, «l’inoffensivité» et la maîtrise du savoir, ces Kôrêdugaw appliquent les règles de conduite qu’ils préconisent aux autres. Les membres proviennent de toutes les couches socioprofessionnelles, sans distinction d’ethnie, de sexe ou de religion. Le statut de Kôrêdugaw est hérité et l’instruction se fait par les esprits ou par un maître. Aujourd’hui, les modes traditionnels de transmission sont menacés à cause de la diminution du nombre d’initiés en raison de la prédominance des modes de vie urbain parmi les jeunes générations et du fait que les pratiques rituelles sont de moins en moins régulières.
Médiateurs culturels. Les «Kôrêdugaw» jouent un rôle important en tant que médiateurs culturels du conflit social, agissant ainsi comme instruments de socialisation, qui contribuent à l’harmonie et à la continuité de la société, ainsi qu’à l’entretien d’un dialogue et des relations amicales. Les masques «Surukuw,» plus anthropomorphes que réalistes, ont tous les mêmes caractéristiques. Ils présentent un front proéminent très bombé. Une crête stylisée se dresse sur le sommet du crâne. La crête de l’hyène est prélevée par le chasseur, dès qu’il a achevé la bête, afin d’une part, d’échapper à son « nyama » mortel, d’autre part d’utiliser cette force pour la confection d’objets forts, “boliw” ou « siriw ». Le long museau, avec une bouche rectangulaire ou carrée est, avec le front bombé, le trait le plus remarquable de ce masque. Des traits représentant des scarifications soulignent souvent le style épuré du masque. Parfois, notamment dans la région de Ségou, la mâchoire supérieure est ménagée de telle sorte qu’elle puisse servir de poignée au porteur.
Les masques sont chargés d’énergie et lors de leur consécration, ils reçoivent des sacrifices sanglants. Apparemment, ils étaient aussi rituellement lavés. Observant une cérémonie d’initiation au Korè à Diana (canton de Diedugu, subdivision de Dioïla, cercle de Bamako) en 1957, Dominique Zahan signale qu’au septième jour, les porteurs de masques «Surukuw lavent leurs masques pour enlever l’ancienne “peinture”, puis les repeignent grossièrement avec de la chaux (gwala), des cendres blanches, de la terre rouge et du sang. Quelques jours plus tard, cette peinture grossière est, à son tour lavée et on repeint les masques définitivement (Zahan, 1960). Durant leur exhibition, les porteurs de ce masque adoptent le plus souvent une position fléchie, en s’appuyant sur deux bâtons courts, qui prolongent leurs avant-bras. Le symbolisme de l’hyène, très complexe, varie considérablement selon le contexte, mais dans le cadre de la société du «Korè», l’hyène représente le plus vraisemblablement les efforts de l’initié pour parfaire ses connaissances secrètes.
Les masques «Jaraw» révèlent le caractère imaginaire des fauves invoqués par les rituels : bien que “lions”, leur robe est tigrée ou tachetée comme celle de la panthère.
La viabilité de la tradition des Kôrêdugaw est menacée par des transformations sociales touchant tous les aspects de la vie au Mali, notamment la réduction du nombre de praticiens et la perte de sa fonction rituelle en faveur du divertissement et du profit, contrairement à sa philosophie. Les mesures de sauvegarde proposées par l’État, partie qui incluent des mesures législatives de sensibilisation et de documentation qui amélioreront grandement la viabilité de l’élément, y compris la revitalisation et la pratique de ses fonctions rituelles et sociales. L’État soumissionnaire a impliqué la communauté par le biais de vastes consultations au cours de l’élaboration de la candidature qui inclut le consentement libre, préalable et éclairé des associations de praticiens du «Kôrêdugaw». Il a été inclus en 2010 dans l’inventaire du patrimoine culturel national, administré par la direction nationale du patrimoine culturel à travers son département de tutelle.
La société secrète des «Kôrêdugaw», rite de sagesse du Mali, est inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente.
Y. DOUMBIA
Photo : SWINGING BAMAKO MARQUE LA PRESENCE DU MALI EN ARLES
Les photos de «la fabuleuse histoire des Maravillas de Mali», de Malick Sidibé (1936-2016), Abdourahmane Sakaly (1926-1988), Sadio Diakité (1929-1987) consacrent la présence du Mali aux Rencontres photographiques de Arles, en France. Une édition qui se tient du 4 juillet au 25 septembre.
Cette exposition est présentée comme : «Odyssée digne d’un Retour vers le Futur entre Bamako et La Havane, Swinging Bamako est une déambulation poly sensorielle qui mêle la petite et la grande histoire, la naissance de l’Afrique postcoloniale, terre de nombreux enjeux et celle d’un des plus grands groupes de musique africaine de tous les temps. Pour comprendre l’Afrique d’aujourd’hui, il faut se replonger dans son passé…
Avec l’accession de notre pays à l’indépendance en 1960, sept jeunes étudiants sont envoyés à Cuba en 1964 pour apprendre la musique moderne. A la fin de leurs études, il forme un groupe dénommé « Las Maravillas de Mali ». Ce groupe est présenté à travers une série de photos.
Malick Sidibé est l’un des plus grands photographes africains. Il a été consacré comme le premier Noir ayant obtenu le « Lion d’or » de la Biennale de Venise en Italie en 2007. L’une des plus hautes distinctions en art visuel. Il a aussi reçu le prix international Hasselblad en 2003. Et en 2009, le prix Photo España Baume & Mercier a couronné son travail de portraitiste.
L’adresse angle 19 de la rue 30 de son studio ouvert dans le plus grand anonymat à Bagadadji en 1962, figure dans le carnet d’adresses des grandes et petites galeries et des musées du monde entier en admiration devant ses portraits et ses instantanés des manifestations de joie et de fête des débuts de l’indépendance.
Les tirages de ses photos en noir et blanc sont vendus aujourd’hui comme des œuvres d’art majeures au même titre que les toiles des plus grands peintres du monde. Le succès planétaire n’a pas fait perdre à Malick Sidibé sa modestie et sa sociabilité, et encore moins son amour du portrait.
Abdourahmane Sakaly ouvre son studio en 1956 sur le côté nord des rails, en face de l’Assemblée nationale, sur une avenue très passante, à savoir devant le marché de Médinacoura l’un des plus grands de l’époque.
Les images de Sakaly ressortent des détails visuels comme le type de pose, l’arrière-plan. Cet exercice est complexe pour de nombreux photographes, mais c’est un jeu d’enfant pour lui. Les images en noir et blanc de l’artiste sont des techniques éprouvées dans la photographie malienne. De 1960 à 1970, Sakaly est le plus sollicité notamment par les ruraux de passage à Bamako, les corps professionnels comme la police, l’armée, l’administration territoriale et même les représentations diplomatiques.
Sadio Diakité a ouvert son studio en face de l’IOTA et jouxtant l’amorce de la célèbre Rue 14 de Médina Coura en 1957. Il renferme un trésor mal entretenu. De 1958 à nos jours, les archives sommeillent dans des malles entassées tout au fond du studio appelé « Chambre noire ».
Y. D.