Il faut aller vers une relecture pure et simple de la loi en basant les autorités intérimaires s’il y a besoin sur les pouvoirs locaux. Des repères sont clairs au Mali sur l’approfondissement de la décentralisation. Après les étapes organisationnelles et institutionnelles, ce sont les étapes de développement local qui sont amorcées en allant vers la libération du génie local par un ancrage socioculturel avéré des nouvelles institutions. Alors pourquoi se perdre dans cette démarche même si l’accord de paix prévoit ces structures intérimaires ? C’est le moment d’expérimenter ou de confirmer le pouvoir des peuples en leur donnant leurs affaires politiques et économiques. Le pouvoir n’a jamais appartenu aux nouvelles intuitions importées au Mali voire en Afrique. C’est la stratégie de contournement qui a toujours fonctionné. Les populations entrent donc en ruse et en contournement pour éviter des guerres civiles. Si vous leur dites de voter, ils votent. Si vous leur dites qu’une loi est bonne pour le pays, ils disent oui pour le referendum. Si vous dites que l’accord de paix est bon pour le pays, ils disent d’accord. Si vous dites que leurs langues locales n’ont plus de valeur, ils vous répondent oui de la tête. Si vous leur dîtes que leur Dieu est inférieur au Dieu des blancs et arabes, ils répondent toujours oui… Qui ne s’oppose pas consent dit-on, mais ça, c’est la logique de Descartes. Si un griot dit que la vie est une peau du fruit de tamarinier, il n’est qu’un griot. Mais si Freud vous ment sur le concept d’œdipe, c’est une fierté pour les complexés africains.
La régionalisation était une étape d’ancrage approfondie de la décentralisation, mais pas un régionalisme cavalier qui saute les étapes importantes comme l’identification des pouvoirs locaux résilients. Elle constitue une étape vers une autoréflexion des pouvoirs locaux avant d’être une autogestion des pouvoirs locaux. Tous les accords sur le Nord du Mali ont péché par rapport à la participation, la légitimation et à la prise de temps nécessaire aux réflexions. On peut détruire rapidement, mais construire lentement et surement sans oublier la dynamique géostratégique mondiale. Sinon comment comprendre ces précipitations sur les décisions des autorités intérimaires et sans une véritable consultation à la base. Les leaders africains sont trop pressés de rentrer dans l’histoire au risque d’atteindre cet objectif à reculons. Je veux être qui ? Celui qui a signé le premier accord durable du Mali, je suis un homme de parole et d’acte… On donne l’impression au peuple d’être le messie. Rien de nouveau sous le soleil, tout a été dit et fait : les hommes passent, le cosmos reste et évolue selon la pression cosmique. Rien n’a changé pour dire que les traditions des peuples sont archaïques. Le système de choix du Hogon chez les dogons par exemple est aussi démocratique que les grands électeurs des USA. Alors pourquoi ne pas en tenir compte dans la décentralisation ? L’Amenokal s’adapte au contexte ?
L’accord de paix demande une gestion des affaires politiques au vrai sens du terme par les peuples à la base. Le palais réfléchit moins que la case, si c’est pour le bonheur des mêmes habitants de la case. N’ayons pas honte et donnons le pouvoir au vrai peuple sans s’exposer aux contraintes globales du moment.
La loi sur les autorités intérimaires, qu’elle soit anticonstitutionnelle ou non, doit être relue en donnant tout le pouvoir au peuple à la base. Mais il faut le faire avec valeur, sans ce machin de politique politicienne où celui qui peut faire plus de combines et de trahisons est vu comme vrai politique. La composition actuelle des autorités intérimaires exclut d’une manière ou d’une autre les maires actuels et repêchent certains conseillers. Mais elles réintègrent les fonctionnaires de l’Etat qui surplomberont les autres couches par leur formation et leur avantage d’être proche des pouvoirs d’en haut. Alors, il ne sert à rien de décentraliser et de redonner le pouvoir au pouvoir central. Cela constitue un recul de la décentralisation dans le fond. Cette situation renforce la position des « anti-décentralisationnistes », surtout les administrateurs civils qui pensent que le pouvoir doit être fort et dur. La loi n’a pas permis de faire toutes ces analyses avant de prendre le décret d’application. Les signes venant de Gao avec la jeunesse en marche, sont des alertes qu’on ne doit pas résumer en malentendu ou incompréhension du contenu de la loi, mais des réels antagonismes pratiques. Il suffit tout simplement de relire cette loi et de remettre les pouvoirs aux pouvoirs locaux. Il y a plusieurs manières d’y arriver : depuis la loi, on peut exclure les fonctionnaires de l’Etat, indiquer que le Président des autorités doit venir des pouvoirs locaux ou de la société civile, que la majorité doit être formée par les pouvoirs locaux traditionnels (chefs de villages et conseillers, des chefs des chasseurs, des organisations à la base…) sans les confondre avec la société civile, un concept creux qui n’a pas de sens pour les populations à la base. Des critères peuvent être aussi définis dès le départ (ne pas avoir pris les armes, validé par le groupe des chefs de villages ou par la jeunesse….). On va vite et trop vite comme si le retard occasionné dans la mise en œuvre de l’accord serait la faute des populations locales. Les reformes doivent émaner des peuples et non le contraire, même si elles sont soutenues par un accord de paix signé le plus souvent par des représentants très peu légitimes ou avec des légitimités instables. A l’heure de la globalisation, le temps compte, ceux qui ont signé hier ne sont plus crédibles, peut-être, aujourd’hui et le gouvernement doit en tenir compte.
Le pouvoir a été usurpé au peuple depuis longtemps. Si on ne le lui remet pas, il va le reprendre par tous les autres moyens même non légaux. Car d’après l’adage, « le pouvoir n’est jamais dans la main de celui qui en a droit ».
SDF