L’ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga, non moins président de l’ASMA-CFP, était l’invité de l’émission «Entretien avec» de la Chaîne panafricaine dans la nuit de vendredi à samedi. Au cours de cet entretien, l’ancien ministre a analysé la situation sécuritaire et fait de pertinentes propositions après l’attaque meurtrière de Nampala. Il a déclaré sans ambages que «nous devons changer de concept d’opération, si notre pays veut éviter ce genre d’attaque».
Dans cet entretien, Boubèye a regretté que le Mali soit resté dans la même approche depuis 2013, du point de vue, de son concept d’opération. «En 2013, nous étions avec des forces internationales dans une posture défensive contre les groupes armés, auxquelles nos forces se sont associées avec comme tâche d’occuper les positions reconquises, de les stabiliser. Nous sommes restés dans la même posture. Pour que nous puissions éviter ce qui nous est arrivé, il faut que nous changions, je crois, de concept d’opération, et que nous soyons dans une posture plus offensive», a-t-il conseillé.
Selon lui, cette offensive ne doit pas être seulement militaire. «Si l’action militaire n’est pas relayée par d’autres types d’actions, les succès que nous allons avoir sur le plan militaire ne seront pas capitalisés pour la durée. Je pense, et c’est ce que tout le monde fait sur le plan technique, c’est de procéder à une sorte de saturation de l’espace public.
Cela veut dire que nous devons avoir des forces à mobilité permanente pour que personne ne puisse bouger, à plus forte raison des groupes militaires, sans rencontrer, dans des rayons relativement courts, des patrouilles qui assurent la sécurité, qui procèdent à des contrôles d’identité et qui réinstallent l’Etat. Parce que cette action militaire précède la réinstallation de l’Etat qui doit relayer l’action militaire par la capacité d’apporter des prestations aux populations». Avant d’ajouter : «Parce que les besoins fondamentaux des populations, c’est de plus en plus l’accès à l’Etat, la sécurité et l’accès à la gestion de leurs affaires locales. Tant que ces conditions ne sont pas réunies, nous allons avoir un vide sécuritaire. Je pense que nous allons avoir des problèmes».
S’agissant de l’attaque de Nampala, il dit ne pas être surpris. Car, selon lui, elle était de l’ordre du prévisible. À le croire, depuis plusieurs mois, beaucoup de personnes, dont lui-même, avaient annoncé qu’il y a tendance à apporter le Nord dans le Sud, en passant par le Centre. Il a expliqué que les groupes qui nous attaquaient par le Sud, n’ayant plus de cibles militaires étatiques au Nord, voulaient se transporter dans le Sud, pour généraliser l’insécurité et l’instabilité dans l’ensemble du pays.
Pour preuve, a-t-il rappelé, «le groupe qui nous attaqués en 2012 était une coalition de jihadistes et de séparatistes, avec des objectifs spécifiques, c’est-à-dire étendre leur emprise territoriale sur l’ensemble du pays. La carte qui avait été dessinée à l’époque, sa limite au Sud était une diagonale qui partait de Nampala à Labbezanga, en passant par le Gourma, c’est-à-dire, toute la zone de Léré, Douentza, Nampala, à laquelle il faut ajouter la portion de territoire qui va de Ouinkoro à Labbezanga. Quand vous regardez la carte des derniers incidents, elle reflète cette configuration.
Cela veut dire que ces groupes, bien qu’ayant été défaits militairement, n’ont pas désarmé par rapport à leurs objectifs principaux. Ils essaient de s’appuyer sur les communautés locales, sur les éléments qui sont ressortissants de ces zones, surtout qu’avec la crise que nous avons connue, l’Etat a graduellement perdu sa capacité à remplir un certain nombre de fonctions au bénéfice des populations. Lesquelles peuvent nourrir des récriminations, à tort ou à raison. Cette violence est contenue dans le projet politique de ces groupes qui visent à détricoter le pays».
Selon le président de l’ASMA, au sortir de la crise que notre pays continue de vivre, l’objectif que le Mali doit se fixer, c’est de reconstruire l’Etat sur le plan institutionnel, de faire une reconstruction civique, de réconcilier les Maliens avec leur Etat, lequel est aussi confronté à la nécessité de se relégitimer avec les populations. «Nous sommes dans une zone où la société civile s’est graduellement armée où, malheureusement, on pensait et on continue de penser qu’avec la force des armes, on peut avoir tel ou tel avantage et avoir voix au chapitre concernant un certain nombre de problèmes», a-t-il relevé.
Il a expliqué la révolte des Peulhs par le fait que partout en Afrique, il y a une crise de pastoralisme, entre les pasteurs, les sédentaires et les paysans. Selon lui, ce sont des antagonismes séculaires que la puissance publique pouvait gérer à un moment donné, avec l’apport et la participation des populations. Il a affirmé qu’au Mali, la plupart des Peulhs ne sont pas dans un irrédentisme envers l’Etat ou dans une préoccupation jihadiste.
Il a aussi fait ce constat: «Mais, ce que je dis : quand vous prenez Ançar Eddine et tous les groupes terroristes, ils essaient de pousser leur emprise territoriale, du point de vue idéologique religieuse, en s’appuyant sur les communautés locales, comme ils l’ont fait dans le Nord. C’est pourquoi, il y a un Ançar Eddine du Sud. On a en eu un moment dans la zone de Misséni, vers la frontière de Côte d’Ivoire, avec Souleymane Kéïta qui a été arrêté par nos forces.
Dans ce milieu, on sait que des gens liés à Amadou Kouffa avaient rejoint Ançar Eddine à Tombouctou pendant l’occupation et se sont repliés avec lui, mais n’ont pas du tout renoncé à leur projet d’expansion territoriale sur la base de la religion, de la prédication. Les antagonismes au sein de la religion ne sont pas nouveaux, mais ils prospèrent dans un pays qui s’est, malheureusement, fragilisé, affaibli, dans une puissance publique qui n’a plus la capacité de régulation qu’elle avait dans le temps, qu’elle doit reconstituer».
(Source : 22 Septembre)