Les affrontements de la semaine dernière qui ont fait une centaine de morts entre les groupes armés de la CMA et de la Plateforme à l’intérieur de la grande cité de l’Adrar des Ifoghas a remis au-devant de l’actualité la passionnante et bouleversante équation kidaloise.
Entre accusations réciproques et confessions regrettables, les acteurs du drame kidalois pointent du doigt les interférences et complaisances qui déplacent et faussent le substrat communautaire de la question. A la lumière des évidences affirmées de part et d’autre (par les principaux protagonistes aujourd’hui de la crise de Kidal), la bonne lecture de l’équation kidaloise paraît bien loin de la fresque ethnique peinte jusqu’ici mettant en perpétuel conflit des barbares noirs du Sud et des intrépides hommes bleus du désert ; le tout dans un rapport de domination impossible d’accepter.
La vérité, enseigne Fily Dabo, finit toujours par triompher. En effet, il apparaît aujourd’hui clair qu’on est loin, même très loin, d’une opposition entre Nord et Sud, entre noirs et blancs, entre le Mali et une prétendue Azawad. Il n’est à cet égard pas superflu de rappeler que le Mali a toujours soutenu n’avoir aucun problème avec les Touareg, de manière générale, et avec ceux de Kidal, en particulier.
Dans le contexte particulier d’aujourd’hui (fin juillet 2016), la République est en effet bon prince, et objectivement à équidistance de toutes les communautés touareg, notamment de Kidal. Au point que ceux que l’on soupçonnait d’être ses milices (Imghads) l’accusent ouvertement d’être de mèche avec ceux qui avaient juré de faire sécession (Ifoghas). Qu’à cela ne tienne ! Le leader nationaliste et patriote de la communauté Imghad, le général Alladji Ag GAMOU considère comme ennemis de la nation tous ceux qui tentent de brouiller sa communauté avec la République et ses autorités légitimes.
Comment expliquer dès lors cette crise de Kidal qui qui enflamme, embrase et impacte si profondément et si durablement notre nation ?
Loin des thèses exotiques ressassant et exaltant le mythe de l’invincibilité de l’homme bleu, il faudrait aujourd’hui envisager l’équation à la racine et préconiser des solutions endogènes (au sein et entre les fils de Kidal) ; le Mali n’étant en vérité qu’une victime collatérale d’une guerre fratricide au sein de la grande famille touareg.
La guerre des Touareg
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la guerre, au propre comme au figuré. Lointaine, mais si proche, si vivace, si meurtrière. Non celle qu’on a toujours voulu faire croire, mais celle que les populations touareg se sont vues imposer au gré des suprématies montées de toutes pièces. Non celle qui mobilise la communauté internationale tout entière (au chevet du Mali), mais celle que les populations touareg vivent dans leur chair, dans leur vivre et dans leur devenir… depuis des décennies.
Oui, «c’est la guerre », comme l’acquiesce Alghabass Ag Intalla, chef du HCUA, notable et fils de notable. Mais cette guerre n’oppose point le Mali aux Touareg ; mais les fils de l’Adrar entre eux.
Oui, «il y a plusieurs morts… », de part et d’autre, fils d’un même terroir kidalois : Imghads et Ifoghas.
Au-delà du qui a tiré le premier et des causes immédiatement (plus prosaïques que crédibles), à l’origine de la guerre des Touareg se trouve l’éternelle question de la suprématie pour ne pas dire du contrôle du pouvoir dans une société kidaloise fortement stratifiée.
Voulant pour eux tout le pouvoir, les Ifoghas (MNLA, HCUA, Ansardine) exigent « le retrait du GATIA (Imghad) de la ville de Kidal et ses alentours pour éviter une éventuelle reprise des hostilités », disent-ils dans un communiqué de la CMA.
Pourquoi les Ifoghas ne veulent-ils pas des Imghads à Kidal ? Parce qu’ils la veulent pour eux tous seuls et qu’ils «considèrent les Imghads comme des vassaux et ils refusent d’être sous leur domination », explique Azzaz Ag Loudagdag, président de la communauté Imghad dans une interview au journaldumali.com.
Sur quoi se fonde-t-elle cette singulière prétention qui ne repose sur aucune majorité ? Loudagdag ne passe pas par quatre chemins dans ses explications. Pour lui, ce sont « les gouvernements français et maliens (qui) ont épaulé les Ifoghas et les ont utilisés pour maîtriser tout le monde (à Kidal). C’est une opposition ancienne, mais maintenant on est au 21e siècle et les gens ne sont plus d’accord ».
Or, explique le notable Imghad, «la majorité de Kidal appartient aux Imghads et ils sont du GATIA. Pour preuve, toutes les élections sont gagnées en temps normal par les imghads. Le député et le maire sont des élus Imghads.
Nous ne laisserons jamais Kidal ! Parce que c’est eux qui sont venus à la faveur de Méharistes, d’Ansardine et des Djihadistes du MUJAO. Ils se sont bien implantés avec des complicités extérieures. Les pays étrangers les ont aidés à rester comme si c’était une part qu’on leur donne ».
Aussi, faudrait-il comprendre l’état d’âme de Fahad Ag Almahmoud, secrétaire général de GATIA, lorsqu’il martèle à qui veut l’entendre qu’«il faudrait que les Ifoghas se mettent dans la tête qu’ils doivent accepter les Imghads à Kidal. Ils n’ont pas le choix, nous ne pouvons pas être des persona non grata dans nos propres maisons ».
L’impossible cohabitation
À l’intérieur comme à l’extérieur, on s’accorde pour dire qu’il faut reconstruire la paix et que la guerre est loin d’être le viatique pour ramener la stabilité à Kidal.
Dès lors que le problème de Kidal et le problème à Kidal n’ont rien à voir avec le Mali (en termes de conflit avec les Touareg et de souveraineté territoriale), ne convient-il pas de reformater la solution politique jusqu’ici expérimentée et de remettre à jour les logiciels de gestion de cette crise ?
En tout cas, au regard des positions tranchées, il est fort à craindre que des solutions désuètes ne maintiennent les motifs de crispation et ne prolongent inutilement les souffrances de populations.
Que faire pour rendre acceptable, humaine et fraternelle à Kidal une cohabitation décrétée impossible par les Ifoghas ? Parce qu’au regard du puzzle qui se resserre sur les vrais contours de la question, on ne va pas tout de même ressortir les vieilles idées reçues de «les Touareg sont chez eux à Kidal » en décrétant que seuls les Ifoghas ont le droit à la dignité targuie ! Parce que «la majorité de Kidal appartient aux Imghads » et non aux Ifoghas.
Cette majorité est-elle prête à cohabiter ? Elle prône une cogestion de la ville, «de façon pacifique (…). Puisque le gouvernement leur a donné le gouvernorat, nous nous voulons la présidence de l’Assemblée régionale pour équilibrer les choses». Sauf qu’il faut prendre très au sérieux la menace qu’elle brandit : « si on n’obtient pas cela, tous les autres moyens seront utilisés (…). Il n’est pas question que les deux premiers responsables de la région soient tous Ifoghas et on est prêt à affronter n’importe qui pour qu’il y ait un véritable partage du pouvoir».
La solution malienne
La crise de Kidal, c’est moins qu’on puisse dire, reste comme une écharde dans la blessure de la République. Focalisant toutes les passions, elle a jusqu’ici été gérée et réglée en déplaçant le vrai problème. Parce que point ne s’agit de partager le pouvoir entre l’État régalien et un de ses démembrements (ville de Kidal), mais de repartir de manière équitable l’exercice du pouvoir et de la souveraineté entre les différentes communautés touareg qui peuplent cette partie du pays.
La délégation systématique du pouvoir aux notabilités locales avec ou sans interférences et/ou complaisances semble montrer ses limites au regard de la nouvelle donne. L’apparition de nouveaux acteurs locaux, la mondialisation de l’économie criminelle et du terrorisme et l’intervention militaire étrangère depuis janvier 2013, obligent à une approche certes globale et concertée ; mais pragmatique.
Pour le Mali et les Maliens, il n’y a pas et il ne peut y avoir de paix sans Kidal. Non pas parce que le Mali soit en guerre avec Kidal ; mais parce la résolution de l’équation Kidal est la clef de tous les autres problèmes auxquels notre pays et la sous-région sont confrontés, notamment la lutte contre le terrorisme.
Sur la question, nous sommes absolument d’avis avec Fahad Ag Almahmoud lorsqu’il disait ce mardi à la fin de la 10e session du CSA : «la pierre angulaire de ce problème, c’est Kidal. Donc il faut trouver une solution au problème de Kidal et une solution sera trouvée pour tout le Mali ».
Toutes choses qui interpellent l’État sur son leadership à initier et à conduire des approches et solutions régaliennes pour réaffirmer sa souveraineté. La réactualisation de l’appropriation du dossier est à cet égard plus que jamais souhaitable. Surtout lorsque, face à l’impasse, les deux protagonistes semblent faire un appel du pied au Gouvernement pour intervenir : «c’est au gouvernement de trouver un terrain d’entente entre les fils du pays, le linge sale se lave en famille», indique comme voie à suivre Mamadou Djéri MAIGA, vice-président du MNLA et leader de la CMA.
En d’autres termes, Kidal, c’est un problème malien qui doit être résolu par les Maliens. La CMA, à travers Mamadou Djéri MAIGA, ne conclut pas à autre chose quand il dit : «la plateforme et la CMA, nous sommes d’accord que c’est une chose regrettable qui s’est passée entre nous. C’est à nous et à notre gouvernement de chercher les voies et moyens pour trouver un terrain d’entente».
Quelle aubaine pour un Gouvernement ! Mais bien mieux : quelle opportunité historique pour notre nation de renouer définitivement avec la paix et de prouver aux oiseaux de mauvais augure que Kidal a été, reste et restera malienne.
Affaire à suivre
Par Sambi TOURE