Jets de gaz lacrymogènes et de pierres, course poursuite entre policiers et commerçants détaillants, invectives, routes barrées par des pneus brulés et des gros cailloux, fumée noire, tel était le décor du grand marché de Bamako et ses alentours le samedi dernier. Les forces de l’ordre, dans le cadre de l’opération de déguerpissement des artères de Bamako, ont dû batailler contre les commerçants afin d’enlever les étals et magasins qui occupaient les artères des alentours et l’intérieur du marché de Bamako. Les échauffourées ont fait plusieurs blessés de part et d’autre.
L’opération « Bamako, ville propre », lancée, il y a de cela une semaine, par les autorités municipales de la capitale et le nouveau gouverneur du District de Bamako, Mme Sacko Aminata Kane, est confrontée à des problèmes au niveau du grand marché de Bamako et ses alentours. Dans ledit marché, l’application de la décision de déguerpir les commerces qui occupent « illégalement » les voies publiques a rencontré une résistance farouche des commerçants. Le samedi 30 juillet 2016, une vive altercation a opposé les forces de l’ordre et les commerçants détaillants de ‘’rail Da’’ résolus à sauvegarder leurs marchandises et leurs places aux alentours de l’Assemblée nationale du Mali contre l’opération de déguerpissement du gouverneur de Bamako. Les commerçants, furieux, ont barré les principales voies qui mènent au marché. Les forces de l’ordre ont dû utiliser des grenades lacrymogènes pour permettre aux agents de mener à bien leur mission. Dans la matinée, l’odeur du gaz lacrymogène rendait l’air irrespirable devant le siège de PMU-Mali. Ces confrontations entre les forces de l’ordre et les commerçants détaillants ont paralysé les activités du grand marché. Beaucoup de commerçants se sont résignés à fermer leurs boutiques.
« Bamako, ville propre », de quoi s’agit-il ?
« Bamako, ville propre » est une opération conjointement organisée par le gouverneur de Bamako, Mme Sacko Aminata Kane, et la mairie du District de Bamako. L’objectif est de libérer les différentes artères de la ville illégalement occupées. Surnommée « la dame de fer », le tout nouveau gouverneur de Bamako, ancienne commissaire à la brigade des mœurs, veut redorer l’image de Bamako à travers cette opération de déguerpissement des artères de la ville aux trois caïmans. Tous ses prédécesseurs qui ont essayé de mettre de l’ordre dans la ville de Bamako ont renoncé face à une résistance farouche des commerçants et des vendeurs ambulants. N’empêche, l’ancienne commissaire du 11e arrondissement veut tenter ses chances. Avant d’entamer l’opération, elle a mené une campagne de sensibilisation et s’est entretenue avec les autorités coutumières et locales de Bamako. Après cette étape primordiale, l’opération proprement dite a commencé par les communes II et III, le centre ville de Bamako. Ainsi tout le long de la route de Koulikoro et les alentours du cimetière de Niaréla sont ratissés par les forces de l’ordre. L’opération s’est étendue aussi aux autres communes de Bamako. Et malgré la résistance farouche des commerçants détaillants, le gouverneur a promis, lors du journal télévisé du jour, que l’opération se poursuivra, car, dit-elle, tout le monde a été consulté.
Une opération de plus ?
L’opération « Bamako, ville propre » divise les Bamakois. En effet, si elle a ses affidés, beaucoup s’interrogent sur le timing de l’opération déclenchée à quelques mois du Sommet Afrique-France. Les autorités maliennes ne le cachent pas. Bamako doit avoir fière allure avant le sommet. Dans le quotidien national l’Essor, « le maire de Bamako estime qu’au-delà de donner une bonne image à la capitale malienne qui doit accueillir des rendez vous internationaux tels que le sommet France-Afrique que notre pays organisera l’an prochain, il s’agit, ni plus ni moins, d’offrir aux Bamakois un meilleur cadre de vie et pour toujours».
Mais des Bamakois dénoncent une opération de plus. « On nous a habitué à ça ici. Une telle opération ne dure jamais dans le temps. Quelques mois après le déguerpissement, les lieux sont réoccupés », a expliqué, dépité, Mahamadou Diallo dont l’étal a été démonté par le bulldozer de l’opération. Des habitants craignent un remake de l’opération de la démolition des maisons à Souleymanebougou qui a fait couler beaucoup d’encres et de salives. En juillet 2015, Mohamed Ali Bathily, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières à l’époque, avait ordonné la démolition des bâtiments de la zone de Souleymanebougou pour non-conformité. Après la démolition d’une cinquantaine de maisons, l’opération sera stoppée pour raison d’hivernage. Sa reprise a été renvoyée à la fin de la saison pluvieuse. Et un an après, la démolition n’a pas été reprise. «Le problème au Mali, c’est qu’on aime trop déplacer les problèmes au lieu de les solutionner définitivement. Et à chaque fois ça nous explose en pleine face. Si les sans diplômés ont marché pour leur réintégration dans la fonction publique qu’est ce qui empêcherait ces commerçants détaillants de manifester leurs mécontentements? Après tout on est au Mali: le pays de tous les paradoxes», analyse Soumy Lah, le président de Mali Kura, l’association pour la promotion de l’éducation et la vulgarisation de la culture malienne.
Madiassa Kaba Diakité